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Roman

Otages intimes, Jeanne Benameur

Ecrit par Marc Ossorguine , le Mercredi, 19 Août 2015. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Actes Sud, La rentrée littéraire

Otages intimes, août 2015, 208 pages, 18,80 € . Ecrivain(s): Jeanne Benameur Edition: Actes Sud

 

Après le magnifique quintette que constituait Profanes, Jeanne Benameur nous propose une nouvelle partition, un trio rassemblé autour du piano d’Irène, auxquelles quelques voix isolées viennent apporter leur contrepoint. Le récit de ce nouvel opus, Orages intimes, est aussi l’accompagnement d’une transformation, d’un retour et d’une possible renaissance.

Etienne est ce qu’on appelle un correspondant de guerre, un photographe de guerre plus précisément, un de ces hommes qui a choisi d’aller voir pour montrer, armé de son regard et de son Leica. Sur ce qu’on nomme parfois le théâtre des opérations, pour ne pas avoir su courir – ou pour avoir su suspendre la course pour un regard direct, sans l’écran de l’objectif et du viseur – il a été pris. Pris et fait otage. Transformé en simple objet de négociation et d’échange. Le prix, pour lui, aura été un enfermement, une réclusion à durée indéterminée. Un confinement sur quelques mètres carrés de silence et de bruits inquiétants qui savent effacer l’humain de lui-même, le réduire à une marchandise « en souffrance ». En attente d’on ne sait quoi.

Inconnu à cette adresse, Kressmann Taylor

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 17 Août 2015. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Autrement

Inconnu à cette adresse, juin 2015, trad. de l’anglais (E.-U.) par Michèle Lévy-Bram, 175 p. 8,50 € . Ecrivain(s): Kathrine Kressmann Taylor Edition: Autrement

 

En septembre 1938, le bimestriel américain Story Magazine publie une longue nouvelle intitulée Inconnu à cette Adresse, par un certain Kressmann Taylor ; ce sera un succès, critique et public, immédiat, et un véritable choc pour tous ses lecteurs de l’époque. Il ne faudra pas longtemps pour que le pseudonyme dévoile son secret : l’auteur est une femme, Kathrine Kressmann Taylor (1903-1996), et il s’agit d’une femme d’exception, puisqu’elle fut des rares à pointer la menace nazie dans un pays isolationniste où la German-American Bund pouvait revendiquer cent à deux cent mille membres. Car c’est de ça que parle Inconnu à cette Adresse : de la menace nazie, celle qu’elle fait peser sur les esprits, celle qui va mener à l’extermination massive des Juifs entre autres.

Cette nouvelle se présente sous la forme de dix-huit lettres, dont un « câblogramme », qui forment la correspondance échangée, de novembre 1932 à mars 1934, entre un Juif américain qui a séjourné en Allemagne, Max Eisenstein, et un Allemand parti de Californie pour habiter Munich avec sa famille, Martin Schulse. Ces deux amis tenaient une galerie d’art à San Francisco et le premier envoie des comptes au second, tandis que le second, dans un premier temps, le fournit en œuvres européennes.

La Fleur du Capital, Jean-Noël Orengo

Ecrit par Patryck Froissart , le Samedi, 11 Juillet 2015. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Grasset

La Fleur du Capital, janvier 2015, 764 pages, 24 € . Ecrivain(s): Jean-Noël Orengo Edition: Grasset

Voilà un livre « hénaurme » !

Un ouvrage autant colossal que l’est son objet : la gigantesque foire au commerce sexuel qu’est Pattaya. La démesure du volume (le livre, qui fait 764 pages, est de la taille d’un dictionnaire) est déjà en soi, avant même qu’on l’ouvre, par le poids qu’il pèse dans les mains du lecteur, significative du projet de l’auteur, qui est d’impressionner.

Il y réussit incontestablement, en ayant recours à toutes les stratégies linguistiques et stylistiques qui forcent la fonction impressive du langage, et en alternant fort théâtralement ce qu’il titre et sous-titre, en les numérotant, Actes, Scènes, Intermèdes, Répétitions (au sens scénique), Coulisses, Rideaux (dont le texte est ponctué curieusement de l’anaphore insistante « Même si »), chapitres narratifs à la première personne (dans lesquels, ici c’est un des personnages qui prend la parole, qui se raconte et qui décrit, là c’est l’auteur en personne qui analyse son écriture en train de se faire) qui s’intercalent eux-mêmes entre d’autres parties textuelles dans lesquelles domine la voix d’un narrateur omniscient, et, par-ci par-là, extraits fragmentés, présentés comme étant du copié-collé, de forums de sites de rencontres en ligne où s’interpellent, s’interrogent, s’invectivent, exposent leurs fantasmes, se traitent de menteurs des connaisseurs, vrais ou imaginaires, sur ce qui se passe, sur ce qu’ils ont vécu, et sur ce qu’ils prétendent qu’on pourrait vivre à Pattaya…

La joie, Charles Pépin

Ecrit par Marjorie Rafécas-Poeydomenge , le Samedi, 11 Juillet 2015. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Allary Editions

La joie, février 2015, 184 pages, 17,90 € . Ecrivain(s): Charles Pépin Edition: Allary Editions

Quand on se saisit d’un roman écrit par un philosophe, on redoute souvent que le récit soit trop « cerveau gauche » et analytique. Or à la lecture des premiers chapitres de La joie, cet apriori tombe et laisse place à de douces émotions. On sent vibrer le temps présent. La joie est là pour sublimer le quotidien, même le plus blafard des hôpitaux. La mère du personnage principal, Solaro, est mourante. Pourtant, cette triste nouvelle ne l’accable pas. Il continue à savourer son quotidien. Le bruit de la tasse sur le zinc d’un bar et la force de la caféine lui donnent envie de chanter. Il se « répète que c’est bon, c’est bon d’avoir un corps ».

Le début du livre est donc prometteur, on adhère tout de suite au concept de la joie du temps présent. Mais le scénario ressemble trop (de façon sûrement volontaire) à l’histoire de Meursault de L’Etranger de Camus. En effet, à la mort de sa mère, Solaro tue un homme sans raison particulière. Le reste du récit se passe au tribunal et en prison. Rien de révolutionnaire dans le scénario, mise à part la ferme intention de l’auteur de démontrer que la joie aide à surmonter l’adversité et même la mort. Ce petit clin d’œil à l’Etranger de Camus et au thème de l’absurde, n’est pas toujours joyeux et on frôle parfois la lassitude. Mais Charles Pépin tient son sujet jusqu’à bout et nous démontre à quel point, la joie, cette « force mystérieuse » est une excellente thérapie.

Le Puits, Iván Repila

Ecrit par Marc Ossorguine , le Vendredi, 10 Juillet 2015. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Espagne, Denoël

Le Puits (El niño que robó el caballo de Atila) octobre 2014, traduit de l’espagnol par Margot Nguyen Béraud, 112 pages, 11 € . Ecrivain(s): Iván Repila Edition: Denoël

Avec cet Enfant qui vola le cheval d’Atila (titre original), Iván Repila nous propose un premier roman dont le moins que l’on puisse dire est qu’il est à la fois atypique, énigmatique et fort. Personnellement, sans doute l’un des livres les plus étranges et puissants qu’il m’ait été donné de lire depuis des années.

Deux frères se retrouvent prisonniers d’un puits, tout ce que l’on sait d’eux c’est qu’il y a le grand et le petit. Poussés dans le puits, dans un lieu où personne ne passe, il n’ont aucun moyen d’en sortir. La nourriture qu’ils ont avec eux, le grand se refuse d’y toucher car il doivent la rapporter à la maison, à leur mère. Cela ressemble bien à un conte, une version sombre et réaliste d’un conte que l’on aurait pu lire ou entendre il y a fort longtemps, que l’on a oublié et qui nous revient par bribes.

Le grand et le petit survivent dans le puits, jour après jour, se nourrissant de ce qu’il peuvent y trouver, de ce qui peut y tomber. En haut, quelques regards se penchent parfois vers eux, curieux mais impuissants. Regards de loups et peut-être d’hommes aussi, curieux mais certainement pas bienveillants. Les jours se succèdent et les deux frères survivent au delà de l’imaginable. Le grand se souciant de sa forme physique pour pouvoir, le moment venu, faire sortir le petit, le propulser hors du puits vers la lumière et la vie. En attendant, leur monde se réduit à quelques souvenirs du monde et surtout à un univers humide et sombre, impropre à la vie, mais où ils survivent malgré tout.