Peindre en exilé
Un peintre de notre temps, ayant fait l’objet d’une censure brutale, car il fut interdit de vente dès sa sortie en 1958, et de publication jusqu’en 1976, est le premier roman de John Berger (1926-2017). Le livre commence par la visite d’un atelier vide et la découverte du journal d’un ami peintre hongrois, Janos Lavin, dont la ville de refuge est Londres, « la capitale la plus conventionnelle et la plus fermée d’Europe ». Le journal forme un récit à deux voix, un chassé-croisé de deux points de vue, soit deux conversations juxtaposées, ce qui renforce la diégèse tels les sous-titres d’un film, sa traduction. Ainsi, et après-coup, John Berger décrypte les propos du peintre Janos Lavin (son double ?) à la manière d’un rébus. Or, le constat du peintre exilé est amer, affaibli par des projets qui ne marchent pas, réduit à la pauvreté, aux « humiliations de la dépendance ». Le métier d’écrire et le métier de peindre se répondent, et John Berger livre des pages fondamentales sur le dessin : « Dessiner, c’est savoir par la main – c’est avoir la preuve qu’exigeait Thomas. (…) Même devant un modèle, on dessine de mémoire. (…) Pas même de quoi que ce soit dont on puisse se souvenir consciemment. Le modèle est un rappel d’expériences qu’on ne peut formuler et donc se rappeler que par le dessin ».