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Smara, Carnets de route d’un fou du désert, Michel Vieuchange (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon 06.01.20 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Récits, Libretto

Smara, Carnets de route d’un fou du désert, Michel Vieuchange, 256 pages, 9,10 €

Edition: Libretto

Smara, Carnets de route d’un fou du désert, Michel Vieuchange (par François Baillon)

« … toute vie qui ne se voue pas à un but déterminé est une erreur », nous dit Stefan Zweig dans Vingt-quatre heures de la vie d’une femme. Si l’on s’en tient à cette affirmation du célèbre écrivain autrichien, incontestablement, la vie de Michel Vieuchange n’aura pas été une erreur. Mais faut-il croire qu’il y avait un prix à payer ? Sa volonté exceptionnelle l’aura amené à une mort précoce : il n’a pas dépassé les 26 ans.

Ces carnets de route nous plongent dans une errance qui semble ne jamais finir, avec pour but ultime Smara, ville-symbole du mirage inhérent au désert, nourrissant abondamment l’imaginaire de l’explorateur français, et néanmoins véritable œuvre de Ma El Aïnin. Autant le dire : la partie est loin d’être gagnée. Ce journal, heureusement récupéré par son frère Jean, avec qui Michel Vieuchange s’est associé pour concevoir et préparer ce projet d’envergure et somme toute dangereux, s’il nous révèle les espérances et l’opiniâtreté de l’intéressé face au but qu’il s’est fixé, fait grandement état des épreuves abominables par lesquelles il passe : douleurs physiques intenses, sommeil continuellement perturbé voire absent, suspicions à l’égard de ses accompagnateurs, nourriture et boissons médiocres, impression d’angoisse devant l’immensité plate du désert… Et pourtant, Michel Vieuchange écrit ; et pourtant, Smara le tient avec fermeté.

C’est une aventure de bout en bout, car malgré lui, le protagoniste se fait être d’exception. Si le texte se limite souvent à un enchaînement de remarques factuelles, il est impossible de ne pas sentir la plaine aride autour de nous, ni de résister à l’émotion et à la joie de Michel Vieuchange découvrant Smara, l’explorant, se hâtant d’en prendre des photographies. Et faut-il s’étonner, à la suite de cette étape finalement atteinte, de l’entendre nous raconter ce rêve où Rimbaud l’accompagne dans Smara, tel le retour en lui d’une vague surréaliste ? « Et ce qui fut plus étonnant encore pour moi c’est qu’éclatèrent à ce moment les mots les plus obscurs de Rimbaud et je les comprenais. […] Ces mots éclataient avec tant de force que si j’avais eu mon carnet sous la main j’aurais pu les inscrire… » (p.242).

Au demeurant, c’est Paul Claudel, préfacier de la première édition de Smara en 1932, qui sera le dernier nom prononcé par Michel Vieuchange, alors totalement épuisé, soulignant ainsi son adhésion tardive (et surprenante, si l’on en croit son frère Jean Vieuchange) au catholicisme. « On sent l’air, les secondes grosses de ce qui va éclater » (p.239).

Le parcours suivi par ce « fou du désert » nous fait entrer dans la matière vivante d’un homme obsédé par son but : et nous le suivons, nous n’avons que l’envie de le suivre. Parce que cette quête de tous les diables, qui est atteinte, renverse l’idée de folie qu’on pourrait attribuer à un projet, parce qu’il force notre admiration et force notre humilité devant les dernières confessions qui furent les siennes. Parce qu’il nous invite, tout simplement, à ne pas nous suffire à nous-mêmes et à trouver la joie malgré les épreuves. Faut-il pour autant se brûler les ailes ?

 

François Baillon

 

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NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.

Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.

Notre cotation :

VL1 : faible Valeur Littéraire

VL2 : modeste VL

VL3 : assez haute VL

VL4 : haute VL

VL5 : très haute VL

VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)


Michel Vieuchange (1904-1930) est connu pour l’expédition qu’il a souhaité mener dans une région largement inexplorée d’Afrique du Nord, afin d’atteindre Smara. Il était très influencé par des écrivains comme Antoine de Saint-Exupéry, André Gide et Paul Claudel, qui sera le préfacier de Smara publié en 1932, ensemble de ses carnets qu’il se promettait de remanier ultérieurement en œuvre plus littéraire.

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A propos du rédacteur

François Baillon

 

Diplômé en Lettres Modernes à la Sorbonne et ancien élève du Cours Florent, François Baillon a contribué à la revue de littérature Les Cahiers de la rue Ventura, entre 2010 et 2018, où certains de ses poèmes et proses poétiques ont paru. On retrouve également ses textes dans des revues comme Le Capital des Mots, ou Délits d’encre. En 2017, il publie le recueil poétique 17ème Arr. aux Editions Le Coudrier.