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Essais

La honte, Réflexions sur la littérature, Jean-Pierre Martin

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mercredi, 15 Mars 2017. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Folio (Gallimard)

La honte, Réflexions sur la littérature, février 2017, 420 pages, 7,70 € . Ecrivain(s): Jean-Pierre Martin Edition: Folio (Gallimard)

 

La honte est un des grands moteurs de la création littéraire. Elle prend de multiples formes : personnelle ou sociale, historique ou politique. Parmi les textes plus connus sur ce thème, d’emblée reviennent les pages de Rousseau dans Les Confessions, ou Albert Cohen dans Solal, où les auteurs s’auto-flagellent (mais juste ce qu’il faut), et celles – bien différentes – d’Antelme, Semprun, Primo Levi, où ce sentiment s’empare paradoxalement des survivants selon un métabolisme biologique paradoxalement paradoxal. Il existe néanmoins une honte plus consubstantielle à la racine de l’écriture – chez Witold Gombrowicz par exemple.

Jean-Pierre Martin approfondit ce qu’il nomme ces « gouffres de déconsidération » qui nous rendent souvent si proches de ceux qui s’osent, se haussent ou s’abaissent à de tels aveux qui forcent (ou forceraient) à sortir de toutes poses. Le processus est complexe car il s’agit de surmonter le regard des autres (famille, société) et le sentiment intérieur qui oblige le plus souvent à n’oser sortir de ce qui invite au silence plus qu’à l’aveu. Ce sentiment peut devenir si paroxysmique qu’il arrive à un auteur de ne pas en survivre : chez Primo Levi ou encore Charlotte Delbo (que l’auteur ne cite pas).

Gouverner au nom d’Allah, Islamisation et soif de pouvoir dans le monde arabe, Boualem Sansal

Ecrit par Patryck Froissart , le Mardi, 07 Mars 2017. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Maghreb, Folio (Gallimard), Histoire

Gouverner au nom d’Allah, Islamisation et soif de pouvoir dans le monde arabe, novembre 2016, 182 pages, 5,90 € . Ecrivain(s): Boualem Sansal Edition: Folio (Gallimard)

 

Algérien, Boualem Sanlal consacre le premier chapitre de cette étude historico-sociologique à montrer comment « des prédicateurs discrets », pour la plupart des Frères Musulmans censurés dans leur propre pays, mais aussi des wahhabites « diligentés par l’Arabie Saoudite » se sont glissés, à la faveur d’un renouveau nationaliste et d’un sentiment général anti-occidental, dans toutes les couches d’une société algérienne en pleine reconstruction.

L’auteur donne ensuite une vue d’ensemble détaillée de l’Islam et du monde musulman, permettant au lecteur d’y voir un peu plus clair dans la définition des termes dont usent et abusent souvent sans discernement les médias d’une part et tout un chacun voulant aborder ce sujet complexe d’autre part.

Qu’est-ce qui différencie le musulman « ordinaire » du fondamentaliste, ce dernier de l’intégriste, du salafiste, du djihadiste ? Quand parler d’islamisme, de fondamentalisme, d’intégrisme, de salafisme, d’islam politique, d’islam radical ?

Portrait craché, Jean-Claude Pirotte

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mardi, 07 Mars 2017. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Le Cherche-Midi

Portrait craché, 191 pages, 16,50 € . Ecrivain(s): Jean-Claude Pirotte Edition: Le Cherche-Midi

 

Un homme attablé. À son bureau. Sans la mer qui, habituellement, lui ouvre la perspective et l’enroule dans ses ressacs. Un homme seul et malade. Soutenu par sa bibliothèque. Accroché aux mots – aux sot-l’y-laisse – ; rattrapé par ses désillusions (« Il s’est cru poète, longtemps, mais ne s’accommode plus de pareille illusion. Il se sait condamné, mais est-ce bien nouveau ? J’aurai vécu en compagnie de la mort depuis ma prime enfance (…) »). Car l’homme, le poète Jean-Claude Pirotte, chroniqueur du Journal d’un poète dans Lire, auteur de recueils de poésie et de romans au Temps qu’il fait et à La Table Ronde, entre autres, lecteur fervent et fidèle de Joubert (« (…) Joubert le tant aimé, qu’il convient de relire sans cesse ») écrit ici dans Portrait craché l’inventaire testamentaire d’une vie consacrée à la littérature. « Les livres sont des analgésiques », écrit-il, et ceux des écrivains qu’il s’est choisis dressent leur suaire de salive et de sueurs pour ériger un viatique de soin palliatif, afin de résister une dernière fois « à cette humanité moribonde où le silence et la mort sont siamois. La littérature comme remède ».

Je me voyage, Mémoires (Entretiens avec Samuel Dock), Julia Kristeva

Ecrit par Marjorie Rafécas-Poeydomenge , le Samedi, 04 Mars 2017. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Fayard

Je me voyage, Mémoires (Entretiens avec Samuel Dock), octobre 2016, 297 pages, 20 € . Ecrivain(s): Julia Kristeva Edition: Fayard

 

S’entretenir avec une femme aussi érudite, brillante et authentique que Julia Kristeva exige un interlocuteur de qualité, ce que réussit avec brio Samuel Dock, psychologue clinicien face à la psychanalyste de renom pour laquelle aucun détail ne lui échappe. Comme Nietzsche, Julia Kristeva est « nuance » et ne supporte pas les auteurs « qui jouissent de trancher dans le vif de tout ce qui les excite », ce « marketing déprimé ». Elle préfère tout disséquer, puiser dans sa mémoire insatiable, ce qui ne l’empêche pas de s’être forgé des convictions solides au fil de son « voyage » de réflexions. Comme celle sur les femmes : « Je n’ai jamais compris comment les femmes pouvaient se vivre comme le “deuxième sexe”. Pour moi la féminité exprime l’indéniable, l’irréfragable de la vie ».

Julia Kristeva est résolument une femme libre. Déracinée mais libre. En effet, ce sentiment de déracinement (par ses origines bulgares) est très prégnant dans ce livre. Elle a toujours ressenti un sentiment de solitude malgré sa bonne intégration dans la société française. Elle s’est toujours sentie faite pour la solitude et se récitait Nietzsche : « Souffrir de la solitude, mauvais signe : je n’ai souffert que dans la multitude ».

Le silence même n’est plus à toi, Aslı Erdoğan

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Samedi, 25 Février 2017. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Bassin méditerranéen, Actes Sud

Le silence même n’est plus à toi, janvier 2017, trad. turc Julien Lapeyre de Cabanes, 176 p., 16,50 € . Ecrivain(s): Aslı Erdoğan Edition: Actes Sud

 

C’est un long cri d’alarme et de douleur que pousse Aslı Erdoğan tout au long de ce petit et précieux recueil composé de vingt-neuf chroniques de la vie turque d’aujourd’hui. De nombreux thèmes sont abordés : le statut des femmes dans la société, le manque de liberté, d’égalité, la répression, l’enfermement, l’étouffement.

Le titre du recueil est tiré d’un poème de Georges Séféris, Gymnopédie, « Mycènes » :

« Le silence même n’est plus à toi,

En ce lieu où les meules ont cessé de tourner ».

Dans ce pays d’oppression, même notre propre mort nous est confisquée. En temps de guerre, il semble que le monde ait moins besoin de vérité. C’est pour la défense d’une vérité intangible de l’humain et de la femme, en laquelle elle croit et pour laquelle elle s’engage jusqu’à l’emprisonnement, qu’Erdogan prend la plume.