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Iles britanniques

Sous le filet, Iris Murdoch (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Vendredi, 08 Juillet 2022. , dans Iles britanniques, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Roman, Folio (Gallimard)

Sous le filet, Iris Murdoch, Folio, 1957 (réédition de mars 1985), trad. anglais, Clara Malraux, 348 pages, 9,70 €

 

En 1954, Iris Murdoch enseigne la philosophie à Oxford. Son charisme et son intelligence font déjà sa renommée d’universitaire et fascinent John Bayley, qui termine ses études de lettres. Quarante-cinq ans plus tard, dans la biographie qu’il lui consacre (1), celui-ci se souvient.

Dès leur première rencontre, elle l’interrogea : avait-t-il déjà songé à écrire un roman ? Le jeune homme crut à une simple politesse car « étant philosophe, il était évident qu’elle ne pouvait s’intéresser à ce genre de choses ». Miss Murdoch, qu’il épousa deux ans plus tard, lui déclara pourtant ce soir-là « qu’elle avait elle-même écrit un roman qui n’allait pas tarder à paraître ».

Sous le filet est ce premier roman. Clara Malraux le traduit et exprime son admiration dans quelques lignes de préface où elle saisit l’essence de l’œuvre naissante : son « éblouissante cocasserie », typiquement britannique, « une bonté vraie » qui s’étend aux hommes et aux animaux et « ce ton de tranquille évidence », révélateur plus efficace des méandres du réel que n’importe quelle étude prétendument sérieuse.

Monna Innominata, Christina Rossetti (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 04 Juillet 2022. , dans Iles britanniques, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Poésie

Monna Innominata, Christina Rossetti, éd. Les Défricheurs, octobre 2021, 80 pages, 12 €

 

Amour sacré

Connaissant peu la biographie ni même l’œuvre de la sœur de Dante Gabriele Rossetti, il m’a fallu chercher un équilibre entre ce que je lisais et l’impression d’étrangeté qui se dégage de ces pages. J’ai donc balancé assez longtemps dans mon interprétation. J’y ai vu, au premier abord, une poésie de l’amour charnel, de l’amour profane, ne sachant pas de quel amour la poétesse s’approchait dans ses vers. Comme je lis ces jours derniers Le Divân de Hafez de Chiraz où, dans le sens contraire, j’ai vu l’amour sacré derrière les lignes du libertin (fût-il vraiment un libertin ou un soufi ?). Ces deux hésitations montrent clairement que profane ou sacré il faut garder simplement l’amour et ne pas choisir, garder la trace mystique de Dieu, dans la chair, et la trace charnelle de Dieu dans le Ciel, dans la prière.

D’os et de lumière, Mike McCormack (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 21 Juin 2022. , dans Iles britanniques, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Points

D’os et de lumière (Solar Bones, 2016), trad. anglais (Irlande) Nicolas Richard, 275 pages, 8,60 € . Ecrivain(s): Mike McCormack Edition: Points

 

Nul point, de bout en bout, une phrase unique qui serpente, s’enroule, revient sur elle-même, se déploie de nouveau, se rompt, reprend, va crescendo puis descend, métaphore d’une vie d’homme, volonté d’un auteur d’embrasser tout ce qui la compose, jusqu’au moindre détail, projet panoptique qui se refuse à laisser au hasard la moindre nuance. Tel est ce roman d’un homme – le narrateur – qui se souvient dans un flux de mémoire intense qui le ramène aux sensations même éprouvées alors. Capturer le temps passé dans les mailles de la phrase, lui donner son épaisseur réelle, le restaurer dans le présent, c’est la folle aventure de ce roman puissant et captivant.

La phrase de McCormack se déploie aussi comme une tentative de capter l’histoire particulière dans son articulation à l’univers. Marcus Conway, le narrateur, n’est pas seulement ingénieur du bâtiment par profession, il l’est aussi par invasion de son être : rien, ni objet, ni fait, ni affect, n’échappe à sa passion de la construction, à sa conception du monde qui veut que tout élément soit forcément un morceau d’un tout, jusqu’au grand tout.

La Destruction libératrice, H. G. Wells (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 14 Juin 2022. , dans Iles britanniques, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Roman, Le Cherche-Midi

La Destruction libératrice, H. G. Wells, avril 2022, trad. anglais Patrick Delperdange, 336 pages, 19 €

 

L’œuvre de Herbert George Wells (1866-1946) se résume en français à quatre romans : La Machine à explorer le temps (1895), L’Île du Docteur Moreau (1896), L’Homme invisible (1897), et La Guerre des mondes (1898). Quiconque est observateur en aura conclu que Wells a dit l’essentiel et, au passage, été le cristallisateur de la science-fiction moderne et de certaines de ses préoccupations, en moins de cinq années. Le même observateur en vient à se demander comment l’auteur anglais a bien pu occuper le reste de son temps sur Terre. En cherchant un peu, il découvre un autre Wells, ou plutôt un Wells qui va plus avant dans les idées sous-jacentes dans ces quatre romans essentiels : Une Histoire des temps à venir (1899, une nouvelle), Les Premiers hommes dans la Lune (1901), Miss Waters (1902), Au temps de la comète (1906), ou La Guerre dans les airs (1908), présents dans quelques anthologies en français (mais sommet d’un iceberg de romans, nouvelles et essais publiés à foison, montrent un Wells prospectif, inquiet de l’avenir de l’espèce humaine, désireux d’un grand renouvellement social, fin connaisseur de l’Histoire de l’humanité – bref, un Wells polygraphe dont l’obsession semble être éviter à l’Homme de foncer droit dans le mur. D’ailleurs, dans la préface de 1941 à La Guerre dans les airs, il écrira : « Je vous l’avais dit. Foutus imbéciles ».

Grand Canyon, Vita Sackville-West (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 08 Juin 2022. , dans Iles britanniques, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Autrement

Grand Canyon, Vita Sackville-West, mai 2022, trad. anglais (Royaume-Uni) Mathilde Helleu, 296 pages, 21,90 € Edition: Autrement

 

« Tiens, voici un beau roman vibratoire, lis-le, n’en parlons pas, je saurai à ton regard quand tu l’auras lu ». Voilà ce qu’on voudrait dire à une personne aimée en déposant sur une table chez elle l’exemplaire de Grand Canyon dont on vient de tourner la dernière page, ému, touché en un noyau stable au fond de soi, comme à chaque fois qu’on lit un roman de Vita Sackville-West. Mais ce serait un peu court, comme critique – alors qu’au fond elle dirait l’essentiel.

Tâchons donc de nous plier à l’exercice, pour partager Grand Canyon avec tout le monde. La vie de Vita Sackville-West est bien documentée, la vie celle qui inspira Orlando à Virginia Woolf, et fut son Orlanda, que ce soit par ses propres écrits autobiographiques (dont un remarquable et apaisant Journal de mon jardin) ou par sa correspondance, et nul doute qu’on pourrait y trouver la raison de ces romans et nouvelles quasi tous traduits en français, au contraire de sa poésie.