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Les Chroniques

Tombeau de Jorge Luis Borges, Daniel Kay (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 22 Novembre 2021. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Gallimard

Tombeau de Jorge Luis Borges, Daniel Kay, Gallimard, juin 2021, 128 pages, 14 €

 

Poésie savante

Le recueil de Daniel Kay prend un risque inconscient de faire du poème une idée. Mais la poésie est poreuse parfois et laisse s’installer en elle des matières altérantes. Ici, au contraire, cette porosité reste accueillante à la culture savante, culture qui sort tout à fait des sentiers battus de la scolastique. Le poème évoque, représente, fait occurrence de fins et raffinés points d’appui, sans oublier un peu d’ironie, des propos plus légers, restant sans cesse avec ce qu’il y a de haut dans la littérature.

J’aimerais aussi dessiner cet ouvrage d’un schéma en étoile. Tout d’abord au sujet des voies prises par le poème, qui nous relient à nous-mêmes comme dans la position de l’étoile de mer du yoga. De plus, au sens strict de la composition d’un ciel, comme par exemple le ciel de la Voie Lactée. Ainsi, ce Tombeau de Daniel Kay revêt l’aspect d’une étoile supplémentaire au ciel Lacté. On y croise tant de si grandes pléiades : Saint Jérôme, La Bible, Borges, Proust, etc., que l’émerveillement se poursuit dans le livre en une sorte de porte céleste au milieu de tant d’éminences spirituelles.

Dieu veut des dieux, La vie divine, Bertrand Vergely (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 19 Novembre 2021. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Dieu veut des dieux, La vie divine, Bertrand Vergely, éditions Mame, août 2021, 240 pages, 14,90 €

Il n’y a pas de problème de « sens de la vie » pour Bertrand Vergely, car toute vie lui semble avoir les trois « sens » requis : sa direction est de déployer ce qu’elle est ; son cours sensible est d’agir sélectivement sur l’inerte, les autres vivants et sur elle-même ; sa signification est d’obtenir de l’espace un lieu et du temps une durée propres, autonomes, depuis lesquels faire monde dans le monde. Et que la vie humaine soit une existence libre, consciente et rationnelle n’abolit en rien la présence de son sens (ni le sens de sa présence), mais simplement les complique, raffine et nuance un peu. Le non-sens, certes, guette la vie humaine car, son action sur soi s’accompagnant de représentation de soi (la pensée est en l’homme le pouvoir d’agir, surtout par parole, sur ses propres représentations, et la conscience celui de se représenter, surtout par mémoire, sa propre action ; la réflexion est la synthèse heureuse des deux, comme de pouvoir se représenter notre action même sur nos représentations), l’homme a dans sa vie de quoi enrayer, égarer ou différer son sens natif ; mais le non-sens dépend de sa sagesse, et la sagesse est son affaire. Il y a donc un problème spécifiquement humain de « sagesse de la vie », et Vergely veut contribuer à le résoudre, ici en l’arrimant à une vie divine qui doit suffire à l’homme puisqu’elle le fonde. Et c’est l’occasion pour nous d’avoir plaisamment quelques nouvelles de Dieu – qui, si elles n’ont pas à être bonnes, sont belles !

Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur & Arsène Lupin contre Herlock Sholmès, Maurice Leblanc (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 17 Novembre 2021. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur & Arsène Lupin contre Herlock Sholmès, Maurice Leblanc, édition d’Adrien Goetz, Folio Gallimard, septembre 2021, 336 & 352 pages, 5,70 €

Arsène Lupin est, pour l’amateur de séries télévisées de 2021, l’inspiration d’un personnage incarné par Omar Sy, Assane Diop, dans une série à succès, Lupin ; pour qui se tient éloigné du téléviseur et a souvent suivi les recommandations de Francis Lacassin, c’est un personnage créé en 1905 par Maurice Leblanc, et dont les aventures se succèdent jusqu’à la mort de son créateur en 1941. C’est surtout un représentant d’une certaine élégance, d’un certain savoir-vivre, et un personnage paradoxal dans une catégorie du roman policier née depuis peu, celle dont le personnage principal est un surhomme face à une police dont Ganimard, l’ennemi juré de Lupin, pourrait être le parfait représentant : « Il a d’excellentes qualités moyennes, de l’observation, de la sagacité, de la persévérance, et même de l’intuition. Son mérite est de travailler avec l’indépendance la plus absolue » (Arsène Lupin contre Herlock Sholmès). Bref, du Chevalier Dupin créé en 1841 par Edgar Allen Poe à Arsène Lupin, il n’y a qu’une lettre qui change ; l’esprit, génial et quelque peu facétieux, est quasi inchangé, et tant pis si l’intention semble opposée, Lupin étant de l’autre côté de la barrière. Et certes, Lecoq (Emile Gaboriau) et Sherlock Holmes (Conan Doyle) font partie de sa généalogie ascendante – de même que Rouletabille (Gaston Leroux) fait partie de sa généalogie descendante.

Le festin des hyènes, Fabienne Juhel (par Martine L. Petauton)

Ecrit par Martine L. Petauton , le Mardi, 16 Novembre 2021. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Le festin des hyènes, Fabienne Juhel, Le Rouergue, Coll. La Brune, octobre 2021, 208 pages, 18,80 €


On connaît Fabienne Juhel, et les fers au feu de ses beaux livres : servis par une belle écriture parfaitement maîtrisée, l’art de raconter une histoire, des envolées souvent frisant un rien le fantastique, des personnages que le lecteur n’a garde d’oublier, des tableaux historiques bien calés dans un décor précis comme au cinéma. Et puis, la « musique Juhel », à mi-chemin entre réalisme et lyrisme de bon aloi, parfumé au meilleur du poétique…

Dans ce dernier livre – pas le moins abouti – la caméra se transporte en Afrique noire, époque actuelle, l’Est, au bord d’un lac du grand rift, mais on devrait pouvoir trouver du similaire dans l’Ouest sub-saharien.

On savait hélas, la persistance du « vagin denté » de sinistre mémoire, et de l’ablation du clitoris des petites filles ; nous voilà dans le « festin des hyènes » ; hyènes, nom donné à ces jeunes ou moins jeunes hommes dont la « tâche » si ce n’est le devoir ancestral, est de déflorer les vierges, pour les préparer à leur vie future de femme et de mère – le « kusasa fumbi »… C’est donc un livre qu’on lira dans le silence du citoyen qui est à l’évidence convoqué d’un bout à l’autre du livre, en creux, toujours.

L’acteur, Hélène Revay (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 15 Novembre 2021. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Théâtre

L’acteur, Hélène Revay, Les éditions Sans Escale, octobre 2021, 70 pages, 13 €

 

Plus l’homme avance, moins il aura à quoi se convertir (Cioran)

 

Soliloque

En parcourant cette pièce, j’ai été vite persuadé que Samuel Beckett avait influencé la matière de ce travail. On y reconnaît la syntaxe d’un désespoir, la trace de présences innommables, sans nomination objective, l’absurdité donc de l’existence humaine. Cette impression est restée durable. Hélène Revay a suivi un cursus de philosophie à la Sorbonne, et sachant cela mon intuition a été définitive.

Cela dit, il reste à décrire la relation du lecteur à la pièce de théâtre, lecture dans un fauteuil. L’action n’est pas ici négligée, et on attend très nettement de voir la situation du personnage, de l’acteur, évoluer. Et l’on accepte bien aussi la mise en abîme du théâtre au théâtre, car le personnage n’hésite pas à dire qu’il est acteur et qu’il est dans un théâtre.