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Rendez-vous à Samarra, John O’Hara (par Sylvie Ferrando)

Ecrit par Sylvie Ferrando 12.04.19 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, L'Olivier (Seuil), Roman, USA

Rendez-vous à Samarra, février 2019, trad. anglais (USA) Marcelle Sibon, 288 pages, 22 €

Ecrivain(s): John O’Hara Edition: L'Olivier (Seuil)

Rendez-vous à Samarra, John O’Hara (par Sylvie Ferrando)

« Gibbsville était ennuyeux comme la pluie tout au long de l’année, mais […] tout le monde s’accordait pour dire qu’à Noël, c’était l’endroit le plus amusant qu’on pouvait trouver en province ».

Fin décembre 1930, à Gibbsville, Pennsylvanie, dans le très huppé et puritain milieu des notables de cette petite bourgade de l’Est des Etats-Unis, on fête Noël. En pleine réception, dans le fumoir du Country Club Lantenengro, Julian English, président de la Compagnie des automobiles Cadillac et marié à Caroline, jette le contenu de son verre de whisky-soda au visage de Harry Reilly, propriétaire de la même Compagnie.

Ce portrait d’une Amérique en pleine Dépression après la crise de 1929, figée dans ses conventions et en proie aux gansgters et bootleggers qui profitent de l’économie moribonde, raconte quelques jours de la petite vie provinciale de ses habitants : rapports entre les sexes, adultère, pessimisme, alcool et alcoolisme, relations à l’argent. Le roman a fait scandale à sa parution en 1934. Le titre, quelque peu énigmatique, provient d’une citation du célèbre romancier et nouvelliste William Somerset Maugham, qui s’énonce comme un conte oriental où la peur de la mort finit par précipiter vers elle un serviteur, de Bagdad à Samarra. Comme le serviteur de Bagdad, Julian s’est-il trompé de cible, de lieu de sa colère ? Que cache chez English cette violence qui se déploie quand il a bu ?

D’autres personnages viennent nourrir la galerie des portraits gibbsvilliens : Luther LeRoy Flieger et sa femme Irma, qui soutiennent Julian, Al Grecco, petit profiteur qui, de Philadelphie à Gibbsville, au volant de sa Cadillac, vient livrer aux English des caisses de champagne fournies par le bootlegger Ed Charney. A Noël, on boit, on fait la fête.

« A Gibbsville, une soirée mondaine devient une institution à partir du moment où la maîtresse de maison en évoque le projet devant quelqu’un, et où seule la mort ou toute autre intervention divine peut justifier son ajournement une fois les invitations lancées ».

Les flashbacks sur les adolescences de Caroline, puis de Julian English, viennent éclairer peu à peu le tableau. Après le Country Club Lantenengro, le Gibbsville Club se fait le lieu de règlements de comptes entre un cousin de Caroline et Julian, entre Julian et les avocats polonais qui y tiennent une table, tandis que Caroline, à bout de nerfs, va se confier à sa mère sur l’état de sa relation conjugale.

« Divorcer ! Mais cette idée en soi est… c’est mal, Caroline, et je ne vois pas comment tu peux prononcer ce genre de choses ».

Qu’est-ce qui s’est mis à dériver dans la vie de Caroline et Julian, au bout de quatre ou cinq ans de mariage ?

« Ah ! Julian, stupide, méprisable, mesquin, vil, méprisable salopard, comme je te hais ! Tu m’as fait ça à moi et tu sais très bien que c’est à moi que tu l’as fait ! ».

La nuit du 26 décembre 1930, à 23 heures, l’intrigue trouve son dénouement. Un dénouement surprenant, énigmatique, confidentiel, et qui sera sans doute vite oublié par les habitants de Gibbsville. Après tout, General Motors pourrait bien remplacer Cadillac…

« La Mort parle :

A Bagdad, un jour, un marchand envoya son serviteur acheter des provisions au marché, mais il vit bientôt revenir, blême et tremblant de peur, le serviteur qui lui dit : « Maître, il y a un moment, je me trouvais sur la place du marché et une femme m’a bousculé dans la foule ; or, en me retournant, j’ai vu que c’était la Mort qui venait de me bousculer. Elle a fait vers moi un geste de menace. S’il vous plaît, prêtez-moi votre cheval, afin que je fuie cette cité pour échapper à mon destin. Je galoperai jusqu’à Samarra et la Mort ne m’y trouvera pas ». Le marchand lui prêta son cheval et le serviteur le monta, lui enfonça ses éperons dans les flancs et s’éloigna au grand galop. Alors le marchand descendit jusqu’à la place du marché et, lorsqu’il me vit, debout dans la foule, il vint à moi et me demanda : « Pourquoi as-tu fait à mon serviteur un geste de menace en le rencontrant ce matin ? – Ce n’était pas un geste de menace, répondis-je, ce n’était qu’un sursaut de surprise. J’étais très étonnée de le voir à Bagdad, car j’ai rendez-vous avec lui ce soir, à Samarra » (W. Somerset Maugham).

 

Sylvie Ferrando

 


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A propos de l'écrivain

John O’Hara

 

Né le 31 janvier 1905 à Pottsville (Pennsylvanie), mort le 11 avril 1970 à Princeton (New Jersey), John O’Hara est un écrivain américain. Il est l’auteur de nombreux romans et de plus de trois cents nouvelles publiées dans le New Yorker. Son œuvre a inspiré plusieurs générations d’écrivains tels que John Cheever, John Updike ou Richard Ford.

 

A propos du rédacteur

Sylvie Ferrando

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Rédactrice

Domaines de prédilection : littérature française, littérature anglo-saxonne, littérature étrangère

Genres : romans, romans noirs, nouvelles, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Grasset, Actes Sud, Rivages, Minuit, Albin Michel, Seuil

Après avoir travaillé une dizaine d'années dans l'édition de livres, Sylvie Ferrando a enseigné de la maternelle à l'université et a été responsable de formation pour les concours enseignants de lettres au CNED. Elle est aujourd'hui professeur de lettres au collège.

Passionnée de fiction, elle écrit des nouvelles et des romans, qu'elle publie depuis 2011.

Depuis 2015, elle est rédactrice à La Cause littéraire et, depuis 2016, membre du comité de lecture de la revue.

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