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Roman

Plateau, Franck Bouysse

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 18 Février 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, La Manufacture de livres

Plateau, janvier 2016, 301 pages, 18,90 € . Ecrivain(s): Franck Bouysse Edition: La Manufacture de livres

La Cause Littéraire avait aimé Vagabond, adoré Grossir le ciel de Franck Bouysse. Néanmoins, Plateau marque un basculement dans l’œuvre en construction de cet auteur. Franck Bouysse atteint ici une maturité, une puissance, une économie d’écriture qui en font désormais un des tout meilleurs écrivains français.

Si le cadre de son roman n’a pas vraiment changé, on est en Corrèze sur le plateau de Millevaches, il perd désormais sa fonction de décor pour devenir un personnage à part entière, écho tellurique permanent à la solitude et la douleur de vivre des personnages, nourrissant leur détresse, distillant à coups de ciels noirs, de vents mauvais, de pluies agressives, l’infini malheur de vivre des quelques êtres désespérés qui peuplent cette histoire. Le Plateau est vivant, déroutant, mais il porte la mort en lui – éventuellement sous la forme incarnée d’un mystérieux Chasseur rôdant dans les bois, élément même des forces en œuvre dans cette partie du monde.

« Il est une ombre sur le Plateau, un germe sous un tégument, un murmure porté par le vent qui courbe à peine l’échine des herbes.

Imago prêt à toutes les mues ».

Tarédant Sous protectorat, Ami Bouganim

Ecrit par Anne Morin , le Mercredi, 17 Février 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Maghreb

Tarédant Sous protectorat, Matanel Foundation Avant-Propos, novembre 2015, 269 pages, 20,95 € . Ecrivain(s): Ami Bouganim

 

Tarédant est une ville imaginaire, à la fois détachée du Maroc et rattachée à ce pays, où vit une population juive en exil – physique et moral –, et de ce fait, aux traditions particulières, à la fois sur et sous-cultivée, « partagée » en deux clients principaux : les courtiers et les aliénés, chacun pouvant échanger avec l’autre avec facilité, en fonction de l’humeur des habitants qui se joue au gré des vents.

Ceux-ci, gouvernés par un prince de retour de contrées plus ou moins lointaines, se défient en joutes oratoires pouvant atteindre – et même dépasser – vingt heures : « L’entrevue entre les deux personnages dura environ vingt-quatre heures. Ils échangèrent des invectives dans la meilleure des traditions rédanaises et il va sans dire que celles de Brave-Vent – le prince – l’emportèrent par leur richesse, leur verdeur et leur pertinence sur celles, plutôt mièvres du médecin. Puis ils se provoquèrent en toutes les langues qui se pratiquaient sur la presqu’île, retenus l’un et l’autre par les riverains de la pointe scandalisés par le sans-gêne grec de l’un et la morgue gauloise de l’autre. Puis ils livrèrent tous les duels qui se pratiquaient dans le monde pour éviter de s’entretuer. Puis ils ouvrirent une mémorable bataille de cartes qui se termina par la ruine du médecin et son endettement » (p.24).

Bombay Girl, Kavita Daswani

Ecrit par Patryck Froissart , le Mardi, 16 Février 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Editions de Fallois

Bombay Girl, août 2015, trad. américain Danièle Mazingarbe, 253 pages, 20 € . Ecrivain(s): Kavita Daswani Edition: Editions de Fallois

 

Voilà un roman qui ouvre une fenêtre inhabituelle sur la société indienne, puisque l’histoire se déroule de nos jours dans les milieux ultra-huppés de la minorité privilégiée que constituent les grandes familles affairistes de l’entreprise capitaliste multinationale tenant le haut du pavé dans la mégapole de Bombay, détenteurs de fortunes aux origines parfois douteuses, voire délictueuses.

Tout Bombay savait comment Dipo gagnait sa vie, mais tout le monde s’en moquait. Ce qui comptait, c’était que Dipo soit affreusement riche…

Dans ces hautes sphères, l’empire financier de la famille Badshah occupe une place enviée. C’est pourquoi l’annonce que fait publiquement le patriarche fondateur de la compagnie Badshah Industries retentit comme un coup de tonnerre dans le ciel doré de ce Bombay où se côtoient et évoluent, loin des bidonvilles, journalistes, vedettes de Bollywood, brasseurs d’affaires, multimillionnaires, banquiers, proxénètes, escrocs à l’affût : le grand-père, détenteur des clés de l’empire, décrète qu’aucun de ses trois fils n’héritera de l’affaire, laquelle reviendra à celui de ses petits-enfants qui saura lui proposer un projet conséquent de nature révolutionnaire susceptible d’apporter à l’affaire familiale très prospère de nouvelles perspectives de développement.

Kannjawou, Lyonel Trouillot

Ecrit par Stéphane Bret , le Mardi, 16 Février 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Actes Sud

Kannjawou, janvier 2016, 208 pages, 18 € . Ecrivain(s): Lyonel Trouillot Edition: Actes Sud

 

Le vocable « Kannjawou » signifie dans la culture populaire d’Haïti le partage, la fête, à l’occasion de réjouissances. Dans le roman de Lyonel Trouillot intitulé ainsi, ce dernier met en scène cinq jeunes gens, qui à la veille de leur entrée dans l’âge adulte, osent encore rêver de leurs avenirs : ils se nomment Sophonie, jeune serveuse au Kannjawou, nom d’un bar du quartier de l’Enterrement à Port-au-Prince, Wodné, Joëlle, Popol. Leur soutien quotidien, c’est man Jeanne, mère de substitution un brin protectrice, qui tente de sauvegarder des règles d’humanité et prodigue des conseils à ces cinq adolescents, peut-être déjà en danger de perdition. Un autre personnage, le « petit professeur », tente grâce à sa vaste bibliothèque de leur inculquer des bribes de connaissances, de l’éducation.

Mais comment cela est-il réalisable dans ce pays, Haïti, dont l’auteur nous rappelle, très opportunément, qu’il a été occupé une première fois par les Américains, de 1915 à 1934, et qu’il est occupé une seconde fois par les ONG, les organisations non gouvernementales, depuis le récent tremblement de terre de 2010. Ce que met en relief Lyonel Trouillot, c’est le décalage entre les bonne intentions de ces occupants, et la réalité haïtienne :

Sanguinaires, Denis Parent

Ecrit par Mélanie Talcott , le Samedi, 13 Février 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Robert Laffont

Sanguinaires, janvier 2016, 372 pages, 21 € . Ecrivain(s): Denis Parent Edition: Robert Laffont

 

Sanguinaires de Denis Parent est un bon livre, bien écrit de surcroît. Ce n’est pas anodin de le souligner à une époque où la soupe littéraire nous réserve de piteux bouillons. Mais dire qu’un écrivain écrit bien, c’est une lapalissade, d’autant plus comme dans le cas présent, on parle de la plume d’un journaliste spécialisé dans le cinéma, scénariste et auteur de plusieurs ouvrages. Mais si c’est un bon livre, ce n’est pas néanmoins un grand livre. On est tous capables de conduire une voiture, mais il y a peu d’Ayrton Senna.

C’est un bon livre à plusieurs titres.

Denis Parent a du talent et un style tranché et bien trempé. Cela change des bouquins en mode clonage littéraire. Pas du surfait qui copierait du déjà fait. Non. Le sien porte à la fois l’effort du besogneux et le ciselage du talentueux. On sent qu’il gagne ses mots à la sueur de ses solitudes d’écrivain, noircies de mélancolie, de colères qui couvent sous les cendres de sa lucidité désenchantée qui ne demanderait cependant pas mieux que de s’émerveiller encore. De la bouteille et de l’étoffe. Une affirmation de soi qui s’impose par l’écriture. Chose rare à notre époque d’uniformisation de la pensée (entre autres).