Le passager d’Istanbul, Joseph Kanon
Le passager d’Istanbul, septembre 2014, traduction (USA) de Lazare Bitoun, 484 pages, 22,50 €
Ecrivain(s): Joseph Kanon Edition: Seuil
Voici un polar bien atypique. Si d’habitude, nous suivons dans ce genre littéraire la quête d’un meurtrier, dans ce roman, c’est avant tout à la conservation d’un assassin que nous veillons. D’autre part, s’agissant de l’enquête du meurtre perpétré ab-initio, il s’avère que c’est au meurtrier lui-même que l’on donne cette tâche.
Joseph Kanon situe son action en Turquie juste après le Seconde Guerre Mondiale. Ce pays neutre avait dû faire face à la préservation d’un équilibre précaire entre les alliés occidentaux et la Russie communiste. Bien que la guerre soit terminée, Istanbul et Ankara se trouvent néanmoins toujours dans cette situation inconfortable de balancier.
Ainsi, quand les Forces Secrètes Américaines font venir à Istanbul un ancien nazi roumain à des fins d’obtention d’informations secrètes russes, et que le responsable de l’opération est tué, le « coursier » en charge du transfert se retrouve bien en peine. Il doit en effet trouver une solution pour évacuer ce monstre recherché par les russes et haï par tellement de gens qu’il risque la mort à chaque instant.
Dans ce roman noir, nous nous retrouvons face à face à des enjeux politiques et diplomatiques. Les personnages doivent non seulement composer avec leur situation professionnelle secrète mais également avec des intérêts liés aux relations interétatiques qui bien souvent les dépassent.
A travers ce cache-cache, l’auteur nous donne également une vision de la guerre très différente selon qu’elle soit vue par l’un ou l’autre des personnages. C’est ainsi qu’une même situation vécue par plusieurs personnes a diverses versions et points de vue. La question est alors celle-ci : qui détient la vérité ? Comment savoir qui est dans son bon droit ou qui fait semblant d’être ce qu’il est ?
Toutes ces réflexions et intrigues poussent alors le lecteur dans un suspense angoissant. Pressés de connaître quelle fin peut être inventée, comment cette situation peut être dénouée, nous tournons les pages avec toujours plus d’empressement.
L’écriture donne un rythme crescendo, s’accélérant sans cesse à la même vitesse que les questions du lecteur.
L’auteur révèle également une facette de l’humanité peu flatteuse où même les « bonnes » actions révèlent un côté obscur. Où l’humain, la vie humaine, n’est qu’une marchandise face à des intérêts financiers ou politiques.
Si l’action est un peu lente à se mettre en place, le roman est néanmoins haletant. Et il vaut vraiment la peine de passer les premières pages pour alors se voir proposer cet énorme cas de conscience : doit-on tout faire pour venir en aide à un homme, même quand celui-ci s’avère être un monstre ? Peut-on vraiment, chacun, objectivement, valoriser une vie humaine ?
Pauline Fouillet
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