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Les Livres

Le tunnel, Avraham B. Yehoshua (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 12 Novembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Grasset, Israël

Le tunnel, février 2019, trad. hébreu Jean-Luc Allouche, 431 pages, 22,90 € . Ecrivain(s): Avraham B Yehoshua Edition: Grasset

 

Un tunnel n’est pas qu’un passage, c’est aussi un contournement. Cela peut être aussi une restriction de la vision, du sens, une réserve. Dans ce roman, il devient l’allégorie d’une échappée dont la fin, le bout justement, échappe : on en sait l’entrée, jamais la sortie. C’est d’abord un projet que Zvi Louria, ingénieur des Ponts et Chaussées en retraite, fait tout pour mener à bien, porteur lui-même de son propre petit tunnel, cette petite tache sombre qui s’agrandit, creuse son cerveau et sa mémoire, embrouille les données, crée des raccourcis.

Le roman s’ouvre sur la visite de l’ingénieur chez le neurologue à la suite d’une « petite » confusion : Zvi s’apprêtait à ramener chez lui, en lieu et place de son petit-fils, un autre enfant de la garderie. Tout est histoire de distraction : détourner une route, détourner son attention, ou plus exactement la porter ailleurs. Dans ce pays, les relations humaines sont à double tranchant. Ben-Zvi, un ancien président d’Israël dont le portrait trône dans l’ex-bureau de Zvi, en témoigne :

Jour tranquille à Vézelay, Xavier Gardette (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 12 Novembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman

Jour tranquille à Vézelay, La Chambre d’échos, avril 2019, 92 pages, 13 € . Ecrivain(s): Xavier Gardette

 

La devise informelle de l’ordre cartusien le proclame non sans une pointe de fierté : Stat crux dum volvitur orbis : La croix demeure immobile tandis que le monde tourne. Encore la traduction française rend-elle mal, comme c’est souvent le cas, la concision du latin et ses harmoniques propres (le verbe volvere se retrouve dans nos révolutions, au sens astronomique ou politique). Cette formule pourrait figurer en épigraphe du Jour tranquille à Vézelay. La basilique qui abrite une relique de sainte Marie-Madeleine – ou Marie de Magdala – se dresse sur sa colline, battue par les vents de l’Histoire. Elle figure « sur la courte liste des lieux où souffle l’esprit » (p.55). La croisade y fut prêchée, mais pas seulement : Romain Rolland vécut dans le village et Georges Bataille repose dans le cimetière. Jim Harrison vint non loin de Vézelay faire un repas digne de figurer dans les fastes de la gastronomie française, désormais pièce de musée. La colline immuable voit chaque jour ou presque passer son lot de pèlerins et, surtout, de touristes – concession à la modernité sécularisée. Parmi eux, combien sont capables de comprendre l’endroit où ils se trouvent, ce qui s’y est joué et peut-être s’y joue encore ? En un jour et même en une heure, des « vies minuscules » s’y croisent puis s’éloignent à jamais. À l’aune des siècles, même les couples qui durent – et ils durent de moins en moins, comme tout le reste – ne représentent pas grand-chose.

Chants du voyageur, Benjamin Guérin (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 12 Novembre 2019. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Chants du voyageur, Benjamin Guérin, Editions de Corlevour, juin 2019, 92 pages, 15 €

 

Prémices

La question de l’origine lyrique du chant poétique me paraît toujours cruciale. Ce principe dit souvent le mystère du texte, et permet de connaître ce qui engendre, et encore constitue la compréhension et autorise l’englobement du fond et de la forme. Ici, avec ces Chants du voyageur, je me suis interrogé dès le premier poème. Ce fondement, cette profondeur de l’acte métrique de l’énoncé de ces morceaux versifiés, qui m’ont d’abord apparu comme un mouvement, m’ont laissé une impression non arrêtée, marchante, et invitant à aller l’amble avec l’auteur. Et même cette pérégrination m’est restée parfois énigmatique à moins de décider que l’essence du poème serait l’ivresse. Oui, le poème se véhicule et véhicule son univers, son atmosphère, à l’instar d’un enivrement sanguin, courant par l’ensemble du système du poème comme en un système veineux.

Si rude soit le début, Javier Marías (par Jean-François Mézil)

Ecrit par Jean-François Mézil , le Vendredi, 08 Novembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Espagne, Folio (Gallimard)

Si rude soit le début (Asi empieza lo malo), Javier Marías, Gallimard Folio, septembre 2019, trad. espagnol Marie-Odile Fortier-Masek, 598 pages, 9,50 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Arrêtons-nous d’abord sur le titre. Juste pour signaler que Juan Marías l’emprunte à Shakespeare (« Thus bad begins and worse remains behind », Hamlet, III, 4) et lire ce que lui-même nous en dit : « Ce qui se passe est passé, irréversible, tels sont la terrible évidence, le poids écrasant des faits. Sans doute vaut-il mieux […] accepter qu’ainsi va le monde. […] Ce n’est qu’une fois que nous avons hoché la tête et haussé les épaules que le pire sera derrière nous, parce qu’au moins il sera déjà passé. Et ainsi le mal ne fait que commencer, le mal qui n’est pas encore arrivé ».

Il y aurait donc une forme de sagesse (toute shakespearienne, s’agissant d’Hamlet) à considérer le mal comme rattaché au passé. Ce faisant, le pire n’est plus à venir : dès le début, il est en germe : dès le début, il nous écrase – aussi vrai que l’arbre en entier est enfermé dans le noyau.

Bien ! Laissons de côté le titre et parcourons un peu le livre.

L’enserpent, Les Humanimaux, Éric Simard (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 08 Novembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Jeunesse, Syros

L’enserpent, Les Humanimaux, Éric Simard, Syros Jeunesse, août 2019, 48 pages, 3,50 € Edition: Syros

 

Mue

Ce petit livre au titre énigmatique, L’enserpent, relate l’existence d’un être composite, squamate mais anthropien, doué d’humanité. L’auteur Éric Simard achemine l’enfant vers un monde de clonage, de modifications génétiques. Ainsi, les jeunes lecteurs se familiariseront avec les registres du fantastique, de l’anticipation et de la fantaisie, ou avec de nouvelles réalités scientifiques.

De fait, certains êtres portent une marque visible sur l’épiderme – une tache originelle –, ou cachée sur le corps, ce qu’ils vivent comme un stigmate. Il faut donc trouver un nom qui leur convient, un prénom qui les différencie et qui autorise leur entrée dans le monde. L’enserpent se présente comme un récit antique où les animaux se couplaient avec les humains. La « différence » physique est vécue à la fois par Marion et l’enserpent au sein du monde de l’école, entre la joie, la camaraderie, les apprentissages mais aussi la méchanceté et la solitude – tout ce que génère la collectivité.