Identification

Critiques

Sphinx, Christine Falkenland

Ecrit par Victoire NGuyen , le Samedi, 18 Janvier 2014. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Pays nordiques, Roman, Actes Sud

Sphinx, trad. du suédois par Anne Karila, 8 janvier 2014, 228 pages, 21 € (et 15,99 € en version numérique) . Ecrivain(s): Christine Falkenland Edition: Actes Sud

 

Obsession

Une femme, quittée par son époux, un certain Félix, apprend par une connaissance que ce dernier a refait sa vie avec une femme riche nommée Claire avec qui il a un fils, Adam.

La femme, dépitée et profondément dépressive, décide de s’introduire dans la vie de ce couple. Elle entreprend alors d’écrire de longues lettres à Claire qu’elle appelle « la deuxième épouse » pour lui révéler la vraie nature abjecte de son mari. Cependant, au fil de la lecture, on perçoit de plus en plus les failles de cette femme. Artiste ratée, extrêmement possessive envers sa fille Ma, obsédée par le prix des choses et par l’argent, elle ne cesse de ressasser, de souligner maladivement ses échecs et ses manquements. Ses parents l’évitent bien qu’ils subviennent à ses besoins. Le père de Ma la fuit. Sa fille est elle aussi perturbée, sûrement contaminée par la folie de sa mère et sa relation fusionnelle avec elle. La femme sait que quelque chose a déraillé en elle. Elle verbalise d’ailleurs son mal avec une certaine lucidité : « Il s’est passé quelque chose qui me fait perdre l’équilibre ».

C’est quoi ce roman ?, Corinne Devillaire

Ecrit par Martine L. Petauton , le Samedi, 18 Janvier 2014. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Thierry Marchaisse

C’est quoi ce roman ?, janvier 2014, 224 pages, 19 € . Ecrivain(s): Corinne Devillaire Edition: Thierry Marchaisse

 

Titre adapté, tant dans les mots que dans le point d’interrogation. C’est ce qu’on se dit en abordant les premières pages, mais très vite on complète – c’est quoi ? on veut savoir ! et de lire – grandes enjambées enthousiastes… une pincée d’heures de lecture jouissive !

Roman de littérature « française » (cette compétence labellisée à faire surgir les remous des familles). Comme tant d’autres, plus ou moins attachants, ou même réussis ? Et bien, non ! Tout autre chose, presque indéfinissable : une ratatouille, un salmigondis de sentiments, de relations et rapports entre les uns, les autres, et même le chien. Famille « brouillée », signaux compliqués ; chemins sans repères. Labyrinthe… dans lequel Corinne Devillaire se plaît à nous perdre de la première à la dernière de ces étranges pages.

Tableau posé en quelques lignes : le père, la mère – attention, psy de métier ! un gamin attachant – très –, Pierre, deux filles, Clarisse et Clotilde – grandes ados oscillant entre secrets et mal être qui sied à l’âge, à l’abri d’un scolaire surdoué. Génération qui précède : une grand-mère d’un genre particulier, un grand-père d’un second mariage, Robert –  attention, le chien se nomme aussi Robert – encore plus à part…

Un petit peu d’herbes et des bruits d’amour, Cécile Guivarch

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Vendredi, 17 Janvier 2014. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie

Un petit peu d’herbes et des bruits d’amour, L’Arbre à paroles, 91 pages, 7,50 € . Ecrivain(s): Cécile Guivarch

 

Est-il possible de faire en sorte que l’écriture soit lien, se révèle telle, jusqu’au plus profond de son eau moirée ?

Certes, le lecteur et l’auteur sont en étreinte, le temps de la lecture, l’imaginaire venant s’improviser lit sur la scène du présent.

Mais est-il possible de faire en sorte que l’écriture soit un fil tissé entre les générations, qui retire celles disparues de leur immobilité sans souffle et les fait être en danse avec celles prenant à bras le corps le présent ; et les fait être en danse au mépris de la mort, de cette certitude qu’elle jette au monde et qui a goût d’une poussière que nos souvenirs – parfois – rendent bleue ?

Est-il possible de relever le corps mort de ses ancêtres en écrivant sur eux, en parlant d’eux, en soufflant avec sa bouche leurs mots disparus, en se laissant traverser par l’ombre rehaussée d’or de leur disparition ?

Souvenirs (et) Le chemin du serpent, Torgny Lindgren

Ecrit par Ivanne Rialland , le Jeudi, 16 Janvier 2014. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Pays nordiques, Biographie, Roman, Récits, Actes Sud

. Ecrivain(s): Torgny Lindgren Edition: Actes Sud

Souvenirs, récit traduit du suédois par Lena Grumbach, Actes Sud, novembre 2013, 235 pages

 

Le serpent, chemin faisant

Livre arraché à Torgny Lindgren par un éditeur, comme il l’explique dans une scène burlesque au seuil de ce volume, c’est à une drôle d’expérience de lecture que nous confrontent les mémoires de l’écrivain suédois, qui ne cesse d’insister sur son indifférence à la vérité tout en égrenant des scènes de son enfance puis de sa vie d’écrivain auxquelles nous ne pouvons nous empêcher de prêter foi. D’un côté, donc, l’ouvrage paraît éclairer le lecteur français sur les mœurs et l’atmosphère du Västerbotten, province natale de l’écrivain qui est notamment le cadre du Chemin du serpent et l’une des sources de son univers et de sa langue poétique. De l’autre, l’autobiographie, qui s’affirme irriguée de fiction, pourrait bien ne proposer là qu’un trompe-l’œil, en offrant au lecteur naïf en quête de sources et de clés le tableau d’une province toute romanesque et intime.

Caravansérail, Francis Picabia

Ecrit par Frédéric Aribit , le Jeudi, 16 Janvier 2014. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Récits, Belfond

Caravansérail, Edition établie par Luc-Henri Mercier, octobre 2013, 200 pages, 18 € . Ecrivain(s): Francis Picabia Edition: Belfond

Dada se fait dans la bouche. On imagine sans doute mal aujourd’hui ce que pouvaient être ces soirées joyeusement foutraques, véritables happenings avant l’heure, où l’on frappait à tue-tête sur des caisses jusqu’à ce que le public proteste, où Tristan Tzara hurlait son poème orgasmique Vaseline symphonique en imitant les ours, où Louis Aragon miaulait à quatre pattes pendant qu’André Breton croquait des allumettes. Dans ce gang du suprême décervelage façon Jarry, Francis Picabia n’est pas en reste. Avec les confortables revenus que lui a laissés son héritage maternel, Picabia s’est tôt fait un nom dans la peinture, sous l’influence première des maîtres de l’impressionnisme. Mais alerté par Marcel Duchamp, il devient l’un des électrons les plus actifs de l’avant-garde picturale, l’un des plus libres aussi, et c’est naturellement chez lui que s’installe Tzara lorsqu’il débarque à Paris en 1920, sa grenade Dada dégoupillée dans la main. Picabia jongle alors entre une femme, plusieurs maîtresses, une poignée d’enfants, et cent vingt-sept voitures qu’il collectionne comme les conquêtes, et qui le lancent dans cette trépidante vie mondaine où il côtoie le Tout-Paris, Cocteau y compris – c’est dire. Il y a là bien assez pour que son anticonformisme n’achoppe forcément avec ce que Tzara a en tête sous le nom de Dada, ou ce que Breton fomente déjà de son côté. De sorte que lorsque paraît en 1924 le Manifeste du surréalisme, Picabia a pris le large, ce dont témoigne Caravansérail, le roman à clefs qu’il écrit la même année (il ne sera publié qu’à titre posthume, en 1974).