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La rentrée littéraire

De beaux jours à venir, Megan Kruse

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Jeudi, 22 Septembre 2016. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Denoël

De beaux jours à venir, traduit de l’américain par Héloïse Esquié, août 2016, 373 pages, 21,90 € . Ecrivain(s): Megan Kruse Edition: Denoël

 

Lydia, Amy, Gary, Jackson : d’abord quatre tons. Puis les Etats-Unis. Tulalip dans l’état de Washington, Fannin au Texas, Silver dans l’Idaho. Des mobil-homes, de la rouille et des terres rêches, les motels pour s’y terrer, les grandes lignes droites pour s’enfuir et des pick-up pour y rouler dessus, la poussière sur les pneus et les pneus lacérant le sol. Se faire la malle pour échapper aux coups du père, le père, c’est Gary. Il boit, il bat sa femme Amy. Plusieurs fois elle le quitte, les enfants sur la banquette arrière, les affaires jetées à la hâte dans des sacs poubelle. Mais le père est patient, il les reprend toujours. Et comme toujours, il sera tendre, dangereusement affectueux.

Amy défenestrée. C’est trop. Jackson et Lydia ont tout vu. Cette fois-ci, elle part avec les enfants et elle va s’en sortir. Disparaître dans un motel sordide, voire même revivre. Lydia, la petite sœur, suit par la fenêtre de la vieille voiture les grands arbres de sa maison, ils rétrécissent. Sa respiration. Elle efface, le doigt sur la vitre, le danger derrière elle, la forêt de son enfance, ce qui fut sa chambre et son territoire. Bientôt ce seront d’autres arbres, de nouveaux paysages, la vie devant qu’elle ne reconnaîtra pas.

Le sérieux bienveillant des platanes, Christian Laborde

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 21 Septembre 2016. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Les éditions du Rocher

Le sérieux bienveillant des platanes, août 2016, 132 pages, 14 € . Ecrivain(s): Christian Laborde Edition: Les éditions du Rocher

« Le “Tarbais” c’est la Rolls du haricot, enfant d’une terre limoneuse, caillouteuse à souhait, juste ce qu’il faut d’argile. Si la terre avait été trop argileuse, la peau du haricot eût été plus épaisse, sa chair plus farineuse. Rien de tout ça, il est parfait, le haricot tarbais. Et s’il est si fondant, c’est parce qu’il n’a jamais cessé, en grandissant, d’avoir chaud au cul. Il a profité à fond, en effet, de la tiédeur des galets du gave ».

Le sérieux bienveillant des platanes ressemble au délicieux haricot « Tarbais », caillouteux à souhait, fondant comme l’accent qui l’habite. Un accent qui vient des cols pyrénéens où se postait l’écrivain pour voir passer avec son père les héros du Tour de France. Un roman qui a profité de la douceur des galets qui roulent sous sa langue, un roman qui a chaud au verbe. Roman « slamé », que l’on lit, comme l’on écoute les chansons gasconnes de Bernard Lubat, ou que l’on fredonne celles de Claude Nougaro, le boxeur troubadour de Toulouse. Le sérieux bienveillant des platanes est un roman du retour aux sources, au village, à Paulhac. Tom y vient pour enterrer son grand-père, son Pépé – un mot sans électricité, sans chahut, sans violence, un mot doux, une caresse –, sous les yeux et les mots de la douce Joy, sa princesse, clandestine, libre de faire ce qu’elle souhaite et de faire corps avec Tom. Un retour, et un passage dans l’accélérateur à particules des souvenirs, où les mots valsent en trois temps, les trois temps du roman.

Les Parisiens, Olivier Py

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Mardi, 20 Septembre 2016. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Actes Sud

Les Parisiens, août 2016, 544 pages, 22,80 € . Ecrivain(s): Olivier Py Edition: Actes Sud

 

Le roman d’Olivier Py est construit, un peu à la manière de scènes de théâtre, sous forme de tableaux, lieux géographiques (Le château, L’église…) ou thématiques (La guerre, Deux femmes…), coups de projecteur sur des rencontres, des conversations, des pensées intérieures.

Deux personnages, Aurélien et Lucas, jeunes Rastignac du XXIe siècle, incarnent les deux tendances antagonistes mais réductibles d’Olivier Py : le libertaire et le sacré. L’une comme l’autre transcendent la mort et se rejoignent dans l’Art, le théâtre, la musique, la poésie : « Oublier la mort, oublier que l’on va mourir, vaincre, triompher […] croire à son destin et ridiculiser la mort ». Aurélien le solaire, tourné vers la vie, le plaisir et la fête, s’oppose à Lucas l’ombrageux, qui lutte et se débat contre des forces obscures.

Autour d’Aurélien, deux univers gravitent et se mêlent par épisodes : d’une part, le milieu de la politique et de la culture, où se cotoient les pires stratèges et les coteries qui s’opposent, se méprisent et se livrent une guerre sans merci ; d’autre part, une joyeuse bande de révolutionnaires, transsexuels, homos, lesbiennes, qui défendent, en mots et en actes, les droits et la liberté des « travailleuses du sexe » et inventent le terme de « putitude ».

Daech, le cinéma et la mort, Jean-Louis Comolli (2ème critique)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Vendredi, 16 Septembre 2016. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Verdier

Daech, le cinéma et la mort, août 2016, 128 pages, 13,50 € . Ecrivain(s): Jean-Louis Comolli Edition: Verdier

J.-L. Comolli, critique de cinéma aux Cahiers du Cinéma de 1962 à 1978, responsable de la rédaction entre 1966 et 1971, continue à écrire ponctuellement dans diverses revues comme Trafic, et Images documentaires. Il montre dans son dernier livre comment les formes du cinéma de Daech « plient et déplient des opérations de sens » afin que la manière de montrer devienne une forme de pensée sans pensée chez le spectateur. La « société du spectacle » chère à Debord devient à la fois agression et (paradoxalement) séduction que l’auteur identifie et décrit. Le cinéma ne se veut plus fiction, ni reportage. Il revendique « du » réel absolu propre à faire ingérer une croyance du même type.

Alors que dans le cinéma classique il n’existe jamais de « vraie » mort, tout ici se renverse. La mort de l’impie est donnée comme « pur » spectacle qui joue d’un côté sur le registre de la consommation d’image et, de l’autre, de la transformation du spectateur en suggérant en lui, et par l’horreur, une peur comparable à celle que devaient engendrer jadis (et parfois encore) les exécutions publiques. Il ne s’agit plus comme souvent dans le cinéma de proposer des images au goût du passé, de la nostalgie, mais d’impliquer des stimuli immédiats dans ce qui devient le point maximum de la pornographie : la mise à mort sans ligne de fuite pour le spectateur en de lancinantes répétitions des vagues meurtrières sur lesquelles la fascination (ou on l’espère le dégoût) du spectateur vient se briser inlassablement.

Un Singulier Garçon, le mystère d’un enfant matricide à l’époque victorienne, Kate Summerscale

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 15 Septembre 2016. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Christian Bourgois

Un Singulier Garçon, le mystère d’un enfant matricide à l’époque victorienne (The Wicked Boy), traduit de l’anglais par Eric Chédaille, septembre 2016, 468 p., 24 € . Ecrivain(s): Kate Summerscale Edition: Christian Bourgois

Rarement l’écriture d’un livre, d’un roman authentique, n’a autant mérité le nom de travail que cet opus de Kate Summerscale. La somme de recherches, fouillées jusqu’à la plus extrême minutie, entreprises par l’auteure, est proprement fascinante. Imaginez un instant Michel Foucault écrivant un roman à partir de sa reconstitution documentaire célèbre d’un multi crime non moins célèbre, « Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère » (et quand on connaît le talent stylistique de Foucault, cela eût été tout à fait imaginable). Eh bien c’est là le tour de force de ce roman – car c’en est bien un, même si chacun de ses éléments est rigoureusement fondé sur une vérité historique quasi méticuleuse. Nous avons tous les documents de police, de médecins, de juges, d’avocats, de compagnons, de voisins, de maîtres d’école etc. qui vont venir constituer le dossier de cette affaire, commencée en 1895.

Le lundi 8 juillet 1895, pour être précis, Robert Coombes a tué sa mère dans son lit de plusieurs coups de couteau, avec la complicité (passive ?) de son jeune frère Nathaniel. On est en Angleterre, « à Plaistow, quartier ouvrier, pauvre mais respectable, du vaste arrondissement des docks d’East London. » Robert a 13 ans, son frère, 12.