A Rome avec Nanni Moretti, Paolo Di Paolo & Giorgio Biferali
A Rome avec Nanni Moretti, mars 2017, trad. italien Karine Degliame-O’Keeffe, 176 pages, 17,50 €
Ecrivain(s): Paolo Di Paolo & Giorgio Biferali Edition: Quai Voltaire (La Table Ronde)
Deux jeunes essayistes romains (l’un né en 1983, l’autre en 1988) tentent, par cet essai à la fois intime et très documenté, de montrer la relation particulière qu’un cinéaste noue avec la Ville éternelle.
Onze films, de Je suis un autarcique (1976) à Mia madre (2015), se déroulent à Rome, prennent Rome, non seulement comme toile de fond à des intrigues, mais encore comme parties essentielles de la vie d’un cinéaste qui ne peut décemment se passer de sa ville comme on ne peut le faire de sa propre mère. Du Monte Mario à Ostiense, en passant par Nomentana, le quartier Prati, Monteverde (où vécurent Pasolini et le cinéaste lui-même), Garbatella, tout Rome défile, jusqu’à montrer des coins tout à fait périphériques, des vues des bourgs plus éloignés encore. En ce sens, Moretti ne fait là que poursuivre une longue tradition de cinéastes romains puisant à la capitale des pans entiers de leurs films (De Sica, Monicelli, Scola, Emmer, Di Gregorio, Pasolini, Fellini…).
L’essai nous relate les anecdotes, les contours, les préparations des divers films, et en profite donc pour nous décrire un Moretti à l’aise dans l’improvisation, l’errance dans une ville qui s’y prête, et même en dehors du mois d’août qui la voit désertée. Les plans de certains quartiers, des photogrammes du tournage, nous situent les enjeux et permettent au lecteur de visualiser les repérages d’un cinéaste qui, à scooter, a donné le tournis à ceux qui désiraient connaître tous les quartiers de la ville par où l’auteur de Journal intime était passé.
Chez Moretti, l’intime et l’universel se mêlent, et chaque événement heureux ou endeuillé a favorisé la création : naissance de ses enfants, départ de sa mère. L’entretien qui suit l’ouvrage complète notre information. Moretti décline son amour matriciel pour Rome, pour ses équipes de tournage, ses comédiens favoris. Il évoque ses constantes, ses marottes, ses projets, sa volonté de ne pas donner au public ce qu’il attend nécessairement.
De tout cela émerge la figure d’un réalisateur, gagné par le thème de l’errance, du vagabondage humain, fou de la ville, de ses gens, de ses quartiers, de ses condominio, de ses places.
L’unité, l’homogénéité des films de Nanni Moretti doit beaucoup à ces signes extérieurs : la place privilégiée accordée à Rome révèle que toute ville éclaire la vie, publique, intime, ordonne ainsi la réflexion et l’intérêt d’un public conquis par le regard aigu, dense, intense d’un cinéaste doué pour le topographique et l’humain.
Un très bel essai, à deux mains. Digne des ouvrages de J. Gili et F. Buache.
Philippe Leuckx
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