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Hommage à Philip Roth (5) : Le rabaissement

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 28 Juin 2018. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard)

Le rabaissement (The humbling), trad. de l'anglais (USA) par Marie-Claire Pasquier, décembre 2011, 122 p. 13,90 € . Ecrivain(s): Philip Roth Edition: Folio (Gallimard)

 

Un livre de Philip Roth n’est jamais un livre parmi ses autres livres. C’est un polygone de plus dans la toile tissée par le maître, une pièce de plus placée dans le puzzle – l’unique puzzle – bâti, pièce après pièce, depuis des décennies. Avec, comme tous les grands obsessionnels que sont toujours les grands écrivains, des thèmes récurrents, des « idées fixes » : ici, dans « le rabaissement », celui probablement qui domine l’œuvre de Roth, la boucle fatale du corps. Autour de l’Arc d’Héraclite : « l’Arc porte le nom de vie, mais son œuvre c’est la mort ».

Aussi « ne pas aimer » un livre de Roth, ou trouver – ça s’est lu à propos de « le rabaissement » - que « c’est un livre moins fort que les autres », c’est simplement passer à côté du projet, de la vie, de la passion littéraire de Roth. C’est aussi et surtout passer à côté de l’unicité d’une entreprise esthétique. Dans un tableau de maître, on ne trouve pas que le coin en bas à gauche est plus faible que le reste : le tableau est un discours indissociable, indivisible. Il en est de même de l’œuvre de Philip Roth : chaque élément constitue le sens esthétique de l’œuvre entière. Chaque élément est synecdoque.

Les Chasseurs de gargouilles, John Freeman Gill

Ecrit par Anne Morin , le Vendredi, 15 Juin 2018. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Belfond

Les Chasseurs de gargouilles, mars 2018, trad. américain Anne-Sylvie Homassel, 444 pages, 21,90 € . Ecrivain(s): John Freeman Gill Edition: Belfond

 

New York des années 70, non pas underground, mais « up ground », ce qu’il se passe « au-dessus » aurait bien pu, pourrait bien changer la face du monde… en tout cas cela change la vie de Griffin.

New York visité, revisité, détruit, abîmé ou embelli selon l’époque et la vision de chacun de ses habitants. Il y a ceux que cela indiffère, ceux à qui la transformation, la transmutation déplaît, et il y a ceux comme Nick, le père de Griffin, qui s’insurgent et s’accrochent, pour le meilleur et pour le pire, aux vestiges du passé :

« A l’est de la Deuxième Avenue, après les 20ès Rues, toute une série de pâtés de maisons avaient été anéantis. Au lieu des immeubles d’habitation, des magasins, au lieu des vitrines, des perrons, des gens, il n’y avait plus que des décombres. Un quartier entièrement rasé. (…) Les décombres, hérissés, pulvérisés, avaient beau s’ébouler dangereusement sous nos pas, ils paraissaient curieusement homogènes. Une ruine, c’est une ruine me disais-je. Dans notre exploration hésitante de ce tapis de débris, les yeux fixés prudemment sur le sol, je ne perçus rien qui donnât à penser que cet immense chaos avait pu revêtir un jour la forme solide, rassurante, d’un immeuble. Nous foulions un lendemain de cataclysme » (p.118).

Le miel du lion, Matthew Neill Null

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 14 Juin 2018. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Albin Michel

Le miel du lion (Honey from the Lion), juin 2018, trad. américain Bruno Boudard, 417 pages, 23 € . Ecrivain(s): Matthew Neill Null Edition: Albin Michel

 

L’écriture de ce roman est remarquable. Rythme constamment soutenu, phrases courtes, tension maximale, tout est fait pour vous emmener tambour battant dans un univers effarant, peuplé de personnages peu communs, marginaux, violents, en quête d’on ne sait pas trop quoi si ce n’est d’être embarqués dans la vague – même en tant que losers – du capitalisme américain en pleine explosion de croissance.

On est en 1904, en Virginie Occidentale. Des forêts immenses sont abattues par des compagnies privées qui n’ont d’autres règles que le profit. Et des hommes viennent de partout pour offrir leur force de travail et tenter de gagner leur vie, dans des conditions épouvantables. Ce moment de l’histoire industrielle des USA rappelle le cadre du splendide Serena de Ron Rash, qui nous emmenait sur les traces d’une femme sans morale qui exploitait sans pitié les bois et les hommes. Avec Matthew Neill Null, on est de l’autre côté, celui des exploités, des damnés de la forêt, de ceux qui laissent dans le bois des arbres leurs mains, leurs poumons, leur corps et très souvent leur vie. Les « Loups de la Forêt » – comme les appelle Neill Null – sont en fait les martyrs de la forêt. La folie de la surexploitation du bois devient métaphore d’un capitalisme sauvage, machine impitoyable à broyer les hommes.

Une question de temps, Samuel W. Gailey

Ecrit par Jean-Jacques Bretou , le Lundi, 11 Juin 2018. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallmeister

Une question de temps, janvier 2018, trad. Laura Derajinski, 328 pages, 21,30 € Edition: Gallmeister

 

Le mois de septembre 2005 restera à jamais gravé dans l’esprit d’Alice. Pourtant à 14 ans, elle pouvait s’imaginer un bel avenir de jeune fille intelligente, belle et convaincante. Elle réussi d’ailleurs à persuader ses parents de renoncer désormais à faire les frais d’une baby-sitter pour les garder son frère cadet et elle. Elle pense qu’elle est en âge de s’assumer et de surveiller le plus jeune. Alors que sa mère et son père sont sortis, elle garde le petit Jason, quatre ans, l’enfant du miracle, celui que l’on n’attendait plus, né onze ans après sa sœur. Ka-plonk. Ka-plonk. Cet enfant est particulièrement capricieux et colérique et c’est la troisième fois seulement qu’Alice joue les gardiennes. Ka-plonk. Ka-plonk. C’est le moment de mettre Jason en pyjama pour le coucher. Il ne répond pas.Ka-plonk. Ka-plonk. Alice va parcourir la maison en tous sens, jusqu’à ce que se précise à l’entrée de la buanderie ce Ka-plonk. Ka-plonk : Jason, enveloppé dans sa cape de Superman, inanimé, tourne dans le sèche-linge. Après cette macabre découverte, en proie à une immense culpabilité elle s’enfuie de la maison familiale pour ne plus jamais revenir.

Idaho, Emily Ruskovich

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 07 Juin 2018. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallmeister

Idaho, mai 2018, trad. américain Simon Baril, 359 pages, 23,50 € . Ecrivain(s): Emily Ruskovich Edition: Gallmeister

 

D’aucuns pourraient se plaindre du foisonnement des procédés de narration dans ce roman. Ils auraient tort car, quand des modes scripturaux sont aussi maîtrisés, aussi sculptés, ce ne sont plus des procédés mais bel et bien un authentique talent d’écrivain.

Emily Ruskovich nous offre un roman polyphonique époustouflant, dans lequel les personnages sont littéralement étouffés dans des jeux terrifiants de mémoires croisées, où chacun, chacune, s’approprie la mémoire de l’autre pour questionner l’énigme effroyable qui court tout au long du récit : non pas qui, mais pourquoi a-t-on tué la petite May, âgée de 6 ans ? Pourquoi sa mère, Jenny, s’est-elle retournée dans le pick-up et a-t-elle frappé sa petite fille d’un coup de hachette ?

Que les choses soient claires : ce roman n’a absolument rien d’un polar. C’est un roman où l’amour court de bout en bout, amour conjugal, parental, amitiés fortes, ce qui constitue en soi une énigme pour une histoire qui commence par un meurtre d’enfant. Le lecteur est très vite pris dans un engrenage narratif qui le dévore, l’angoisse, l’obsède au point d’y penser entre deux moments de lecture. Pourquoi donc, mais pourquoi ?