Identification

Poésie

Et aussi les arbres, Isabelle Bonat-Luciani

Ecrit par Patrick Devaux , le Vendredi, 24 Août 2018. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Carnets du dessert de lune

Et aussi les arbres, mai 2018, 76 pages, 13 € . Ecrivain(s): Isabelle Bonat-Luciani Edition: Carnets du dessert de lune

 

Tous les sens de l’auteur sont en éveil à écouter, entendre, distinguer, ressentir à fleur de souvenir jusqu’au trouble qui mêle le haut et le bas, la cime et la racine de l’être, la sève de vivre : « Le ciel a débarrassé le plancher. Il est dans ma tête. Au fin fond. Toujours ça revient ». Les mots sont « tagués » les uns aux autres « pour tenir loin des désordres. Pour tenir loin des solitudes ».

Souvenir d’un premier amour ? Certes. Mais sans « Il était une fois » parce que l’évènement tourne en boucle.

Avec un ton faussement anodin, des choses importantes sont dites, toujours avec cette façon un peu explicative, voire professorale : « Parfois elle lui disait que pour aimer il valait mieux ne jamais rien savoir ».

Avec retours sur l’adolescence, l’image des parents, de la mère plus particulièrement, du corps qui se modifie, la vie en évolution parle à travers le temps qui se souvient de façon obsessionnelle : « Les gens marchent mais c’est dans ton image qui fissure le sol » ou encore : « Lorsque j’approche de ton absence, il y a ce toi bien trop immobile pour regarder ».

Textes à conquérir, Max Fullenbaum

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 21 Août 2018. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Textes à conquérir, Les éditions du Littéraire, juin 2018, 136 pages, 13 € . Ecrivain(s): Max Fullenbaum

 

Hiatus pour vies en disparition

On ne se remet jamais de l’histoire, surtout lorsque sous Hitler on avait un nom que l’auteur nomme « inflammable ». Pour autant, Fullenbaum n’écrit pas un énième livre sur la Shoah. Et l’auteur octogénaire surprend ici par la jeunesse de son écriture quasi expérimentale. Pour dire le désastre, Fullenbaum au lieu d’étouffer la langue hiatus au nom de celui qu’il trouve jusque dans le mot « jui-if » en une sorte de clin d’œil au second degré à son exergue emprunté à Flaubert : « Hiatus – ne pas tolérer ».

Celui qui dans son enfance a échappé par un quasi-miracle aux rafles et à dévaler son pays en Pétainie mélange ses souvenirs et le réel en fragments ambitieux, angoissants, drôles, terribles. Parfois une seule phrase suffit pour tout comprendre : « Toujours un peu d’argent sur vous pour être prêts à partir ». Car des années 40 à aujourd’hui rien ne change. Même dans le mot « ju-if » l’auteur distingue un hiatus, une coupure mais aussi un lien où le masculin et le féminin se mêlent.

Depuis une fissure, Elisa Biagini

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 21 Août 2018. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Depuis une fissure, Cadastre8zéro, décembre 2017, trad. italien Jean Portante, Roland Ladrière, 208 pages, 13 € . Ecrivain(s): Elisa Biagini

 

Publié en langue originale par Einaudi en 2014, Da una crepa a obtenu en 2015 le Prix Marazza. Il vient d’en recevoir un autre (décerné par la revue Nunc) pour la traduction, remis officiellement lors du Marché de la poésie de Paris, Place Saint-Sulpice, ce printemps 2018.

En édition juxtalinéaire – italien/français – le livre de poèmes d’Elisa Biagini joue des formes économes (on ne va presque jamais au-delà des huit vers), d’une densité qui donne forme aux objets, aux images fortes (j’ai des chaises dans la poitrine), aux lieux faits d’angles, de tables, de chandelles.

La « fissure », l’échancrure (du cœur ? du corps ?) offrent au lecteur passage à des aveux (tu écris aux bords, /pour laisser du souffle/ à tes mots) et à une nouvelle traversée des poèmes-frères/sœurs de Celan et Dickinson.

En peu de mots, dire le peu, le chagrin de vivre ainsi, la réclusion derrière des persiennes closes, écoutant le poisson dans/ l’oreille, l’étrange destin d’être :

Matières Fermées, William Cliff

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 15 Août 2018. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, La Table Ronde

Matières Fermées, mars 2018, 256 pages, 16 € . Ecrivain(s): William Cliff Edition: La Table Ronde

 

Deux cent dix-sept sonnets, disposés en huit « liasses » de textes, relatent l’ordinaire de la vie passée et présente de l’auteur belge, naguère publié chez Gallimard, dont l’incipit commence mal : « Me voilà déjeté… honni » ; qui se clôt sur le terme « oblivion » (ignoré par le petit Robert) ; entre les deux, pour combler la dose de haine ressentie et l’oubli inévitable qu’un sommeil peut accomplir, le temps d’une nuit de répit.

Dans une langue, qui prend son temps, pâte épaisse, toute de participes présents et de conjonctives, densément syntaxique, le poète de Gembloux (qu’il honore de nombre de mentions) retrace l’enfance, l’adolescence, les années de formation et de déformation (Petit-Séminaire…), les « sujets » au travail de ses parents, son « pauvre corps abattu, abîmé », ses amours, ses rencontres de hasard, de fortune, la voyoucratie qu’il exècre, ces impolitesses notoires dont sont victimes les voyageurs de train : « un malotru orné de deux donzelles/ monta et fit sonner des musiques “nouvelles”/ dont il voulait nous imposer le plein régime » (p.141).

L’ombre de la girafe, Éric Poindron

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 15 Août 2018. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres

L’ombre de la girafe, Bleu autour, Coll. Céladon, juin 2018, Image de couverture Michael Sowa, 112 pages, 13 € . Ecrivain(s): Eric Poindron

« Quand j’étais enfant, mon père me racontait qu’il vivait, enfant, au milieu des girafes. C’est toutefois mon grand-père qui est le plus grand responsable de ce petit livre, même si mon père y est sans doute pour quelque chose, ainsi que son grand-père si je me souviens ».

L’ombre de la girafe est une affaire de famille et donc de littérature, famille je vous aime en pleine savane sous l’œil des girafes. Éric Poindron est un écrivain à la mémoire vive et à l’imagination sauvage. C’est un collectionneur qui habite un grenier sans poussière, mais riche de fantômes, de papillons, de peaux de bêtes, de sabliers, de livres très anciens, de mappemondes, de sabliers, de miroirs curieux, de chats dormeurs, de mille objets glanés dans les savanes urbaines qu’il parcourt du pas léger du poète iconoclaste et aventurier. L’écrivain amateur de Champagne compose une galerie unique, un cabinet de curiosité, une céleste bibliothèque, où nous ne serions pas surpris d’y croiser quelques saints oubliés, des visionnaires, des cartographes, mais aussi Voltaire, Jules Verne, André Breton ou encore Borges le voyant visionnaire, et dans un coin le regard d’une girafe. La girafe d’Éric Poindron dite anciennement camélopard et camélopardalis, ne manque ni d’attraits, ni de répondant. Un cirque s’installe dans l’enfance familiale de l’auteur et elle est là ! Il ouvre l’ouvrage d’un érudit voyageur, elle se taille la part belle !