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Poésie

Rien de trop, éloge du haïku, Antoine Arsan

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Lundi, 18 Décembre 2017. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Gallimard

Rien de trop, éloge du haïku, 2017, 11 € . Ecrivain(s): Antoine Arsan Edition: Gallimard

 

À la suite de l’indispensable Fourmis sans ombre, le livre du haïku, anthologie-promenade de Maurice Coyaud (Phébus, 1978), Antoine Arsan dirige notre regard vers le haïku, en essayant (il s’agit de tracer une voie directe) de gommer toute espèce d’intermédiaire qui serait, en définitive, futile bavardage, rappelant la façon qu’a cette forme poétique d’être accessible « à tous, sans initiation ni propédeutique ». Pour autant, si le haïku parle « au cœur sans intermédiaire obligé », si son essence « est profondément populaire », il atteint « dans l’expression une délicatesse, une élégance, un raffinement qui relèvent d’une forme inédite d’aristocratie ».

Mais un haïku, qu’est-ce exactement ?

« Forme poétique proprement japonaise, le haïku est la version ramassée en dix-sept syllabes d’un poème qui en comportait à l’origine trente et une – expression plus déliée que celle de la poésie officielle, longtemps inspirée du modèle chinois. Cette version courte s’est imposée à l’usage, tant par sa légèreté […] que par sa difficulté, beaucoup plus stimulante. […] [N]i élégiaque, ni lyrique, le haïku s’attache à saisir l’instant dans ce qu’il a d’insaisissable. Il se nourrit pour l’essentiel de la nature et du quotidien de la vie, dans une approche qui peut dissimuler une délicate subjectivité ».

Lamento 1955-1994, Jean-Claude Pecker

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Jeudi, 14 Décembre 2017. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Lamento 1955-1994, Z4 éditions, septembre 2017, 48 pages, 8 € . Ecrivain(s): Jean-Claude Pecker

 

« Je glisse sans appel dans la faute de l’histoire » (J. B.)

 

L’innommable

Ces huit poèmes sont un théâtre d’ombre. Pas n’importe lequel. Celui des disparus. Pas n’importe lesquels. Nelly et Victor. Les parents de l’auteur arrêtés en 1944 le jour de son 21ème anniversaire. « Je ne me suis jamais remis de leur disparition. Ils ont été arrêtés parce qu’ils étaient juifs ».

L’empreinte non seulement résiste : elle n’a pas bougé. Mais l’auteur a dû attendre 50 ans avant de se décider à les écrire et dix autres pour les terminer. Ces seules indications de temps précisent et témoignent de ce que de tels mots engagent : ce n’est pas un art de la fugue mais une toccata – rappel à l’ordre du cœur. Elle condense et porte à la langue vers l’avoir eu lieu, l’avoir aimé.

Fertilité de l’abîme, Denis Emorine

Ecrit par Patrick Devaux , le Lundi, 11 Décembre 2017. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Unicité

Fertilité de l’abîme, 2017, poèmes, 100 pages, 14 € . Ecrivain(s): Denis Emorine Edition: Unicité

 

Parler d’actualité en évoquant, par la même occasion, le passé (notamment en se servant de références historiques), voilà une partie de tout l’art de cet étonnant recueil d’un écrivain confirmé dans presque tous les genres.

L’auteur se sert de sensations universelles mais qui pourraient tout autant être très intimes, personnelles : « Je voudrais garder ta voix Tout contre moi A jamais Pour me réchauffer ».

Ce mélange de passé-présent a quelque chose de chimique, un peu comme on parle de la loi de Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée », avec toujours l’Amour en « embuscade » : « Je ne sais quoi dire Pour empêcher la nuit de tomber entre nous ».

Les images fortes transcendent une réalité qui ressemble à du rêve ou… au cauchemar… : « Le sang recouvre le monde Je ne distingue plus rien La glycine est morte ».

Quelque chose d’Apollinaire et des Lettres à Lou dans les mots de ce poète.

Le fils de la montagne froide, Han Shan

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 06 Décembre 2017. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Asie, Editions de la Différence

Le fils de la montagne froide, trad. chinois Daniel Giraud, 128 pages, 8 € . Ecrivain(s): Han Shan Edition: Editions de la Différence

 

Han Shan, dont on ne connaît ni les dates de naissance et de mort, a vécu au VIIe siècle de notre ère. Y-a-t-il eu un ou deux Han Shan ? Les historiens divergent, à ce propos.

En tout cas, Montfroid (Han Shan, montagne froide) est un poète de premier plan, qui, ermite, vagabond, laissé-pour-compte, a donné au poème bref de fameuses lettres de noblesse pour traiter de thèmes universels : la montagne-refuge, le passage du temps, le temps des livres, celui des amis, la nature, les oiseaux, l’errance propre à ces poètes extrême-orientaux (dans le droit fil de Han Shan, combien d’autres !).

La lucidité, l’intelligence des propos, l’économie des moyens mis en œuvre font que cette poésie élève, se reconnaisse comme insigne.

Remarquables, en effet, ces notations prises sur le vif, consignées sur les rochers de la pérégrination. Remarquable cette vision du monde, où la solitude est matière porteuse au même titre que les objets des rencontres : pépiements d’oiseaux, rochers, arbres.

Tu écris des poèmes, Murièle Modély

Ecrit par Cathy Garcia , le Lundi, 04 Décembre 2017. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Editions du Cygne

Tu écris des poèmes, novembre 2017, 95 pages, 12 € . Ecrivain(s): Murièle Modély Edition: Editions du Cygne

« Tu écris des poèmes », écrit l’auteur, s’adressant à elle-même en usant de ce tu, ce tu qui résonne comme une affirmation ou une accusation, une violence ; aussi bien un silence épais qui vient boucher la sortie des mots qu’un débordement de mots pour recouvrir le silence. Le volcan revient souvent dans l’écriture de Murièle Modély, on pense bien sûr à l’ile de la Réunion, un volcan peut-être « vibrant et lumineux comme le mot racine/dissimulé dans ta première dent de lait ». Volcan métaphore aussi de ce qui couve dans les entrailles, sous la croûte du quotidien, ce qui brûle et déborde par la moindre fissure, tantôt montagne solide, muette et impassible, tantôt menace d’explosion quand le solide pris de fièvre intense se fait liquide, salive, sueur, sperme, cyprine, alors tout tremble et les mots dévalent « dans tous les sens/à bride abattue/jusqu’à respirer sur la table/l’odeur de langue coupée ».

Le poème sourd de l’intérieur, il vient dire quand dire est trop difficile, voire impossible. « Tu écris des poèmes/lorsque tu sens le réel se dérober/dès l’instant où personne ne te comprend/et vice et versa où tu ne comprends personne ». Alors le poème jaillit du cratère, du gouffre : « comme le poème, tu as un trou au milieu de la phrase ». Chez Murièle Modély, les poèmes suintent de ce trou, forment le corps du poète. « Tes poèmes sont n’importe quelle partie de ton corps/n’importe laquelle (…) sauf la tête ».