Identification

La Une Livres

La Guerre des salamandres, Karel Čapek (3ème article)

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 11 Mai 2015. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Pays de l'Est, Roman, Cambourakis

La Guerre des Salamandres, traduit du tchèque par Claudia Ancelot, 384 pages, 11 € . Ecrivain(s): Karel Čapek Edition: Cambourakis

Lorsque les troupes allemandes envahissent la Tchécoslovaquie, début 1939, un ordre vise un citoyen en particulier : il faut mettre la main sur Karel Capek. A ceci près que celui-ci est décédé le 25 décembre 1938, à l’âge de quarante-huit ans ; les services de renseignement allemands n’ont pas mis à jour leurs informations… Mais pourquoi lui ? Pourquoi cet écrivain ? Probablement et entre autres à cause de La Guerre des Salamandres, roman publié en 1936, fable politique et humoristique sur l’humanité dans son rapport à des salamandres bien particulières.

L’histoire naît, selon Capek lui-même, d’une phrase écrite en 1935, « quand la situation se présentait on ne peut plus mal sur le plan économique et pire encore sur le plan politique » : « Ne pensez pas que l’évolution qui a abouti à notre vie soit la seule possibilité d’évolution sur notre planète ». A partir de cette réflexion, Capek élabore une fable qui raconte la découverte de salamandres hautes d’environ un mètre, capables de copier le langage humain et de très vite apprendre. De cette découverte initiale sur une petite île perdue « à l’ouest de Sumatra » par le capitaine Van Toch va découler une série de modèles d’exploitation des salamandres, de la pêche aux perles intensive dans l’Océan Indien à l’aménagement côtier sur l’ensemble de la planète, y compris « la côte du Groenland où elles refoulent les Esquimaux vers l’intérieur des terres et prennent en main la pêche et le commerce de l’huile de foie de morue »…

Le Salon des incurables, Fernando Aramburu

Ecrit par Marc Ossorguine , le Jeudi, 07 Mai 2015. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Espagne, Nouvelles, Buchet-Chastel

Le Salon des incurables, traduit de l’espagnol par Vincent Ozanam (No ser no duele, 1997), 309 pages, 23 € . Ecrivain(s): Fernando Aramburu Edition: Buchet-Chastel

 

 

Il est difficile d’imaginer quelqu’un de plus rangé, discret jusqu’à l’insignifiance, qu’Avelino Armisén. C’est pourtant ce pharmacien consciencieux qui va tuer sa mère d’une façon bien inattendue. Que cache et que recherche cette élégante enseignante, obsédée par l’odeur de ses mains et jusqu’où Boni ira-t-il puiser son inspiration littéraire dans son désir d’être écrivain ?… Les personnages de Fernando Aramburu semblent bien « incurables » pour ne pas dire irrécupérables ! Ils vivent et survivent pourtant comme ils peuvent, essayant d’échapper à eux-mêmes autant qu’aux autres ou qu’aux événements qui les oppressent ou les enferment de façon incompréhensible. Leurs comportements peuvent paraître absurdes, mais c’est peut-être surtout le monde dans lequel ils vivent qui est absurde, insensé, quand il n’est pas cruel et terrifiant. L’issue n’est jamais où on l’attend, et elle n’ouvre pas forcément sur la solution espérée. Celui qui pense être Silas en fera durement l’expérience face à son incompréhensible hospitalisation.

Marcher, Tomas Espedal

Ecrit par Marie-Josée Desvignes , le Mercredi, 06 Mai 2015. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Livres décortiqués, Essais, Pays nordiques, Récits, Actes Sud

. Ecrivain(s): Tomas Espedal Edition: Actes Sud

 

Qu’est-ce qui peut pousser un homme, un écrivain, un poète à décider de tout quitter et à se mettre en route, marcher vers l’inconnu ? Faut-il une raison particulière pour cela ?

Je suis heureux parce que je marche, le ton est donné ! Le premier chapitre s’ouvre sur une révélation, un lâcher-prise plutôt, alors que toute sa vie se délite, le narrateur reprend goût à la vie grâce à la marche. Comme il est bon de s’emplir d’oubli, de se perdre, de sombrer, il s’agit bien d’un abandon de l’ego. Enumérons les joies, boire pour oublier d’abord, ou boire et oublier dans cet ordre et ramper jusqu’à l’oubli. C’est comme un début de dépression, une sorte de mélancolie ou de lassitude de vivre toujours dans les mêmes journées de solitude dans l’écriture, mais le narrateur se reprend vite avec cette prise de conscience qu’il peut faire quelque chose pour sortir non de chez lui mais de lui-même, apprendre à vivre avec soi, car c’est la seule chose dont il ne pourra jamais se séparer, se débarrasser. Ça peut ressembler au début à un manuel de survie ou un guide de développement personnel mais c’est bien au-delà de cela, un manuel de survie poétique.

Ne joue pas fort, joue loin, Aldo Romano

Ecrit par Frédéric Aribit , le Mercredi, 06 Mai 2015. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Récits, Editions des Equateurs

Ne joue pas fort, joue loin, février 2015, 188 pages, 20 € . Ecrivain(s): Aldo Romano Edition: Editions des Equateurs

 

Don Cherry, Chet Baker, Gato Barbieri, Phil Woods, Bill Evans, Carla Bley, Keith Jarrett, Paolo Fresu, Enrico Rava, Glenn Ferris, Jean-François Jenny-Clark, Didier Lockwood, Michel Portal, Michel Petrucciani, Henri Texier, Claude Nougaro… Il y a des CV qui forcent le respect. Long comme le bras, celui d’Aldo Romano a de quoi faire pâlir n’importe quel musicien. On en connaît qui tueraient pour servir deux trois bières sur scène à l’un de ces noms tirés au hasard. Quant à jouer avec eux…

Vous êtes fils de carreleur italien immigré dans les années 50, votre scolarité trébuche sur la xénophobie ordinaire d’une époque qui vous sert du « sale rital » à longueur de journée, et vous allez faire aussi le carreleur sur les chantiers jusqu’à l’âge de 18 ans : allez tenter une carrière pareille, en parfait autodidacte, sans un minimum de génie et pas mal de volonté. Aldo Romano est cet immense batteur qui a cogné derrière tout ce que la planète jazz compte au tout premier plan, tout en signant, ce n’est pas si fréquent, de nombreux albums composés sur son autre instrument de prédilection, la guitare, albums où, de sideman envié, il fait aussi le chanteur.

Les sept cercles, Une odyssée noire, Sophie Caratini

Ecrit par Martine L. Petauton , le Mardi, 05 Mai 2015. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Thierry Marchaisse

Les sept cercles, Une odyssée noire, janvier 2015, 393 pages, 22 € . Ecrivain(s): Sophie Caratini Edition: Thierry Marchaisse

 

Il est des livres qui valent voyage, et bien davantage ; au cœur du continent-mère, l’Afrique, mais, plus encore, aux racines de l’homme. N’en doutez pas. Celui-ci en est un ! Il est des auteurs, qu’on regrette vraiment de n’avoir pas côtoyés plus tôt ! Celle-là en est une : anthropologue, fine et solide connaisseuse de son Afrique Sahélienne, prêtant son écriture – conteuse, passionnante comme sous l’arbre à palabres – à un homme formidable, Moussa Djibi Wagne (nommé sur le tard Al-Hadji Moussa Djibi Wagne, après qu’il ait fait son pèlerinage à La Mecque). Un homme rare, par sa vie – une épopée antique – sa personnalité, son regard sur lui-même et le reste du monde – entendez l’Afrique de l’Ouest – son humour, sa mélancolie. Un Ulysse, comme le dit le sous-titre du livre. Pas moins.

Ça se lit comme le roman que ce n’est pas, ça sonne comme une saga largement dépassée. Du certifié vrai, mais raconté de telle façon ! Entre les dires foisonnants de Moussa, des siens – somme d’entretiens de belle teneur savante – et le personnage qui dit « je » dans le livre, l’écriture de Sophie Caratini, la magie de son « raconté », fabrique un petit miracle : l’anthropologie littéraire et son immense efficacité.