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Les Livres

Buveurs de vent, Franck Bouysse (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 25 Août 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Albin Michel

Buveurs de vent, août 2020, 392 pages, 20,90 € . Ecrivain(s): Franck Bouysse Edition: Albin Michel

 

Que les univers de Franck Bouysse soient sombres devient – pour qui connaît son œuvre – un truisme. Mais ici – comme par un doigt magique – l’obscurité est traversée par l’aile lumineuse de l’imaginaire, de l’aventure. Non seulement portée par les références littéraires – comme la carte de l’Île au Trésor sans cesse découpée en horizon – mais aussi par des personnages qui, au fond de leur pauvreté, trouvent les ressources du rêve comme joie de vivre. Et puis ce roman est souvent drôle, frôlé par le burlesque, par la grâce légère de la bande familiale, la fantaisie des jeunes frères, le goût immodéré de la liberté de la jeune sœur. Franck Bouysse fait naître à notre lecture une famille qui est le contrepoint de celle de « né d’aucune femme ». Ici – au sein d’une fratrie soudée comme les doigts d’une main – elle est source de réconfort, matrice de vie, chaîne solidaire, quand chez Rose elle était abandon et lâcheté. Les tensions ici sont initiatiques jamais létales, les bonheurs profonds et vrais, les malheurs partagés. Verticalement, du grand-père aux petits-enfants, latéralement entre frères et sœurs, la famille semble faire l’économie des parents éteints entre faiblesse et rancœur. Là encore, Franck Bouysse renoue avec la tradition du conte dans lequel les fratries et les liens aïeux / petits-enfants ont une importance qui l’emporte sur tout autre. Plus que jamais, il s’installe dans son œuvre de romancier-conteur.

L’Homme de la scierie, André Dhôtel (par Delphine Crahay)

Ecrit par Delphine Crahay , le Mardi, 25 Août 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman

L’Homme de la scierie, André Dhôtel, éditions Sous le Sceau du Tabellion, juin 2020, 248 pages, 21 €

 

Nous rendons grâce aux jeunes éditions Sous le Sceau du Tabellion et à Alain Chassagneux pour cette réédition de L’Homme de la scierie, un roman de Dhôtel, paru en 1950 et épuisé depuis belle lurette – comme la plupart de ses œuvres, à notre grand dam.

André Dhôtel nous conte l’histoire d’Henri Chalfour, un homme d’une quarantaine d’années, employé à des basses besognes dans une petite scierie au bord de la Seine, près d’un village nommé Caunes. On le rencontre affaibli et perclus de douleurs : un accident lui est arrivé mais il en a perdu la mémoire. Il se rappelle seulement une cave, des pommes de terre et un pont de fer. Il ne sait non plus de quoi était faite sa vie, ni qui sont ces femmes dont les prénoms sont griffonnés sur la planche d’une fenêtre de son logis. Il ne s’inquiète guère, pourtant : « Un souvenir en appelle un autre, et il finirait bien par expliquer cette sacrée aventure ».

Ganaha, Un conte futur dans une langue passée, Florent Toniello (par Cathy Garcia)

Ecrit par Cathy Garcia , le Mardi, 25 Août 2020. , dans Les Livres, Critiques, Science-fiction, La Une Livres, Jacques Flament Editions

Ganaha, Un conte futur dans une langue passée, Florent Toniello, janvier 2020, 215 pages, 15 € Edition: Jacques Flament Editions

je pénètre les trous noirs de ma chair, suis l’ange des temps

nouveaux, prêtresse des plans astraux, bouton d’arrêt,

simulation off, moi, toute-puissante, démembrée dans l’éther

 

Ganaha, de Florent Toniello, ouvre la nouvelle collection d’anticipation aux éditions Jacques Flament, dont il va s’occuper. Ganaha, étonnant roman d’anticipation, quantique, placé sous le signe du ruban de Möbius, écologique : il y est question d’intelligence artificielle d’une part poussée au summum de sa logique dans un futur lointain et qui n’a plus vraiment l’utilité des êtres humains, ses créateurs, et d’une société post-atomique qui elle semble aux antipodes : celle des « êtres vertes », très écologique, dépouillée de toute technologie non artisanale et très axée sur les valeurs féminines d’autre part et dans laquelle la poésie tient une grande place. Une société toute organisée autour de la culture et la consommation d’une plante vertueuse, la karé, qui évoque un peu le soma de l’Inde ancienne et qu’Huxley entre autres avait repris de façon plus négative dans Le Meilleur des mondes.

De la poésie, Entretien avec Reynald André Chalard, Philippe Jaccottet (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 25 Août 2020. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

De la poésie, Entretien avec Reynald André Chalard, Philippe Jaccottet, éditions Arléa, juin 2020, 94 pages, 8 €

Le poète empathique

Comment rédiger quelques propos au sujet de l’entretien accordé par Philippe Jaccottet à Reynald André Chalard, sans trahir la pensée du poète sur la poésie ? J’ai très vite songé à cette question en y répondant en moi-même. J’ai pensé que pour un poète comme lui, qui ne tolère pas la trahison qu’exige sa propre empathie avec le poème, soit avec ses émotions, soit avec la réalité, et sans opter pour un langage poétique de fantaisie, d’artifice, cette vision était par elle-même impossible à dénaturer.

Il est vrai que mon destin est lié lui aussi au difficile travail du poème, sachant que j’aime lire la poésie d’aujourd’hui – et celle d’hier évidemment – et que je le fais toujours avec toute ma personne, risquant de parler de moi-même sous le couvert de faire parler l’auteur. Toujours est-il que je cherche en grande partie où se joue le pouvoir secret de créer. Et puisque je parle longuement de moi (trop ?) je finirai ici en précisant que j’ai aimé l’attention que porte Philippe Jaccottet à la vérité, vérité de la vie, pour lui qui fut traducteur et critique, et donc en quête à travers les textes, de la vie et de la véracité du langage qui l’accompagne.

Sale espèce de…, Jean-Louis Mohand Paul (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Lundi, 24 Août 2020. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres

Sale espèce de…, Jean-Louis Mohand Paul, éd. Ressouvenances, 2019, 124 pages, 16 €

 

De l’apostrophe à l’injure

Une mappemonde de 1888, appelée Planisphère pour l’étude des races humaines, illustre la couverture du livre de Jean-Louis Mohand Paul : « Petit lexique des injures et notions racistes des langues françaises. Sale espèce de… ». À ce sujet, la thèse de l’Essai sur l’inégalité des races humaines, d’Arthur de Gobineau, développe le concept de « race » en accumulant les stéréotypes et criminalisant les populations selon leur couleur de peau. L’exégèse historique de Gobineau le place comme l’un des pères de la pensée racialiste, pour avoir développé une sorte de « matérialisme biologico-historique ». En effet, dans la hiérarchie de la société esclavagiste coloniale, les « Blancs » se trouvaient au sommet, souvent de grands propriétaires fonciers ou des commerçants aisés, ce qui confirme en un sens la théorie eugéniste de Gobineau sur les « propriétés du sang ». Rappelons qu’environ quatre millions d’esclaves ont vécu dans les territoires sous domination française.