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La rentrée littéraire

Crue, Philippe Forest

Ecrit par Marie-Josée Desvignes , le Vendredi, 02 Septembre 2016. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard

Crue, août 2016, 272 pages, 19,50 € . Ecrivain(s): Philippe Forest Edition: Gallimard

 

« Quoi qu’on perde, on a le sentiment étrange d’avoir tout perdu avec l’être ou l’objet qui disparaît »

D’un roman à l’autre, Philippe Forest écrit le deuil. Chaque livre est une page qui tente de reconstruire une présence, celle du petit être parti trop tôt, quatre ans, sa fille, oui, et chaque page ne comblera jamais le manque.

« Ce fut comme une épidémie » nous dit l’incipit de Crue, le dernier roman de Philippe Forest. Ce fut comme une épidémie, un rapport et non un roman, une sorte de récit baroque, qu’il a voulu cette fois pour énoncer un mal qui se répand parmi les hommes, conséquent à la disparition des êtres, pour lequel ils n’auront jamais aucun médicament, un véritable fléau, « fatal à certains ». Pas pour tous. Un fléau qui nous engloutit tous, et que sans doute personne sauf lui n’en voit rien…

Il y eut pourtant tant de signes…

Il n’est pas un hasard si un jour il prend conscience qu’il a choisi cette ville, ce quartier, une cité fantôme, parce qu’au fond, si on y réfléchit c’est toujours chez des morts que l’on vit, des gens qui disparaissent et qui laissent leur place à d’autres…

Un paquebot dans les arbres, Valentine Goby

Ecrit par Stéphane Bret , le Jeudi, 01 Septembre 2016. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Actes Sud

Un paquebot dans les arbres, août 2016, 271 pages, 19,80 € . Ecrivain(s): Valentine Goby Edition: Actes Sud

 

Le titre du roman peut prêter à confusion, ce n’est pourtant pas d’une allusion à un tableau de Magritte dont il est question dans le récit. Le mot « paquebot », Valentine Goby nous l’apprend, a désigné dans les années cinquante les sanatoriums, en raison de la similitude de leur architecture d’avec celle des paquebots.

Nous sommes dans les années cinquante, au cœur de ces Trente Glorieuses, perçues par beaucoup de nos contemporains comme l’âge d’or de l’après-guerre. Paul Blanc et son épouse Odile tiennent un café dans une localité de la région parisienne, La Roche-Guyon, Le Balto. Il y fait bon vivre, on y organise des réunions, des repas arrosés, des concerts d’harmonica assurés par Paul, dit Paulot, qui apporte à son auditoire captif un peu de bonheur, de joie de vivre, de chaleur humaine. Ils ont trois enfants, Jacques, Annie, Mathilde. Elle est la dernière, se sent un peu illégitime car elle a su que sa venue n’était pas autant désirée que celle de ses frère et sœur.

Deux remords de Claude Monet, Michel Bernard

Ecrit par Philippe Chauché , le Mardi, 30 Août 2016. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, La Table Ronde

Deux remords de Claude Monet, août 2016, 224 pages, 20 € . Ecrivain(s): Michel Bernard Edition: La Table Ronde

 

« Les yeux des amateurs s’étaient rafraîchis à ce vert où baignaient les regards. Son flot débordait le cadre et persistait sur la rétine. Les gens en parlaient encore sur le trottoir et jusque chez eux. Ils appelaient l’œuvre non par sa désignation dans le catalogue officiel, mais par ce qui, en elle, les avait émerveillés, l’accessoire et sa couleur, la robe verte ».

Deux remords de Claude Monet est un roman de l’amitié, Frédéric Bazille, Renoir, Clémenceau. Un roman de l’amour, Camille – son intuition du monde, Monet, sur bien des points, la devait à Camille –, un roman des fleurs et des arbres, des saisons et de la couleur, de la forme, du mouvement, de la joie de peintre sur le motif, Camille et les fleurs. Au cœur de ce roman léger et vif, les deux guerres, celle qui verra mourir l’ami, le peintre Bazille sous les feux des Prussiens, et celle qui était revenue battre de son sanglant ressac le sud de la Picardie, lécher les bords de l’Oise à Compiègne et les forêts du Valois au-dessus de la vallée de l’Automne.

Faire Charlemagne, Patrice Delbourg

Ecrit par Stéphane Bret , le Lundi, 29 Août 2016. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Le Cherche-Midi

Faire Charlemagne, août 2016, 252 pages, 17,50 € . Ecrivain(s): Patrice Delbourg Edition: Le Cherche-Midi

 

Les adeptes du « littérairement correct » auront très probablement du mal à finir le roman de Patrice Delbourg, Faire Charlemagne, car ce dernier est inspiré de part en part par l’esprit de provocation, par un souffle polémique quasiment incessant. Le personnage principal, Antonin Chapuisat, est Professeur de lettres au lycée Charlemagne, lycée parisien de renom. L’exercice de ce noble métier, le professorat, devrait donc combler Antonin Chapuisat. Il n’en est rien. Cet homme, à l’héritage familial très négatif, est aigri, passéiste, en recherche d’un enthousiasme et d’une énergie perdue : « Cette hantise d’un monde nouveau aux portes de son fief citoyen ne lui avait jamais faussé compagnie, il entretenait ainsi le flambeau familial, sommaire mélange de xénophobie radicale et de soupçon mercantile ». Eprouve-t-il un commencement de proximité avec ses élèves, croit-il pouvoir les toucher, les initier aux beautés de la littérature française et aux classiques du « Grand Siècle » ? Nullement, et c’est un dégoût, une hostilité évidente qu’il ressent à l’égard de cette nouvelle génération qu’il qualifie ainsi :

« Les élèves le regardaient pantois, effondrés sur leurs pupitres, crêtes iroquoises en médrano, petites queues de ragondin dans la nuque, tignasses entièrement amidonnées à la gélatine halal (…) clous dans les joues, pauvres gaziers qui essayaient de rassembler en feux grégeois les derniers télégrammes de détresse émis par leur mémoire sinistrée ».

Babylone, Yasmina Reza

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Samedi, 27 Août 2016. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Flammarion

Babylone, août 2016, 224 pages, 20 € . Ecrivain(s): Yasmina Reza Edition: Flammarion

 

Ce nouveau roman de Yasmina Reza, construit comme un drame qui culmine avec la citation de l’exergue « Le monde n’est pas bien rangé, c’est un foutoir. Je n’essaie pas de le mettre en ordre » (Garry Winogrand) rappelle étrangement, par certains aspects, l’histoire du meurtre par Louis Althusser de sa femme Hélène Rytmann. Dans ce roman qu’on pourrait caractériser par l’expression de « fausse amitié » ou de « la fin d’un amour », il semble que ce soit le statut de la parole qui est interrogé. Alors que Yasmina Reza est auteur dramatique (encore) plus que romancière, si l’on en juge par le nombre de titres de sa bibliographie appartenant à l’un et l’autre genre, on est frappé dans ce livre par les points de convergence stylistique qu’il présente avec une pièce de théâtre. Plusieurs faits de langue concernant les discours rapportés incitent à ce rapprochement. Tout d’abord, le style direct et incisif du dialogue théâtral se retrouve, en filigrane ou en relief, dans les phrases courtes et le registre de langue pour le moins familier du roman : « La femme doit être gaie. Contrairement à l’homme qui a droit au spleen et à la mélancolie. A partir d’un certain âge une femme est condamnée à la bonne humeur. Quand tu fais la gueule à vingt ans c’est sexy, quand tu la fais à soixante c’est chiant ».