Identification

Roman

A coups de pelle, Cynan Jones

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 23 Mars 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Joelle Losfeld

A coups de pelle (The Dig), 23 mars 2017, trad. anglais (Pays de Galles) Mona de Pracontal, 168 pages, 16,50 € . Ecrivain(s): Cynan Jones Edition: Joelle Losfeld

 

Cynan Jones sait de quoi il parle quand il écrit car il écrit du cœur même de ses œuvres. Il est paysan au Pays de Galles. Déjà, dans Longue sécheresse, il avait fait de la campagne galloise, âpre et ingrate, le sujet de son roman. Ici encore, ce court roman est un choc littéraire et humain. C’est un chant rude et poignant sur la perte et la solitude. Jamais la campagne galloise ne fut aussi sombre. Le style dépouillé, minimaliste, de Cynan Jones, construit une tragédie rurale glaçante.

Daniel est fermier. Il est le seul personnage à porter un nom dans le roman, pour mieux souligner son absolue solitude. Les autres, le grand gars, le policier, la mère, ne sont que des ombres rencontrées au hasard. Daniel vient de perdre sa femme, l’être de sa vie. Elle est morte sous le sabot d’un cheval qu’elle soignait. Depuis, il n’est que dévastation intérieure, terreur, souvenirs écrasants. Sa vie, à peine sa survie, ne tient qu’aux obligations de la ferme, les bêtes à nourrir, les naissances d’agneaux. Il ne laisse plus à personne le soin d’accompagner le travail des brebis. Il y trouve la vie à sa source, dans le ventre même des mères.

Article 353 du code pénal, Tanguy Viel

Ecrit par Jean-Jacques Bretou , le Jeudi, 23 Mars 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Les éditions de Minuit

Article 353 du code pénal, janvier 2017, 176 pages, 14,50 € . Ecrivain(s): Tanguy Viel Edition: Les éditions de Minuit

 

Ce livre raconte une histoire sombre comme peuvent l’être dans le Finistère les jours de pluie, l’hiver. Á force de tomber, le crachin vous pénètre tout entier et vous recouvre, corps et âme, d’une couche grise et poisseuse. Et le vent souffle sur le paysage un air à faire tourner la tête et lever le cœur. C’est une de ces histoires que l’on aime cependant à lire, retranché dans le confort douillet d’un intérieur qui vous abrite du temps et vous protège du mauvais sort. La Bretagne est une terre de légende et les Bretons savent les conter comme personne ou comme Tanguy Viel.

Celle-ci est celle de Martial Kermeur, un homme ordinaire, la cinquantaine demeurant dans une presqu’île de la rade de Brest. En fait Kermeur n’est pas si ordinaire qu’il y paraît. Il a été tellement malmené par la vie que l’on n’en revient pas vraiment de le voir tenir debout. Kermeur s’adresse à un juge d’instruction, il raconte son histoire, sa vie, avec ses mots, pas ceux qui sortent des livres de droit, comme il dit, et ses mains qu’il a besoin de sentir libres.

L’étoile Absinthe, Jacques Stephen Alexis

Ecrit par Marie-Josée Desvignes , le Samedi, 18 Mars 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Zulma

L’étoile Absinthe, février 2017, 160 pages, 17,50 € . Ecrivain(s): Jacques Stephen Alexis Edition: Zulma

 

Dans ce roman inédit, demeuré incomplet, où manquent quelques mots dans la première page, qui ne comprend que trois chapitres, et enfin disponible, on retrouve l’héroïne brûlante de l’Espace d’un cillement, Niña Estrellita, dans la deuxième partie de sa vie, après avoir quitté son grand amour El Caucho, le magnifique géant courageux défenseur des plus déshérités du roman-poème des cinq sens du chef-d’œuvre de Jacques Stephen Alexis. La revoilà donc dans une fugue solitaire ou plutôt un retour à elle-même, en femme téméraire bien décidée à vivre et à exister par elle-même « petite pelote d’électricité vivante », « Eglantine retrouvée qu’une dérobade – fuite et refuite –, qu’une panique d’amour fait brasiller, éblouie, chaleureuse, vers un ailleurs dont elle attend de grandes eaux purificatrices ».

Sa rencontre avec Célie va l’entraîner dans une aventure en haute mer sur le voilier le « Dieu-Premier » où elle sera mise au défi des vents et de la tempête, une tempête dont la violence des éléments n’est pas sans rappeler celle du régime Duvalier. Une violence jusque dans la langue d’une beauté fulgurante comme peut l’être la littérature caribéenne, une langue brassée d’apocalypse où s’entrechoquent les images, les sens, où tout est amplifié, démesuré.

Tais-toi, je t’en prie, Raymond Carver

Ecrit par Didier Smal , le Vendredi, 17 Mars 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Points

Tais-toi, je t’en prie, trad. anglais (USA) François Lasquin, 336 pages, 7,30 € . Ecrivain(s): Raymond Carver Edition: Points

 

Pourquoi lit-on les nouvelles de Raymond Carver (1938-1988) ? Pourquoi lit-on, ses poèmes ? Peut-être pour une raison très simple : comme le chante Gérard Manset nous avons des vies monotones, et celles que raconte Carver leur ressemblent par cette vertu de l’éclat soudain, de l’impression, occasionnelle mais prégnante, d’une faille dans l’univers dans laquelle s’engouffre un mal-être qui prend à la gorge, un peu comme ce que ressent Al, le père au bord du gouffre de la nouvelle Jerry et Molly et Sam : « Il lui semblait que l’univers entier s’écroulait autour de lui. Pendant qu’il se rasait, il s’immobilisa, le rasoir suspendu dans l’air, et fixa son image dans la glace. Son visage était pâteux, informe. Il suait l’immoralité. Il reposa son rasoir. Cette fois, je me suis planté pour de bon. J’ai commis la plus grave erreur de ma vie. Il saisit le rasoir, le plaça contre sa gorge et acheva de se raser ».

Embruns, Bernard Pignero

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Vendredi, 17 Mars 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Embruns, Encretoile éditions, 165 pages, 17 € . Ecrivain(s): Bernard Pignero

Louis-René des Forêts invite le lecteur dans Ainsi qu’il en va d’un cahier de brouillon plein de ratures et d’ajouts… à « mettre en doute l’omnipotence communément accordée au verbe, ce verbe qui, sous une forme abâtardie, mais jouant de son vieux prestige et disposant d’instruments tout neufs de diffusion, déverse à satiété sur le monde déjà saturé un flot d’éloquence creuse plus propre à l’obscurcir qu’à l’éclairer ».

Comment ne pas prendre acte de ce constat ? Mais encore faut-il, pour les romanciers français, apporter une réponse à celui-ci, sans divorcer d’avec le verbe : en continuant d’être chevillés au corps du français, sans instaurer d’arythmie dans les mouvements complexes, historiquement évolutifs, de cette langue. De son cœur.

L’œuvre romanesque de Bernard Pignero est une claire réponse apportée à la féconde mise en doute qu’a formulée des Forêts, et qu’avaient déjà formulée en leur temps Paul Valéry et Alfred Jarry. Dans une simplicité qui est le fruit et d’une longue maturation et d’un savoir-faire acquis grâce à l’approfondissement de la pratique de la nouvelle (cf. L’œil nu paru chez HB éd. en 1998), Pignero peint des personnages par petites touches, avec un souci du détail et de la vraisemblance qui confine à l’éthique, afin de faire affleurer leur humanité, ce soleil fait d’ombres. Afin de la faire doucement affleurer : sans jamais brusquer le lecteur, sans jamais donner raison aux heurts qui ne sont pas ceux de la vie.