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Iles britanniques

Descendre la rivière, Peter Cunningham

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 12 Mai 2016. , dans Iles britanniques, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Joelle Losfeld

Descendre la rivière (The Trout), traduit de l’anglais (Irlande) par Christophe Mercier, mars 2016, 190 p. 18,50 € . Ecrivain(s): Peter Cunningham Edition: Joelle Losfeld

 

Une plongée dans la mémoire, un voyage âpre dans les replis ombreux d’une vie, d’une famille, avec des trébuchements terribles qui laissent des traces indélébiles. C’est ce que nous propose Peter Cunningham dans ce superbe roman, écrit avec l’apaisement nécessaire à cette équipée mnésique.

Le narrateur, devenu écrivain installé au Canada avec sa femme, entre en vieillesse. Son passé le hante et il prend son baluchon pour aller à son devant, en Irlande, terre de sa naissance et de ses ancêtres. Un personnage, un événement en particulier, l’obsèdent, réveillés par la présence autour du couple depuis quelque temps d’un homme qui, à force d’insistance lourde, finit par l’inquiéter, par le questionner sur l’identité de cet importun. Et par ricochet sur son identité profonde.

Sur les traces de son père – le Docteur – Alex retrouve les lieux de son enfance et les gens aussi, ceux qui vivent encore. La figure des amis d’autrefois le hante. Celle de son père aussi, qui vit son dernier temps en institution. Figures blessées, abîmées par la luxure d’un prêtre ou par sa propre trahison.

Emma, Jane Austen

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 03 Mai 2016. , dans Iles britanniques, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard)

Emma, novembre 2015, trad. anglais Pierre Goubert, 688 pages, 7,50 € . Ecrivain(s): Jane Austen Edition: Folio (Gallimard)

En 2015, l’argument de vente de l’édition en Folio d’Emma, le quatrième roman de Jane Austen (1775-1817), publié de façon anonyme alors que celle-ci a quarante ans, est une « traduction nouvelle de Pierre Goubert ». Puisque le roman est ultra-connu (mais nous y reviendrons quand même plus loin), intéressons-nous au phénomène de la traduction en comparant la première phrase dans l’édition originale telle que publiée par le Gutenberg Project, dans la traduction de Pierre Nordon publiée au Livre de Poche en 1996 (toujours disponible) et dans la présente traduction. Voici cette phrase en anglais : Emma Woodhouse, handsome, clever, and rich, with a comfortable home and happy disposition, seemed to unite some of the best blessings of existence; and had lived nearly twenty-one years in the world with very little to distress or vex her. La version Nordon : Belle, intelligente et riche, jouissant d’une confortable demeure et d’un heureux caractère, Emma Woodhouse semblait dotée des plus précieux avantages de l’existence : et depuis près de vingt et un ans qu’elle était sur cette terre, elle n’avait guère connu le chagrin ou la contrariété. La version Goubert : Emma Woodhouse, belle, intelligente et riche, disposant d’une demeure confortable et dotée d’une heureuse nature, paraissait réunir quelques-uns des avantages les plus susceptibles de rendre l’existence aimable. Ajoutons qu’elle avait vécu près de vingt et un ans dans ce monde sans beaucoup de motifs de se désoler ou d’éprouver de la contrariété.

L’Heure d’or, William Nicholson

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 14 Avril 2016. , dans Iles britanniques, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Editions de Fallois

L’Heure d’or (The Golden Hour), mars 2016, trad. anglais Anne Hervouët, 411 pages, 22 € . Ecrivain(s): William Nicholson Edition: Editions de Fallois

 

William Nicholson continue brillamment sa toile sur sa petite société de la province anglaise. Et notre addiction y trouve son compte, comme dans une série dont on attend avec avidité la suite et le destin des personnages. On l’a déjà dit ici, l’art de Nicholson est de transformer la petite vie de ses humains en aventures passionnantes. Nulle généralité. Le regard de l’auteur se démultiplie pour nous faire saisir au plus près les chemins individuels. Dans la fourmilière, il ne regarde pas la fourmilière mais quelques fourmis, dans leur particularité.

Cet été anglais est torride. Laura, Henry, Maggie, Andrew, Mrs Dickinson et les autres sont dans leurs jardins, leurs maisons, leurs soucis, leurs joies. C’est le tableau d’une certaine société anglaise qui se peint devant nous : une société moyenne bourgeoise, provinciale, tenaillée par les doutes, l’inquiétude pour certains – sociale, affective – par l’ennui pour d’autres qui ont vieilli, ou qui ne travaillent pas, ou plus. Dans tous les cas, il s’agit de l’incapacité des êtres à vivre heureux, même s’ils en ont la possibilité. Cette hypothèse fascine Nicholson : les personnages sont comme des papillons de nuit devant la lumière, hypnotisés par l’échec à tout prix ! Et cela en espérant le bonheur !

Par bonheur le lait, Neil Gaiman

Ecrit par Didier Smal , le Samedi, 09 Avril 2016. , dans Iles britanniques, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Arts, Au Diable Vauvert, Jeunesse

Par bonheur le lait, novembre 2015, trad. anglais Patrick Marcel, illust. de Boulet, 112 pages, 12,50 € . Ecrivain(s): Neil Gaiman Edition: Au Diable Vauvert

 

Neil Gaiman (1960) fait partie des plus grands conteurs contemporains, et compte parmi ses admirateurs pas moins que Stephen King. On peut rappeler qu’il collabora le temps d’un roman avec un autre gigantesque conteur anglais, feu Terry Pratchett : c’était De Bons Présages (1990) et tant nos zygomatiques que notre capacité à l’émerveillement ne s’en sont pas encore remis. Dans l’œuvre de Gaiman, on trouve de la fantasy, du fantastique, de l’héritage gothique, de sublimes nouvelles, des romans graphiques – de tout, tant que ça transporte ailleurs, que ça fait fonctionner les neurones « imaginant » à plein rendement. Et ceci à tout âge, puisque Gaiman écrit aussi pour la jeunesse, même si de façon parfois quelque peu dévoyée : Coraline, sublime de noirceur, ou encore L’Etrange vie de Nobody Owens, un roman d’apprentissage littéralement fantomatique.

Avec Par bonheur le lait illustré en français par Boulet (mais par Skottie Young dans la version originale), Neil Gaiman revient à la littérature de jeunesse, voire quasi à destination des enfants. Disons, de grands enfants, à l’image de ceux de ce bref roman : huit, dix ans maximum, une fille et un garçon. Leur maman étant « partie à une conférence », ils sont seuls avec leur papa, à qui a été laissée une longue liste de consignes qu’il est capable de réciter par cœur, de ne pas oublier « de conduire les enfants à la répétition de l’orchester, samedi » à donner « à manger aux poissons rouges ».

La fin d’une imposture, Kate O’Riordan

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 31 Mars 2016. , dans Iles britanniques, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Joelle Losfeld

La fin d’une imposture, Kate O’Riordan, Traduit de l'anglais par Laetitia Devaux Ed. Joelle Losfeld janvier 2016, 377 p. 22,50 € . Ecrivain(s): Kate O’Riordan Edition: Joelle Losfeld

 

Si le très anglo-saxon concept de « Page-turner » a un sens, il est superbement représenté par ce roman, dont la particularité majeure est de vous accrocher très vite et de ne plus jamais vous lâcher jusqu’au dernier mot de la dernière page. Haletante, telle est la narration de ce livre, dont on n’attend pas forcément, au départ, que ce soit un thriller et pourtant qui en est un, terrifiant. Si un « page-turner » n’est pas forcément de la haute littérature, c’est, quand il est emmené avec le brio de ce roman, un excellent bouquin, à n’en pas douter.

La topologie de cette histoire est une affaire de dedans/dehors, dans le style bande de Moebius. La famille Douglas devrait être le dedans. Mais tout est tellement dehors chez elle : Le couple cassé, le fils mort pendant un séjour de vacances en Thaïlande, la fille dévastée et en rébellion. Et Jed – le beau et jeune Jed – il devrait être l’autre, le dehors donc. Mais voilà, il entre dans un cercle familial branlant et il met en œuvre sa destruction totale. L’auteure a bien compris que son histoire a affaire à la topologie. Dès les premières pages, à l’annonce affreuse de la mort du fils une veille de Noël, elle met en place sa structure dominante, le trou.