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Roman

Dans son regard aux lèvres rouges, Yves Charnet

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 11 Mai 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Le Bateau Ivre

Dans son regard aux lèvres rouges, janvier 2017, 264 pages, 19 € . Ecrivain(s): Yves Charnet Edition: Le Bateau Ivre

 

« Vous étiez le nouvel amour. L’espace s’était de nouveau remis à trembler. Une brûlure bleue ; une lumière balbutiée. Il y avait de nouveau quelque chose dans l’air. Quelque chose d’imperceptible. Je vous avais parlé de cet air bleu sur le fond duquel se découpait, aux yeux de Frédéric, toute la personne de Madame Arnoux. Scène de l’apparition dans L’Education Sentimentale ».

Dans son regard aux lèvres rouges est justement un roman de l’apparition, roman vécu, peut-être une autofiction, sûrement une autofriction, le narrateur est l’auteur, et l’acteur de ce qui se joue là sous ses yeux, sur sa peau et donc dans sa main. Dans son regard aux lèvres rouges ne craint rien de la force de la littérature – qu’on la qualifie comme on le souhaite ! il y risque son corps, il y risque sa phrase, et son style dans ce corps à corps avec Romy B. Il dévoile, se dévoile et dévoile son amoureuse, s’avance et avance la jambe, à l’image des toreros qu’il admire – c’est ainsi qu’il se place, avançant la main et guidant la charge de la corne opposée du toro et de Romy. Il se dit, ma vie doit être libre, joyeuse, mystérieuse, évidente comme le sourire radieux de Romy, mais, car il y a un mais permanent dans ce roman, Romy hésite, ne cesse d’hésiter entre son époux et son amant de la péniche, même lorsqu’elle s’offre c’est en hésitant. Cette hésitation est l’une des tensions du roman.

Charlotte, David Foenkinos

, le Mercredi, 10 Mai 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Folio (Gallimard)

Charlotte, 256 pages, 29 € . Ecrivain(s): David Foenkinos Edition: Folio (Gallimard)

 

Charlotte est le récit de la vie de Charlotte Salomon, artiste peintre, morte à l’âge de 26 ans. Charlotte, c’est l’histoire d’une jeune juive punie par le destin ; c’est l’histoire d’une artiste ingénieuse et terriblement émouvante ; c’est l’histoire de la vie, de la mort, mais c’est aussi l’histoire d’une famille. Une famille dont l’humanité ressort plus que jamais, et que les tragédies successives, suicides ou génocides, viendront assaillir. Ce récit est aussi l’aboutissement d’une obsession, celle d’un auteur fasciné par l’œuvre, la personne, et la vie de Charlotte Salomon.

J’étais sceptique quant à la lecture de Charlotte car son écriture qui « respire », comme le dit l’auteur, m’est apparue, en tant qu’auteur moi-même, comme de la triche. Mais ces paragraphes qui évoquent les strophes d’un long poème sont vites justifiés : ce livre est une œuvre d’art. On s’attache vite aux courtes descriptions de l’auteur, dont l’écriture semble mûrir avec le protagoniste. On lit entre les lignes. Le récit tourne autour de deux sujets qui s’entremêlent tragiquement, l’art et la mort. Charlotte Salomon était prédestinée. Charlotte porte le nom d’une morte et tout le monde meurt, avant et à coté d’elle. La mort est là, jamais très loin. Reste l’attente interminable de savoir comment, à son tour, Charlotte sera soustraite au monde.

Americanah, Chimamanda Ngozi Adichie

Ecrit par Sana Guessous , le Samedi, 06 Mai 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Afrique, Gallimard

Americanah, traduit de l’anglais (Nigeria) par Anne Damour 2015, 528 pages, 24,50 € . Ecrivain(s): Chimamanda Ngozi Adichie Edition: Gallimard

 

Humidifier, nourrir, démêler, brosser, aplatir, tirebouchonner, recommencer.

Le matin, se décomposer devant son reflet hirsute. Se demander comment mater l’ennemi capillaire qui s’est dressé dans la nuit. Chercher une façon d’amadouer cette touffe noire en révolution perpétuelle.

Lutter férocement. Dégainer les ciseaux, le fer à lisser, la brosse soufflante, l’huile de coco, le beurre de karité, les prières, les larmes, les incantations.

Capituler. Accepter cette chevelure ironique, qui n’a honte de rien, qui s’assume avec majesté et s’affiche, écumante, au milieu des têtes lisses et sages. C’est ce qu’a fait Ifemelu, l’héroïne nappy d’Americanah. Un personnage de roman qui vit et comprend mes mésaventures capillaires… Ça ne m’était encore jamais arrivé.

Dans la littérature comme sur Instagram, le cheveu est soyeux par définition. Il flotte délicatement autour des visages souriants, les cajole, les nimbe de douceur. Il se laisse brosser et tresser avec grâce.

Novembre, Joséphine Johnson

Ecrit par Stéphane Bret , le Vendredi, 05 Mai 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Belfond

Novembre, mars 2017, 204 pages, 14 € . Ecrivain(s): Joséphine Johnson Edition: Belfond

 

Les éditions Belfond publient dans leurs collections Vintage d’anciens romans. Novembre, de Josephine Johnson, est de ceux-là. Il s’inscrit dans le droit fil des romans de la Grande dépression tels que Les raisins de la colère de Steinbeck, ou Le petit arpent du bon Dieu, d’Erskine Caldwell. Ce dernier, décrivant la vie de petits blancs dans le deep south américain, peut se relier à Novembre.

C’est le sort d’une famille de fermiers, les Haldmarne, qui viennent s’installer dans une ferme du middle West, déjà hypothéquée et dont l’exploitation est très difficile, les rendements sont bas, le sol ingrat, la main-d’œuvre rare et trop chère pour le patriarche, Arnold Haldmarne, père taciturne, s’extériorisant peu, et dur à la tâche. Ses trois filles, Margot, Kerrin et Merle l’aident du mieux qu’elles peuvent dans l’exploitation de la ferme. Mais cette famille qui vient d’échapper à la dureté retrouve la cruauté de l’existence dans ses nouvelles terres : « Nous quittions un monde mal agencé et embrouillé, qui maugréait contre lui-même, pour arriver dans un monde non moins dur (…) mais qui tout au moins lui donnait quelque chose en retour ».

Dans les eaux troubles, Neil Jordan

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 04 Mai 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Joelle Losfeld

Dans les eaux troubles (The Drowned Detective), avril 2017, trad. anglais (Irlande) Florence Lévy-Paoloni, 274 pages, 22 € . Ecrivain(s): Neil Jordan Edition: Joelle Losfeld

 

Neil Jordan n’a guère son pareil pour créer des univers en-soi, situés on ne sait pas bien où, peuplés par on ne sait pas bien qui, traversés par des événements des plus étranges. Ce roman, passionnant de bout en bout, ne fait pas exception : on entre dans un monde recomposé à partir des passions et des drames de notre monde. Pour mieux marquer ce « départ » du réel ordinaire, le roman met en scène un héros, Jonathan, qui a quitté son Angleterre natale pour rejoindre on ne sait trop quel pays de l’Est, l’une des anciennes républiques soviétiques. Etrangement, ce pays, cette ville, jamais nommés, sont fortement présents dans le roman. Les descriptions en sont même méticuleuses :

« Nous gravîmes une rue pavée en pente raide, presque médiévale, dont les façades semblaient s’incliner à la rencontre de celles d’en face, comme si leurs gouttières et leurs pignons voulaient se toucher. Peut-être qu’un jour cela se produirait. Ces bâtiments penchaient depuis trois cents ans, les petites fenêtres étaient écrasées par le poids des briques au-dessus et les toits avaient perdu tout semblant de ligne droite ».