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Bleuets, Maggie Nelson (par Delphine Crahay)

Ecrit par Delphine Crahay , le Vendredi, 10 Janvier 2020. , dans USA, Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Biographie, Editions du Sous-Sol

Bleuets, Maggie Nelson, Editions du Sous-sol, août 2019, trad. anglais (USA) Céline Leroy, 112 pages, 14,50 € Edition: Editions du Sous-Sol

 

Du bleu au cœur

Etes-vous déjà tombé amoureux d’une couleur ? Maggie Nelson, oui, et c’est le sujet de Bleuets, bref et dense ouvrage traduit et publié par les Editions du sous-sol, dix ans après sa parution aux Etats-Unis, en 2009. Mêlant essai et autobiographie, il raconte l’histoire d’une passion, d’une fascination, d’un envoûtement même, qui a suscité l’« illusion choisie » que chaque objet bleu serait un « buisson ardent » ou un « code secret » à décrypter. L’auteure, après avoir mené tous azimuts une quête des bleus, se propose d’expliquer ce que cette couleur signifie et représente pour elle, à côté de ses significations et connotations admises. Son livre prend la forme de 240 fragments, de longueur irrégulière, au contenu hétéroclite mais reliés par un fil céruléen parfois ténu, parfois lâche, mais jamais coupé. Les épisodes autobiographiques, qu’ils concernent ou non la déliquescence d’un amour qui, pour être né avec la cueillette de bleuets, n’a rien d’un conte bleu, nous ont semblé d’un intérêt inégal – peut-être parce que, ne connaissant pas Maggie Nelson, nous n’entretenons pas – ou pas encore – avec elle cette intime et ancienne familiarité qui nous lie aux écrivains aimés, et qui rend curieux de leur vie aussi bien que de leur personne.

Les étoiles s’éteignent à l’aube, Richard Wagamese (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 12 Décembre 2019. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, 10/18

Les étoiles s’éteignent à l’aube (Medicine Walk), Richard Wagamese, trad. anglais Christine Raguet, 308 pages, 7,50 € Edition: 10/18

Un titre français affligeant de banalité pour (mal) commencer ce roman. Medicine Walk – le titre original – est tellement meilleur.

Le (mauvais) père, le fils abandonné mais quand même aimant. Les retrouvailles à l’approche de la mort du père, malade et ravagé par l’alcoolisme. Le voyage à travers la nature sauvage – les esprits des ancêtres Indiens demandant que les vieux meurent à un endroit précis, sur une montagne. Le bilan (désespérant bien sûr) de la vie du père raconté au fils. Et – est-il besoin de le dire ? – la rédemption avant le dernier souffle.

Voilà.

Ce roman, plutôt bien écrit, aurait pu être un plutôt bon roman s’il n’y en avait pas cent vingt mille du même tabac. L’usine à livres américaine – depuis une bonne dizaine d’années – raconte presque toujours la même histoire père-fils-faute et rédemption, à l’envi, jusqu’à plus soif. Ajoutez-y quelques beaux paysages, quelques scènes de violence, une pointe de mysticisme et vous avez la recette du cocktail.

Ainsi passe la gloire du monde, Robert Goolrick (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 10 Décembre 2019. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Anne Carrière

Ainsi passe la gloire du monde, Robert Goolrick, août 2019, trad. anglais (USA) Marie de Prémonville, 191 pages, 19 € Edition: Anne Carrière

Dernier opus d’une autofiction en trois parties, Ainsi passe la gloire du monde « rapporte » un enfermement, enfermement de Rooney, le personnage central, dans Le Cabanon – n’était-ce pas le lieu d’isolement des fous dangereux ? – reclus, mis à l’écart du monde parce que ruiné, mais aussi reclus volontaire, que la maladie auto-immune qu’il développe empêche de marcher, le clouant au sol… Mais qui est fou ? cet homme à qui comme l’on dit « tout a souri », qui a contribué à mettre au jour ce monde « argenté », ou ceux qui passent leur vie à paraître, les anciens « influenceurs » d’un monde où l’argent croît et se multiplie monstrueusement, s’engendrant lui-même ?

Le titre original Prisoner, éclaire ces cercles de l’Enfer où évolue Rooney – le cercle des « amis » qui ne répondent plus, le cercle de prédateurs, banquiers, créanciers, avocats… Ses faux amis se détournent de lui, son corps se retourne contre lui-même… tout est, ici, inversé. La chute, qui symbolise habituellement la perte de la virginité, de la décence, de l’humanité, qui porte en soi sa perte, devient ici rédemption, retour dans la matrice – du monde, de la mère. Car Rooney est porteur sain d’une ignominie dont, tout jeune enfant encore, il guette les stigmates sur son corps. Car son père, alors qu’il avait cinq ans, l’a violé dans le lit conjugal, sous les yeux de sa mère, impuissante :

Les Idiots d’abord, Bernard Malamud (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 07 Novembre 2019. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Nouvelles, Rivages

Les Idiots d’abord, octobre 2019, 266 pages, 22 € . Ecrivain(s): Bernard Malamud Edition: Rivages

 

Belles variations sur la solitude et l’incompréhension des êtres, Les Idiots d’abord est un recueil de nouvelles composées entre… et… par Bernard Malamud. Comme dans Le Tonneau Magique, on y retrouve cette étonnante alternance entre nouvelles new-yorkaises et nouvelles romaines. Et l’alternance n’est pas seulement géographique : à New-York, Malamud revient à ses fondamentaux : des boutiques pauvres, tenues par des vieux Juifs qui n’en peuvent plus de misère et d’ennui ; à Rome ce sont plutôt des chroniques mondaines et amoureuses. Mais toutes mettent en scène des personnages enfermés dans la difficulté de communiquer avec les autres. Les couples se délitent, les clients fuient, la solitude et la misère, morale et matérielle, s’installe, ravageuse.

Bernard Malamud est chroniqueur de moments de vie. Ses nouvelles ne sont pas des romans en condensé, elles ne racontent pas une histoire avec début et fin. Ses nouvelles commencent ici et finissent là. Il faut peut-être imaginer un Carver juif, avec ce que cela implique de minimalisme dans l’économie narrative mais aussi d’humour juif, désespéré mais drôle (drôle parce que désespéré). Les personnages de ces nouvelles ne peuvent pas saisir dans leurs mains, dans leur vie, ni les autres, ni eux-mêmes, ni les objets et lieux de leur présence. Tout échappe, glisse, s’enfuit, se perd. Comme Rome ici, métaphore du destin des hommes :

Les Mangeurs d’argile, Peter Farris (par Sandrine Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Vendredi, 11 Octobre 2019. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallmeister

Les Mangeurs d’argile, Peter Farris, août 2019, trad. anglais (USA) Anatole Pons, 327 pages, 23 € Edition: Gallmeister

 

Gabriel Tallent, dans son roman My absolute darling (Gallmeister, 2018), écrivait ce genre de phrase qui te laisse gamberger longtemps, qui te hante encore : « Peut-être que toute chose est en quête de ses limites et fuit son centre pour mourir ainsi ». Il est peut-être là le fil rouge du livre. Son concept. Comme si toute ta vie n’était motivée que par deux mouvements, aller vers et éviter. Ça va vite. À peine ouvert, les lignes filent, les nuages noirs sur les crêtes du domaine de Richie Pelham, propriétaire terrien et armurier. Les silhouettes. « L’homme filiforme » Billy, l’oncle Carroll, la belle-mère Grace, la demi-sœur Abbie Lee.

Jesse Pelham a quatorze ans et n’a plus que son père pour parent. La chasse, le pick-up, le quad, le fusil. Vingt pages lues et déjà le corps qui tombe, le coup de fusil ou le craquement d’un des barreaux de l’échelle. Le martèlement du corps au sol. Le bruit que font les os brisés sur la terre. Le son de la carabine. Les gueules suspectes. La moindre sonorité est ici meurtrière. Tout n’est affaire que de rythme en écriture, n’est-ce pas, c’est une marche au pas de course, une écriture menée au même rythme, un exercice du corps. Cinq chapitres – Combustion, Extraction, Propulsion, Accélération, Six semaines plus tard – pour battre le tempo. Les romans américains ont de l’amplitude, ils ont leur chambre d’échos en France. Et tu en redemandes. Tant mieux.