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Les Livres

Quand la parole attend la nuit, Patrick Autréaux (par Pierrette Epsztein)

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Vendredi, 25 Octobre 2019. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Quand la parole attend la nuit, Patrick Autréaux, Verdier, août 2019, 176 p. 15 €

Le titre du nouveau roman de Patrick Autréaux, Quand la parole attend la nuit, paru fin août 2019 aux Éditions Verdier, annonce d’emblée l’obscurité de toute formulation dans un texte. En effet, toute tentative d’éclaircissement d’une trajectoire de vie n’est-elle pas une reconstruction dans l’après-coup, toujours plus ou moins déformée par la subjectivité d’un narrateur ?

Dans ce roman aux couleurs multiples, nous sommes conviés par Solal, personnage de fiction qui sera le principal protagoniste de l’ouvrage, à un parcours d’apprentissages où s’entrelacent apprentissage de l’amour et de ses accrocs, apprentissage d’un métier avec son attachement malgré son âpreté et la découverte de soi, la découverte de l’autre dans toute sa complexité, découverte de la nécessité impérieuse de l’écriture. Dans le déroulé des pages, il invite à arpenter avec lui les arcanes nébuleux de son existence. Avec une curiosité en éveil, nous suivons un fil rouge qui nous aspire dans le labyrinthe tumultueux des jours et des nuits de ce personnage sans cesse envahi par le doute. Nous l’escortons dans l’enfilade de ses souvenirs, un souvenir en appelant un autre dans une suite ininterrompue. Nous découvrons avec lui, dans des détails de son existence, la trace des jours enfuis qui persistent et insistent, façon bouleversante de rappeler ce qui l’a ému dans sa vie, tout ce qui frappe sa sensibilité, tout ce qui l’étonne et le questionne.

L’imitation de Bartleby, Julien Battesti (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 24 Octobre 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard

L’imitation de Bartleby, Julien Battesti, octobre 2019, 128 pages, 12 € Edition: Gallimard

 

« Comment ne pas voir que chaque ouvrage théologique était un exemplaire de ce grand “livre sur rien” que les écrivains les plus ambitieux convoitaient ? Je n’ai jamais jugé utile de dire à mes professeurs que j’envisageais la théologie comme un genre littéraire car de la littérature, encore aujourd’hui, je n’attends pas moins que la résurrection et la vie éternelle ».

L’Imitation de Bartleby possède le pouvoir romanesque de faire se lever les morts du néant où on les a abandonnés. De faire entendre des voix, celle de Bartleby, le scribe de Melville, I would prefer not to, qui irrigue toujours les admirateurs de l’éblouissant aventurier de Manhattan et des îles du Pacifique. I would prefer not to, qui peut vouloir dire Je préférerais ne pas, Jean-Yves Lacroix, ou encore Je préférerais n’en rien faire, mais aussi J’aimerais mieux pas, sous le regard cette fois de Michèle Causse, l’autre voix que fait entendre Julien Battesti, l’écrivain inspiré. Une voix et un visage accompagnent ce roman, gracieusement composé. L’imitation de Bartleby est un roman visité, habité par Melville et Michèle Causse.

Plateau, Franck Bouysse (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Jeudi, 24 Octobre 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, La Manufacture de livres

Plateau, 304 pages, 18,90 € . Ecrivain(s): Franck Bouysse Edition: La Manufacture de livres

 

Bouysse, que plusieurs romans ont mis à l’honneur ces dernières années, n’est pas seulement un fabuleux raconteur d’histoires (dans le droit fil de certains Américains doués comme Vann), mais aussi et surtout un écrivain styliste qui maîtrise ses instruments et qui rejoindrait, si ce n’est pas minimiser l’importance de l’un et de l’autre, Serge Joncour, par cette manière sensible de coudre le réel à force de mots forts et d’un ton à nul autre pareil.

Plateau réussit à emporter la mise par la description insigne d’un univers sensible, cette ruralité à fleur de peau qui semble sourdre de la moindre phrase, faite de tâches triviales, d’attente, de bêtes que l’on soigne et de personnages remisés dans leur passé et qui mettent tout leur saoul à en découdre avec les aléas, les mystères, la vie.

Prenez Virgile, paysan au long cours, qui n’a pas eu un lien facile avec le métier. Prenez Georges, dont les parents sont morts tôt, et qui a été recueilli par son oncle Virgile et sa tante Judith, peu à peu perdue dans son monde à cause de l’âge.

La Fabrique des salauds, Chris Kraus (par Mélanie Talcott)

Ecrit par Mélanie Talcott , le Jeudi, 24 Octobre 2019. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Belfond

La Fabrique des salauds, Chris Kraus, Belfond, août 2019, trad. allemand Rose Labourie, 880 pages, 24,90 €

La Fabrique des salauds – titre français du roman Das Kalt Blut (Le sang froid, titre aux milles nuances mais moins dragueur) de Chris Kraus – laisse penser a priori que l’on ne l’est pas par nature, mais qu’on le devient, puisque « fabriqué » avant que d’être estampillé, comme l’on marque du bétail, du sceau de la manufacture idéologique dominante.

Ici, le tampon apposé est le nazisme. Mais tous les ismes et leurs dérivés, courants de pensée laïques ou religieux, philosophiques, politiques, scientifiques et tout le tintouin, qui depuis sa naissance, ont traversé et traversent toujours la cervelle de l’Homo Sapiens, ont le leur.

Là, son histoire événementielle borne le roman de 1905 à 1974.

De la révolution des Bolcheviks jusqu’aux attentats terroristes de Septembre noir, en passant par l’occupation russe de la Lettonie, la montée du fascisme en Allemagne, la deuxième guerre mondiale, l’après-guerre, ses nazis et ses collaborateurs recyclés dans les rouages étatiques, la création de l’État d’Israël, la guerre froide, mai 1968, la bande à Baader, la guerre au Vietnam…

Le Livre des incompris, Irène Gayraud (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Mercredi, 23 Octobre 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Editions Maurice Nadeau

Le Livre des incompris, Irène Gayraud, octobre 2019, 180 pages, 18 € Edition: Editions Maurice Nadeau

 

Le personnage narrateur, universitaire ès philosophie, retraité, à qui « il ne reste plus que quelques mois à vivre », entremêle en ce roman singulier les fils de la trame de sa vie personnelle, intime, amoureuse, et professionnelle, les étranges découvertes littéraires qu’il a faites à sept reprises tout au cours de sa carrière, et les circonstances dans lesquelles elles se sont produites.

Sa première trouvaille, alors qu’il est tout juste trentenaire, est un ouvrage intitulé Le livre noir à l’usage des aveugles, composé à la fin du XVIIIe siècle sur fond d’une déconcertante histoire d’amour entre son auteur, Luc Délétan, et Clermonde, une jeune fille aveugle recluse en un couvent. Outre les efforts désespérés de Luc pour traduire « en noir » à l’intention des aveugles toutes les nuances de couleur et de lumière, et en particulier celles des « poèmes oxymoriques de La Renaissance où l’on parle à la fois de braises et de glaces, de flammes inextinguibles et de ténèbres sans fond », le récit met en scène une étonnante rencontre entre Luc Délétan en personne, en pleine quête extravagante, et Diderot à l’agonie dans sa chambre parisienne.