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Essais

Holocauste, Une nouvelle histoire, Laurence Rees (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Vendredi, 05 Octobre 2018. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Albin Michel, Histoire

Holocauste, Une nouvelle histoire, janvier 2018, trad. anglais Christophe Jaquet, 636 pages, 24,90 € . Ecrivain(s): Laurence Rees Edition: Albin Michel

Pourquoi recenser, dans un site voué à la littérature, un livre d’histoire traitant de la Shoah ?

Parce que l’entreprise génocidaire nazie marque une des limites de la « littérature » et, peut-être, un de ses échecs, en tant que mode de connaissance du monde et de l’être humain. Aucun écrivain, si audacieux ait-il été, ne l’a vue arriver. Jules Verne a pu anticiper le sous-marin de guerre, le voyage sur la Lune, la télévision et bien d’autres choses, mais ni lui, ni personne d’autre n’a imaginé l’anéantissement programmé, rationalisé, technicisé, de tout un groupe humain. À l’autre extrémité du temps, rares sont les œuvres littéraires, les textes de fiction (en excluant donc les témoignages) qui se soient hissés au niveau de cette tragédie. On pense au finale du Dernier des justes ou à l’avant-dernier chapitre de La librairie Sophia.

Un mot du titre : désigner la solution finale par le terme d’holocauste est commun dans le monde anglo-saxon (Meryl Streep fit une de ses premières apparitions dans une série télévisée portant ce titre). En français, l’acception religieuse du mot (« Chez les Juifs, sacrifice où la victime était entièrement consumée par le feu. La victime ainsi sacrifiée », Littré) pose problème. On ne voit en effet pas à quelle divinité perverse et impie il aurait fallu sacrifier des millions d’êtres humains.

Les grandes villes et la vie de l’esprit, Sociologie des sens, Georg Simmel (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 27 Septembre 2018. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue allemande, Payot Rivages

Les grandes villes et la vie de l’esprit, Sociologie des sens, mars 2018, trad. allemand Jean-Louis Vieillard-Baron, Fréderic Joly, préface Philippe Simay, 110 pages, 6,60 € . Ecrivain(s): Georg Simmel Edition: Payot Rivages

Il est d’usage, dans le petit monde universitaire, de mépriser plus ou moins discrètement les articles de revue, qui représenteraient, par rapport aux livres, une forme moins aboutie de la pensée et de la recherche. Or bien des textes importants ne furent jamais autre chose que des articles de revue, à commencer par les cinq contributions envoyées aux modestes Annalen der Physik par un jeune savant inconnu, Albert Einstein ; contributions publiées en 1905 et plus importantes que bien des gros ouvrages en plusieurs tomes. Contemporains des démonstrations d’Einstein, les deux textes du sociologue Georg Simmel (1858-1918) réunis dans ce mince volume furent également des articles : Les grandes villes et la vie de l’esprit proviennent d’une conférence donnée en 1902 et publiée l’année suivante ; Sociologie des sens parut en 1907. Dans ces deux articles se déploie une pensée mûre. En sociologue digne de ce nom, Simmel s’intéresse à la grande ville contemporaine, celle où lui-même a pu vivre. Passée entre 1871 et 1914 de 800.000 à 4 millions d’habitants (une croissance démographique qui n’est pas sans évoquer, de nos jours, Istanbul), Berlin a fourni à Simmel un terrain d’observation et de réflexion privilégié (ses remarques recoupent en partie celles de Walter Benjamin sur Baudelaire et Paris, dans l’essai Sur quelques thèmes baudelairiens).

La Méditation et la Bible, Aryeh Kaplan (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 24 Septembre 2018. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Albin Michel

La Méditation et la Bible, janvier 2018, trad. anglais Zéno Bianu, préface Marc-Alain Ouaknin, 264 pages, 8,50 € . Ecrivain(s): Aryeh Kaplan Edition: Albin Michel

 

Le dictionnaire de Littré donne trois sens au substantif « méditation » : 1. « Action de méditer » ; 2. « Écrit composé sur un sujet de dévotion, de philosophie » ; 3. « Oraison mentale ; goût pour cette oraison ». On passe de l’activité intellectuelle à la prière, par un glissement dont la deuxième définition forme le pivot. Pour d’innombrables croyants à travers les siècles, la méditation fut une manière, voire une méthode, d’accéder à Dieu. Presque aussi innombrables furent, dans le catholicisme par exemple, les ouvrages proposant au lecteur des techniques afin d’atteindre les différents états de contemplation mystique. La vague de sécularisation balaya ces textes, désormais connus des seuls historiens (on lira l’excellent livre de Christian Belin, La Conversation intérieure. La Méditation en France au XVIIesiècle, Champion, 2002). Toutefois, le vide ne fut pas long à être comblé. À partir des années 1960, les techniques de méditation propres aux religions orientales, avec leurs excès et leurs ridicules, arrivèrent dans une Europe désenchantée. Toutes ces voies méditatives ont un point commun : l’idée d’un accès direct à Dieu, sans passer par l’intelligence ou la raison.

Schopenhauer, Thomas Mann (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 19 Septembre 2018. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue allemande, Buchet-Chastel

Schopenhauer, mars 2018, trad. Jean Angelloz, 236 pages, 12 € . Ecrivain(s): Thomas Mann Edition: Buchet-Chastel

Schopenhauer lu par Thomas Mann : à n’en pas douter, nous sommes en présence d’un éminent exemple de ce qu’on appelle « la critique des maîtres », très loin de la grisaille journalistique ou des rodomontades des gloses universitaires. Les premières lignes de l’opuscule (« Notre joie en face d’un système métaphysique, notre satisfaction en présence d’une construction de la pensée, où le monde trouve son organisation spirituelle dans un ensemble logique, cohérent et harmonieux, relèvent toujours, à un degré éminent, de l’esthétique ; elles ont la même origine que le plaisir, que la haute satisfaction, toujours sereine finalement, dont nous enrichit l’activité artistique quand elle crée l’ordre et la forme et nous permet d’embrasser du regard le chaos de la vie en lui donnant la transparence ») déjà installent sur les sommets cette rencontre entre Schopenhauer et son « suffisant lecteur ». Avec une déconcertante simplicité, l’auteur de La Montagne magique surplombe l’œuvre du philosophe, en rappelant sa dette envers Platon, qui distinguait les choses de ce monde, images mobiles, en perpétuelle mutation, des réalités éternelles, et lesdites réalités, les Idées, immuables. Cette distinction platonicienne n’est pas une théorie poussiéreuse comme on en trouve chez Aristote. Par elle, Platon préparait le terrain, d’une part, à la démarche scientifique (où l’on recherche des lois simples, abstraites, derrière la multiplicité des phénomènes concrets), d’autre part au christianisme à venir.

Les Larmes, Pascal Quignard (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 14 Septembre 2018. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard)

. Ecrivain(s): Pascal Quignard Edition: Folio (Gallimard)

 

Le grand érudit latiniste, féru d’histoire romaine, grecque, franque, le romaniste averti se fait mémorialiste des temps carolingiens dans ce « roman », pétri d’histoire, de culture, de références, et d’invention de son lot. L’écriture, reconnaissable dès les premiers paragraphes, allie une poésie corsetée, une description ascétique des corps et des âmes, une vision « historique » par son lexique, ses exigences. Le phrasé est coupé court (il évoquera bien sûr dans son récit romanesque la « Cantilène de Sainte Eulalie » dont il fallut couper le cou puisque les flammes n’érodaient nullement son corps. De son cou s’éleva une colombe). On retrouve ce style si particulier que Terrasse à RomeCarusLes Escaliers de ChambordBoutèsAbîmesLes Solidarités mystérieusesLe Nom sur le bout de la langueLes Ombres errantesVilla AmaliaSur le jadis, dans des registres différents, ont mis en exergue.

Le règne de Charlemagne et de ses descendants directs (surtout deux petits-fils jumeaux non reconnus comme légitimes, fils de Bertha, sa fille, …) occupe l’espace temporel (des années 777 à 843 : l’occasion donnée à notre écrivain d’évoquer les séquences d’Eulalie, les fameux serments de Strasbourg, et cette Europe, déjà morcelée alors, toujours vaillante et déchirée).