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La Une CED

Dieu n’a jamais voulu ça, Jonathan Sacks (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 14 Février 2019. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Albin Michel

Dieu n’a jamais voulu ça, Jonathan Sacks, Albin-Michel, mars 2018, trad. anglais Julien Darmon, 366 pages, 20 €

Au mitan du XXesiècle, alors que deux puissances qui détenaient chacune assez d’ogives nucléaires pour faire disparaître toute forme de vie sur terre s’observaient ombrageusement, l’une guettant chez l’autre le moindre geste hostile, rares étaient ceux à imaginer que, si l’humanité échappait à l’anéantissement atomique, elle devrait ensuite affronter une très ancienne croyance. Pour beaucoup, selon un schéma faux, les « grandes religions » (et les petites également) étaient destinées soit à disparaître, soit à subsister à l’état de fossiles. Après un XXesiècle monstrueux, on plaça de grands espoirs dans le XXIesiècle. La « fin de l’histoire » verrait enfin advenir le règne paisible de la paix perpétuelle prédite par les Lumières. Ces espoirs s’effondrèrent en même temps que le World Trade Center. La stupeur fut générale, à l’exception de ceux qui, dès 1979 et la révolution iranienne, avaient compris ce qui était en train de se produire. Le méchant génie sortait à nouveau de la lampe.

Sir Jonathan Sacks n’étudie pas la violence religieuse en général. Il n’évoque pas la cruauté perverse et hystérique des religions amérindiennes d’avant Colomb. Son propos englobe les trois religions faussement dites « du Livre » : le judaïsme, le christianisme et l’islam. L’existence d’une figure commune (Abraham) ne peut masquer des différences cardinales. Certaines pages de Dieu n’a jamais voulu ça sont d’un intérêt prodigieux ; d’autres susciteront la controverse.

Aveu (par Marianne Braux)

Ecrit par Marianne Braux , le Mercredi, 13 Février 2019. , dans La Une CED, Ecriture

 

Le texte que vous lisez là, ce texte n’est pas de moi. Il est de mon premier amour, et de ma mère. Il est d’Edouard Glissant, de Roland Barthes et de Lydie Salvayre. Il est de mon amant, et de mes professeurs. De mes étudiants aussi, et de leurs erreurs. Il est de ceux que j’ai lus, puis oubliés. De ceux que j’adule sans jamais les nommer. Il est de mon père et de ses joyeux cafards. Il est de mes nièces et de leurs histoires. De mes sœurs qui me l’ont dicté sans s’en apercevoir. Non, ce texte n’est pas de moi. Il est d’un Illustre Inconnu dépouillé, du Christ même, décrucifié. Bref, ce texte n’est qu’un aveu de plagiat éhonté ! D’ailleurs ce texte n’en est pas vraiment un. C’est un article de journal que j’ai lu hier, une carte postale de ma mère. Ce texte est un vers que nous nous sommes écrit quand nous croyions encore nous dire oui. C’est un journal intime jamais commencé, une lettre d’amour qu’il faudra brûler. C’est un dictionnaire, un mot entendu hier pour la première fois. Une chanson comme l’on en chantait autrefois. Ce texte est cette phrase que tu prononças avec colère. Ce texte est aussi une prière. Un jeu de mots sans esprit, une drôle de conversation entre deux vieilles amies.

Romain Slocombe (par Mélanie Talcott)

Ecrit par Mélanie Talcott , le Mardi, 12 Février 2019. , dans La Une CED, Les Chroniques


Se pencher sur notre Hexagone vertueux dès lors qu’il s’agit de brandir la bannière des Droits de l’homme et notre fameuse trilogie illusoire « Liberté, Egalité, Fraternité », tout en priant nos sillons d’abreuver le sang impur du tiers-état et de la chair à canon, concept hautement raciste et masochiste, cela, on sait le faire. Tellement opportunément que l’on finit par avoir l’impression de cavaler après du vent. A l’inverse, plonger dans les cloaques de notre histoire est un exploit dont on se garde prudemment. Les volontaires sont peu nombreux et l’entreprise, de haut risque. La collaboration française avec les Nazis est l’un de ces territoires vérolés, laissés plus ou moins volontairement en friche mémorielle

L’escalier, Olga Votsi (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 11 Février 2019. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

L’escalier, Olga Votsi, éd. Le Taillis Pré, décembre 2018, trad. Bernard Grasset, 136 pages, 14 €

 

Fléchir le temps

Comment aborder cette traduction du grec moderne vers le français tout en réinventant un dialogue critique, entretenu par le traducteur Bernard Grasset, grâce à son choix de poèmes dont le sous-titre est Poèmes métaphysiques ? Autrement dit, comment parler de métaphysique ? Peut-être en regardant de près comment Olga Votsi aborde la question fondamentale et universelle du temps, de sa finalité, de son contenu, de sa force, de son déroulement, de son immortelle présence. Et que nous soyons conviés à parcourir des escaliers vers des contrées profondes, nous sommes toujours invités à connaître en quoi le « re-mourir » peut être une renaissance. Par exemple en rappelant le destin de Lazare dans les Écritures, ou celui de Jonas qui renaît en quelque sorte de la baleine allégorique.

Ainsi il faut examiner avec la poétesse, en quoi vivre le temps est une expérience, doit être moralement un examen, qui permet de connaître la vérité de la croissance, de la charité, de la fructification, et ainsi ne pas être le sujet symbolique d’un figuier qui ne donnerait pas de fruits, la renaissance au monde de la foi en quelque sorte, de l’ajout, du plus et du meilleur. Le temps n’a d’intérêt que par ce qu’il produit comme éléments moraux surnuméraires.

Le vieil homme et la mer, Ernest Hemingway, nouvelle traduction de Philippe Jaworski (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Jeudi, 07 Février 2019. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Le vieil homme et la mer, Ernest Hemingway, Gallimard, coll. Folio n°6487, mai 2018, trad. anglais (USA) et préface, Philippe Jaworski, 144 pages, 6 €

Cette nouvelle traduction – superbe, fidèle – redonne au dernier roman publié du vivant d’Hemingway en 1952, toutes ses couleurs*.

« Il s’agenouilla, parvint à crocher le thon sous l’avant avec la gaffe et le tira vers lui en évitant les rouleaux de ligne. Faisant repasser la ligne sur son épaule gauche et prenant appui sur sa main et son bras gauches, il ôta le thon du croc et remit la gaffe à sa place. Il posa un genou sur le poisson et découpa des bandes de chair rouge sombre dans la longueur, de l’arrière de la tête à la queue. C’étaient des bandes triangulaires qu’il découpait depuis l’arête dorsale jusqu’au bord du ventre. Lorsqu’il en eut découpé six, il les étala sur le bois de l’avant, essuya son couteau sur son pantalon et souleva la carcasse de la bonite par la queue et la lança par-dessus bord ». Au travers d’un recours effréné aux descriptions, à la pesanteur des descriptions relatives aux gestes simples, précis, par quoi une audace humaine peut se lire au sein d’une nature hostile (j’ai perdu parce que je suis allé trop loin), ce bref et inépuisable chef-d’œuvre d’Hemingway s’élève à la dimension d’une allégorie. D’une parabole ? D’un mythe en tout cas, par quoi quelque chose de notre profond peut se dire.