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Roman

Le dimanche des mères, Graham Swift

Ecrit par Theo Ananissoh , le Vendredi, 24 Février 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Gallimard

Le dimanche des mères, janvier 2017, trad. anglais Marie-Odile Fortier-Masek, 142 pages, 14,50 € . Ecrivain(s): Graham Swift Edition: Gallimard

 

En gros, la pieuvre, c’est une tête et des bras multiples. Le dimanche des mères présente une forme (pas un aspect !) comparable à cela. Le narrateur – écriture limpide, traduction remarquable – se tient en quelque sorte fixement au mitan d’une journée de dimanche et compose un récit qui marie présent, passé et avenir avec un art de la variation focale tout simplement magistral. Le passé et l’avenir immédiats, un peu éloignés ou à plusieurs décennies de distance – d’où l’usage fréquent du futur dans le passé qui est un pur plaisir de lecture. Le corps fixe du propos, le pivot, c’est donc le dimanche ensoleillé du 30 mars 1924. Ça se passe à la campagne, dans le Berkshire, comté bucolique du sud de l’Angleterre parsemé de propriétés aristocratiques. Les employés de maison y sont à demeure ; laissant donc au loin, ailleurs, des parents, en particulier des mères auxquelles ils ne rendent visite qu’un dimanche précis dans l’année, celui donc dit des mères. L’absence pour ainsi dire générale des domestiques pendant cette fameuse journée, pour convenue ou contractuelle qu’elle soit, n’en est pas moins un « désagrément momentané » pour les maîtres. Afin de remédier à cela, les Niven et les Sheringham, voisins, se retrouvent chez les Hobday pour un « jamboree ». De plus, dans quinze jours exactement, Emma, la fille des Hobday, épouse Paul, le fils des Sheringham ; et les Niven sont invités d’honneur au mariage.

La langue oubliée de Dieu, Saïd Ghazal

Ecrit par Zoe Tisset , le Vendredi, 24 Février 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Québec, Moyen Orient

La langue oubliée de Dieu, Erick Bonnier Editions, janvier 2017, 232 pages, 20 € . Ecrivain(s): Saïd Ghazal

 

C’est un livre travaillé par la mémoire. Le lecteur comprend au fur et à mesure des mots et des phrases combien il peut être difficile de se souvenir comme d’oublier : « Wardé, ma grand-mère, avait la hantise de la mémoire disloquée, elle pratiquait le délire obsidional. J’étais l’entonnoir dans lequel son passé se déversait avec un amour mâtiné de haine ».

Aram est le descendant d’un peuple de confession syriaque parlant l’araméen, il est le dépositaire du cahier de son grand-père, personnage à la fois truculent, rempli d’une sincérité et d’un vouloir vivre hors du commun. « J’ai la langue mouillée par le ressac alphabétique d’un syriaque rouillé, d’un arabe trahi et d’un français adopté ».

Il faut qu’il traduise ce cahier, il n’a pas le choix, s’il veut enfin vivre avec lui-même. Rejeton d’une histoire d’amour et de meurtre, il vit avec une prostituée qu’il honnit, entre autre pour le rôle qu’elle a joué dans cette histoire qui le hante. « Didon, inconnue multiplicatrice de toutes coordonnées dans l’équation de mon existence. Ton émergence a fait chavirer l’opération d’addition simple de ma vie familiale et amicale ». Le style de l’auteur est flamboyant, il force l’admiration tant il est travaillé par une poésie du corps et des émotions :

Mon amie Nane, Paul-Jean Toulet

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 23 Février 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, La Table Ronde - La Petite Vermillon

Mon amie Nane, janvier 2017, 187 p. 7,10 € . Ecrivain(s): Paul-Jean Toulet Edition: La Table Ronde - La Petite Vermillon

 

Il faut loyalement avertir tout lecteur de ce joyau littéraire : il sortira de ce livre éperdument amoureux de Nane et pour longtemps. Nane c’est Paris, la beauté, l’esprit, la joie d’être jeune et adulée par les hommes. Nane c’est l’insouciance des fêtes, des salons, des spectacles, du tout-Paris bourgeois du début du XXème siècle. Mais Nane c’est, d’abord, une jeune femme issue du peuple et qui s’est hissée dans le monde avec ce que la nature lui avait donné de mieux, sa beauté. Elle fait commerce de son corps mais en demi-mondaine, comme on disait alors. Aujourd’hui on utiliserait sûrement « call-girl » mais en tout cas jamais putain. Nane a trop de charme et d’intelligence pour ce terme brutal et jamais, le narrateur – Toulet sûrement – ne se permettrait son usage.

Ce roman, est-ce un roman ? Pas vraiment. On a une succession de tableaux mettant Nane dans diverses situations, devant son miroir, chez sa mère, à Venise, lors d’un apéritif mondain. Une succession qui, irrésistiblement, fait penser au théâtre, si prisé alors sur les boulevards parisiens. Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit point d’un « théâtre de boulevard » balourd et souvent trivial tel qu’on le connaît aujourd’hui. Non, nous sommes plutôt du côté de Labiche, avec des dialogues pétillants, un humour souvent très drôle, des personnages décalés et toujours étonnants.

Parade Jeunesse d’Eternité, Zoé Balthus

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Dimanche, 12 Février 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Parade Jeunesse d’Eternité, Gwen Catalá Editeur, janvier 2017 . Ecrivain(s): Zoé Balthus

 

Dans ses écrits esthétiques, Zoé Balthus n’ignore jamais les dérapages de la langue plastique lorsqu’elle devient complice de l’impensable. C’est sans doute pourquoi son premier roman ramène à une des aubes majeures d’un tel langage. Preuve qu’au commencement était le Verbe mais aussi l’Image. Le livre débute au chevet d’un blessé de guerre au seuil de la mort : Guillaume Apollinaire, un éclat d’obus fiché dans le crâne. Pablo Picasso lui annonce que Jean Cocteau, poète inconnu à l’époque, lui propose de réaliser les décors d’un « ballet réaliste » qu’il veut créer pour les Ballets Russes. Le compositeur Erik Satie est déjà de la partie. Le livre réinvente une fraternité au milieu des arts dont les jeunes officiants refusent à un usage communal ou classique.

Certes des nuages traversent les cieux, mais l’ombre permet aux personnages de devenir non une projection, résultat d’années de recherches, de lectures, d’écritures et de réécritures tant l’auteure est à la fois passionnée et perfectionniste. Le roman, en dépit de son retour amont, n’a rien d’une consolation nostalgique. La narration devient un appel à la beauté en train de se créer dans les labyrinthes et les vicissitudes de ceux qui la fomentent. Chaque personnage exprime à la fois l’histoire d’une solitude et d’un appel à l’autre.

Seules les bêtes, Colin Niel

Ecrit par Philippe Chauché , le Samedi, 11 Février 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Le Rouergue

Seules les bêtes, janvier 2017, 224 pages, 19 € . Ecrivain(s): Colin Niel Edition: Le Rouergue

 

« La tourmente.

Oui, certains disaient qu’Evelyne Ducat avait été emportée par la tourmente, comme autrefois. La tourmente, c’est le nom qu’on donne à ce vent d’hiver qui se déchaîne parfois sur les sommets. Un vent qui draine avec lui des bourrasques de neige violentes, qui façonne les congères derrière chaque bloc de roche, et qui, disait-on dans le temps, peut tuer plus sûrement qu’une mauvaise gangrène ».

Seules les bêtes est ce roman de la tourmente. Le roman du vent glacial qui saisit les hommes et les femmes du plateau, qui vient griffer ce territoire oublié, perdu, saisi par le givre. La tourmente des corps et des âmes est au cœur de ce roman polaire. Une femme disparaît dans la tourmente, seule reste sa voiture abandonnée, et cette étrange disparition va révéler ces vies, ces rêves, ces fantasmes qui sommeillent entre les fermes sombres et isolées, dans les ornières des chemins boueux, et dans les bergeries où se blottissent les brebis.