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Les Chroniques

Eloge de Leïla Menchari (par Mustapha Saha)

Ecrit par Mustapha Saha , le Jeudi, 14 Mai 2020. , dans Les Chroniques, La Une CED

 

La décoratrice Leïla Menchari s’est éteinte le 4 avril 2020, victime de la monstrueuse hécatombe. Les vitrines flamboyantes d’Hermès, œuvres d’art incomparables, l’immortalisent. L’artiste est née le 27 septembre 1927 dans une famille tunisienne émancipée, d’un père avocat francophile et d’une mère féministe pionnière. Pendant son adolescence elle rencontre, à Hammamet, Violet et Jean Henson, amateurs d’art et mécènes, qui l’invitent dans leur villa plantée d’arbres fruitiers, de plantes aromatiques, de fleurs odorantes. Elle découvre les couleurs pulsatiles, les senteurs subtiles, les émotions tactiles. Elle côtoie les prestigieux invités, Luchino Visconti, Man Ray, Jean Cocteau…

« Mon premier voyage a commencé au pied de deux escaliers de pierre. C’était un endroit extraordinaire sentant le citron et le jasmin, un jardin à la fois anarchique et construit, une jungle folle avec des paons, des daturas énormes, une longue allée et un bassin sur lequel flottaient des nénuphars bleus. Je n’avais jamais vu de fleur poussant dans l’eau. Je suis entrée dans la rareté par ce chemin-là… C’est dans ce jardin, à l’écoute de ces esthètes, que j’ai compris ce qui déterminerait ma vie, la beauté et la liberté » (Leïla Menchari).

Polichinelle dans un tiroir, Anne-Marie Mitchell (par Michel Host)

Ecrit par Michel Host , le Mercredi, 13 Mai 2020. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Polichinelle dans un tiroir, Anne-Marie Mitchell, Karbel éditions, décembre 2019, 215 pages, 16 €

« On n’écrit rien qui vaille, tant qu’on n’a pas vidé son sac, quoi qu’il en coûte »,

José Cabanis

« Il n’y a plus maintenant pour le plus grand nombre des lecteurs ni bons ni mauvais livres, il n’y a plus que des noms célèbres »,

Planche

« – Pourquoi êtes-vous pessimiste ? – parce que j’ai vécu. – Pourquoi ne vous suicidez-vous pas ? – parce que je mourrai ! »,

Paul-Napoléon Roinard (1856-1930)

Le tiroir aux secrets

Pour toi, lecteur de Mme Angot, ça commence mal. Sous l’égide de Paul-Napoléon Roinard… – Qui est-ce, celui-là ? – Consulte, si tu veux, les dictionnaires, Wikipédia et Paul Léautaud. Puis va te promener à Courbevoie. Déjà à bout de souffle ? Alors, va donc angotiser avec la dame en question, sachant que tu es « en danger de te reconnaître ». Pour notre « tiroir », lis quand même le « Warning » initial, histoire de ne rien regretter.

L’Actualité du Manifeste du parti communiste, Slavoj Žižek (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 12 Mai 2020. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

L’Actualité du Manifeste du parti communiste, Slavoj Žižek, Fayard, octobre 2018, 92 pages, 12 €

 

À moins d’être un marxiste endurci, voire obsessionnel, le Manifeste du parti communiste n’est pas un livre qu’on éprouve le besoin de relire tous les mois, ni même tous les ans. En général, et à condition de le juger indispensable, on estime qu’une seule lecture (souvent menée quand on étudie la philosophie en classe) suffit au cours d’une existence et que, de toute manière, l’effondrement du communisme à la fin du XXe siècle (n’en demeurent que ces peu reluisants vestiges que sont Cuba, le Laos, la Corée du Nord et surtout la Chine – quatre pays dont personne ne pense qu’ils sont là pour indiquer à l’humanité la voie afin d’atteindre au bonheur radieux ici-bas) a globalement invalidé les thèses de Marx. Slavoj Žižek veut persuader le lecteur du contraire et sans doute a-t-il raison.

À force d’employer le mot d’actualité sans arrêt, on a fini par perdre de vue une partie de ses significations : ce qui est actuel n’est pas seulement ce qui existe au moment présent, mais aussi ce qui est réel, effectif, en acte (actuel s’oppose à virtuel). Que veut-on dire si l’on suggère que le Manifeste du parti communiste est un texte en acte ?

Narcisse et Écho, Markus Lüpertz (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 11 Mai 2020. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Narcisse et Écho, Markus Lüpertz, L’Atelier contemporain, juin 2020, 608 pages, 30 €

 

Écrire : une expérience

Parcourir l’ensemble des presque 600 pages des écrits de Markus Lüpertz est une possibilité donnée au lecteur de suivre à la fois le destin de la vie d’un peintre, et voir se dérouler une vie d’artiste au milieu de son expression qui évolue lentement vers une forme de discours versifié. Pour le dire tout de suite, j’ai aimé au fil du temps et des pages comment se construisait un monde arc-bouté et aboutissant à une poésie, une forme de vers libres. Cette méthode est d’autant plus intéressante qu’elle est capable de mettre l’accent aussi bien sur les conceptions de l’auteur au sujet de la peinture, évidemment, mais aussi au sujet du théâtre, de disserter sur la philosophie, ou faisant l’apologie de certains artistes, allant jusqu’à la poésie comprise comme poésie pour elle-même. Dès les premières pages j’ai vu que ce livre était avant tout le témoignage d’une expérience originale, avec ses risques, ses angoisses, pari pascalien, faisant état d’une foi dans l’écriture, et pariant sur ce choix, d’un artiste se formant en en passant aussi par le soin et les servitudes d’écrire. Puis j’ai été surpris de retrouver ce terme d’expérience, auquel s’ajoutait le mot universelle, à la toute fin de l’ouvrage. Aventure de mots donc qui souligne et détoure l’activité du peintre.

à propos de Les Pseudonymes, Jean-Louis Mohand Paul (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 08 Mai 2020. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Les Pseudonymes, Jean-Louis Mohand Paul, éditions Ressouvenances, 2017, 15 €

Contre l’oubli

Dans le roman de Jean-Louis Mohand Paul, le sujet est un sujet exhumé, par fragments, « des restes de traumatisme [enterrés] sous la cendre ». L’on pense au vécu d’abandonnique, concept développé par Frantz Fanon, s’appuyant sur la rupture avec le père ou la mère, ou le pays d’origine. Pour compenser la perte, le déni, des noms d’emprunts sont choisis par la personne – noms de plume pour les auteurs –, un pseudo, un autre « je », né deux fois. En lisant le début de ce récit, l’on ne peut s’empêcher de faire un lien entre la tuberculose et le coronavirus, la souffrance (la sous-France), où des malades « toussant, désincarnés (…) des Arabes aussi » sont placés en confinement dans des hospices « d’infortune ». Du flottement autour des dates (les Algériens n’ayant pas bénéficié, durant l’occupation coloniale, d’état-civil précis), des « salaires de misère », envoyés au bled, « ponctionnés pour moitié en Algérie », tout atteste de l’horrible situation du dominé. Néanmoins, il y a de la beauté, alliée ici à beaucoup de tendresse, dans les passages qui évoquent des « tapis, poteries, bijoux » colportés à dos d’hommes, de « la langue, la musique, les chansons, les mélopées » qui se « transmutent » (le terme de l’auteur), en références sacralisées du cœur de la filiation kabyle.