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Essais

Sous le roman la poésie, Le défi de Roberto Bolaño, Florence Olivier

Ecrit par Marie-Josée Desvignes , le Samedi, 27 Août 2016. , dans Essais, Les Livres, Critiques, Livres décortiqués, La Une Livres, Hermann

Sous le roman la poésie, Le défi de Roberto Bolaño, juillet 2016, 196 pages, 29 € . Ecrivain(s): Florence Olivier Edition: Hermann

 

Dans cet essai intitulé Sous le roman la poésie, et sous-titré Le défi de Roberto Bolaño, publié aux Editions Hermann, Florence Olivier propose une analyse de l’œuvre de Roberto Bolaňo et en particulier de ses deux œuvres majeures : Les Détectives sauvages, et 2666, deux romans monstrueux et géniaux qui font aujourd’hui la renommée de son auteur.

Par ce titre, elle démontre comment l’œuvre de fiction de Bolaňo emprunte les voies mystérieuses de la poésie qui « seule supporte l’absence de réponse, les dangers et la beauté du mystère », sans ignorer le talent de Bolaňo pour la satire qu’elle soit politique ou sociale et le rire (cf. la critique universitaire si drolatiquement moquée dans le premier livre, 2666).

L’engouement aujourd’hui pour l’œuvre de Bolaňo que Florence Olivier nomme « épidémie » se traduit de par le monde par « une série d’explosions successives » qui fait l’unanimité au-delà du paysage latino-américain, puisqu’il y a désormais un Bolaňo chilien, un Bolaňo mexicain, un Bolaňo espagnol, un Bolaňo américain, un Bolaňo français, un Bolaňo global !

Daech, le cinéma et la mort, Jean-Louis Comolli

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 19 Août 2016. , dans Essais, Les Livres, La Une Livres, La rentrée littéraire, Verdier

Daech, le cinéma et la mort, août 2016, 128 pages, 13,50 € . Ecrivain(s): Jean-Louis Comolli Edition: Verdier

« On peut imaginer que les décapitations filmées à Mossoul ont pu être vues moins de deux heures plus tard à Londres ou à Pékin. Par cette seule synchronisation, Daech apparaît comme maître du temps, régleur de calendrier. C’est l’une des raisons qui font que ces clips, brefs, ne soient pas montés, ou alors si peu : deux ou trois plans mis bout à bout. Retour de l’immémorial fantasme de l’image immédiate, image divine, apparition ».

Daech, le cinéma et la mort, condense dans son titre ce qui est en jeu dans la propagande maléfique filmée par les terroristes. Il s’agit de mettre la mort réelle en scène, de la rendre visible dans le monde entier et sur l’instant. Jean-Louis Comolli en cinéaste-penseur aiguisé, et en penseur-cinéaste affuté, met avec justesse ce projet funeste en lumière. Le support numérique qui a déjà enterré la pellicule cinématographique en finit là avec la mort jouée et toujours recommencée – le merveilleux clap, son silence et moteur, ça tourne –, qui n’a cessé d’habiter le cinématographe depuis les premiers films des frères Lumière. Les cinéastes artistes ont toujours pris leur distance avec la mort – Ford, Hitchcock, Bergman, Fuller (The Big Red One filme l’horreur des camps sans la montrer), Tourneur –, jeu de cache-cache scénarisé et cadré, mis en scène, il faut savoir la cacher, jouer sur ses fugaces apparitions et ses disparitions, dans tous les cas, préférer l’imaginaire à sa représentation.

Jamais mieux, Jean-Pierre Georges

, le Mercredi, 17 Août 2016. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Editions Tarabuste

Jamais mieux, 2016, 160 pages, 15 € . Ecrivain(s): Jean-Pierre Georges Edition: Editions Tarabuste

 

Ce dixième titre… C’est drôle ! Il y a vingt ans, paraissait au Dé bleu Je m’ennuie sur terre. C’était déjà un dixième titre – que voilà rétrogradé à la quatrième place « du même auteur » de Jamais mieux. Lecteur, avec Georges, la circonspection est de rigueur, ne serait-ce que pour ne pas pisser de rire. Car il y a vingt ans, Je m’ennuie sur terre paraissait un long poème en vers brefs, non ponctués, avec une majuscule à chaque début de strophe dont la longueur variait de un à seize vers, le tout entremêlant des réflexions caustiques et des fragments de récit immobile en vers. Or depuis, Jean-Pierre Georges a jeté le vers aux oubliettes. Il fait référence, dans Aucun rôle dans l’espèce (Tarabuste, 2003), « à l’époque où je ne savais pas encore qu’il n’y a pas de grands poètes ». Et, s’il écrit, dans Jamais mieux, « il fut un temps où je rêvais d’un “achevé d’imprimer par l’Imprimerie Floch à Mayenne” » il oublie la parution de La Plainte dans La Nouvelle Revue française de septembre 1988, entre des pages d’Octavio Paz et de Karen Blixen. Il y notait déjà : « Je n’ouvre aucun livre car je sais ce que j’y trouverai ; au pire l’insoutenable rhétorique au mieux la banale confirmation ». C’est là qu’il a trouvé sa voie, entre le poème en prose, assez voisin de Jean-Claude Martin, et ces sentences drôles, cruelles, désabusées. Emprunté à Cioran, son exergue offre une fusée éclairante : « On ne peut rien dire de rien. C’est pourquoi il ne saurait y avoir de limite au nombre de livres ».

Histoire du silence, Alain Corbin

Ecrit par Marie-Josée Desvignes , le Mardi, 16 Août 2016. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Albin Michel

Histoire du silence, avril 2016, 216 pages, 16,50 € . Ecrivain(s): Alain Corbin Edition: Albin Michel

 

Dans ce court essai d’une grande densité, Alain Corbin nous rappelle combien le silence nous constitue et pourtant combien nos sociétés, inondées d’images et de paroles, le fuient alors que par le passé « on en goûtait la profondeur et les saveurs ». Qu’il évoque l’intimité d’une chambre, celle d’une rencontre amoureuse, celle des instants partagés avec la nature, ou des rituels mystiques ou religieux, il est aussi emblématique de certains lieux (maisons, chambres, corridors, églises, prisons, bibliothèques, forteresses). Alain Corbin dresse une Histoire du silence comme un rappel de son importance dans l’Art et la Littérature, mais aussi dans nos vies, pour preuve son vocabulaire, ses mystères et ses tactiques, ses déplacements même de l’amour à la haine jusqu’au tragique qu’il transporte avec lui.

C’est dans la littérature surtout que Alain Corbin va puiser tout d’abord des références innombrables, et notre sensibilité frottée à celle des auteurs qui l’ont recherché et accueilli dans leur quête esthétique s’en trouvera confortée en puisant dans les très nombreuses citations rapportées par l’historien.

Il y a poésie, Mathias Lair

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 04 Juillet 2016. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie

Il y a poésie, éd. Isabelle Sauvage, 2016, 164 pages, 17 € . Ecrivain(s): Mathias Lair

 

Le livre de Mathias Lair peut se prendre comme une suite de « Lettres au jeune poète ». Au plus vieux aussi. L’auteur y propose son Ars Poetica par sauts et gambades plus que par tyrannie du logos. Et comme l’on dit, « ça dépote ». De manière jouissive et judicieuse. Le prétexte de caresser une forme poétique ne suffit pas à se prétendre poète. La connivence est remplacée par la distance nécessaire ente la réalité et le fantasme de l’écriture. La « tutoyer » impose un trouble double que même la seule expertise ou diagnostic autocritique ne suffit pas à établir.

Au premier rang des risques ou « incestes » (comme le dit Lair) inhérent au genre : l’idéalisme de supposés illuminateurs qui se prennent pour ses gourous (et parfois ses lacangourous). Ils réduisent à une théosophie de plus. D’autant que se cache souvent « sous » le prétendu poète un psychotique : il ne souffre pas (à l’inverse d’un Beckett) de ne pas être né, mais de n’avoir pas été « identifié ». L’objectif sera de faire savoir à la terre entière son état d’« inséparation » mais n’est pas Artaud qui veut. De cette maladie infantile surgit un totalitarisme, un besoin dérisoire de toute-puissance qui « puise à nos racines premières ».