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Récits

Peeping Tom, Alessandro Mercuri

Ecrit par Yann Suty , le Samedi, 10 Mars 2012. , dans Récits, Les Livres, Recensions, Essais, La Une Livres, Léo Scheer

Peeping Tom, Editions Léo Scheer, 2011, 186 pages, 18 € . Ecrivain(s): Alessandro Mercuri Edition: Léo Scheer

Peeping Tom. Le voyeur en français. Comme le film de Michael Powell dans lequel un caméraman-tueur filmait les derniers instants de ses victimes, avant de les tuer. Le père de tous les snuffmovies.

Voilà un ouvrage étrange. Etrange n’est peut-être pas le mot qui convient le mieux, mais le premier qui vient à l’esprit quand on se retrouve devant ce livre qui ne ressemble à nul autre.

Les deux phrases en exergue donnent le ton.


« Créature mortelle et fugace, l’homme ne pouvant être voyant, doit être voyeur ». (Polyphème de Sicile, Mensonge et persuasion, VIe siècle, av. J.-C.).


“One of the great things about books is sometimes there are some fantastic pictures » (George W. Bush, 2000 ap. J.-C.).

Chroniques de l'occident nomade, Aude Seigne

Ecrit par Lionel Bedin , le Mercredi, 15 Février 2012. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Zoe

Chroniques de l’Occident nomade, octobre 2011, 144 p., 16 € . Ecrivain(s): Aude Seigne Edition: Zoe

Un jour, devant « la mer scintillante comme un désert bleu », c’est la révélation. « Le désert de glace aveugle et défile alors que le ciel est d’un bleu pâle infini. J’ai quinze ans mais je ne me suis jamais réveillée sur un tel panorama et des milliers de générations d’humains ont dû le faire tous les jours avant moi. Quelque chose craque en moi ce jour-là, une paroi se rompt sans crier gare, la possibilité de l’abîme se dévoile en même temps que celle du bonheur absolu ». Reprenant les réflexions de Nicolas Bouvier, Aude Seigne découvre que l’état nomade a quelque chose à lui apprendre. « On ne sait pas très bien pour quoi on s’embarque quand on commence à voyager, mais comme dans un roman, tout est déjà là dès l’incipit ». Alors Aude Seigne est partie. Ce livre est une pause dans l’errance de cette jeune « bourlingueuse du XXIe siècle », un moment d’écriture, un point sur elle-même, avant d’autres probables départs.

Pour la voyageuse, le voyage permet toujours de se découvrir soi-même – même si l’on pense se connaître, « il y a des moments où je ne sais plus très bien d’où viennent certains confins de moi-même » – et permet de vérifier que voyage et amours sont étroitement liés. « Comment aller à la rencontre de l’autre ? C’est la question de l’amour, de l’amitié, c’est aussi la question des voyages ».

Calligraphie des rêves, Juan Marsé

Ecrit par Anne Morin , le Lundi, 16 Janvier 2012. , dans Récits, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Biographie, Christian Bourgois

Calligraphie des rêves, traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu, 412 p. 20 € . Ecrivain(s): Juan Marsé Edition: Christian Bourgois


Une lettre à l’adresse indécise, mal adressée, un messager hésitant entre la littérature et la musique, deux manières d’exprimer la moelle d’une réalité qu’il préfère placer à côté, ou mettre de côté. Un mal entendu, le doigt manquant, celui qui échappe à Ringo, l’empêchant de devenir pianiste et/mais l’obligeant à s’appliquer à tenir le stylo entre pouce et majeur, ne pas écrire n’importe quoi, repasser la phrase dans sa tête, avant de jeter les mots : chacun aura sa place comme les notes sur une portée : « (…) l’autre (main) s’obstine à cacher, avec pudeur, la première annotation, quand, attentif à d’autres échos et à un autre rythme, il décide de corriger et de préciser davantage. (…) Il croit que ce n’est que dans ce territoire ignoré et abrupt de l’écriture et de ses résonances qu’il trouvera le passage lumineux qui va des mots aux faits, endroit propice pour repousser l’environnement hostile et se réinventer soi-même » (p.207).

L’ « art de bien écrire », la transmutation. Fixer des rêves comme des vertiges, les laisser s’imprégner de réalité : « (…) C’est peut-être la première fois que ce garçon pressent, ne serait-ce que de façon imprécise et fugace, que ce qui est inventé peut avoir plus de poids et de crédit que la réalité, plus de vie propre et plus de sens, et par conséquent plus de possibilités de survie face à l’oubli » (p.19).

L'or des rivières, Nimrod

Ecrit par Theo Ananissoh , le Lundi, 26 Décembre 2011. , dans Récits, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Afrique, Roman, Actes Sud

L’or des rivières, 2010, 126 p. 13 € . Ecrivain(s): Nimrod Bena Djangrang (Nimrod) Edition: Actes Sud

L’Or des rivières est un roman en sept récits. On peut le lire en commençant par le quatrième « chapitre » intitulé Les arbres. C’est, me semble-t-il, le moyen d’apprécier d’emblée le projet rare qu’accomplit Nimrod. Ce projet, le poète tchadien l’énonce dans le troisième récit intitulé Le retour : « Mon voyage n’avait pour unique objet que celui d’inscrire ma présence dans le paysage ». C’est le retour d’un « orgueilleux qui a les poches vides » dans un pays où la guerre, sporadique, dure depuis trente ans, dans un Tchad dont les paysages, jadis, émurent André Gide. Et comme Gide autrefois, Nimrod décrit en se décrivant et en se voyant sentir. Il parvient ainsi à ne pas rendre les armes devant une réalité qui est faite à la fois de beauté et de laideurs.

Face au pays dont, sans en avoir l’air, il n’escamote rien des afflictions, Nimrod oppose donc sa sensibilité et son esprit. C’est plus qu’un simple rempart. L’affaire est d’importance. Ce n’est pas impunément que le poète remet les pieds là où il est né. D’emblée, il s’agit de défendre et de se défendre. Les gens ici sont occupés à faire des révolutions ineptes, à rouler en Land Cruiser, à ignorer la beauté des lieux où ils se démènent ainsi. En réalité, le poète est au front. Dans Voyage au Congo, André Gide s’exclame presque : « A présent je sais ; je dois parler ». Par ces mots, il ne signifie pas qu’il doit s’engager, prendre parti, combattre, mais plutôt se défendre contre l’horreur de ce qui est, affirmer l’intégrité de son esprit.

L'enchanteur. Nabokov et le bonheur, Lila Azam Zanganeh (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Samedi, 17 Décembre 2011. , dans Récits, Les Livres, Recensions, La Une Livres, USA, Biographie, L'Olivier (Seuil)

L’Enchanteur. Nabokov et le bonheur. Trad. (anglais USA) Jakuta Alikavazovic. Octobre 2011. 228 p. 20 € . Ecrivain(s): Lila Azam Zanganeh Edition: L'Olivier (Seuil)

 

Que faire de mieux, quand on écrit un livre qui porte le nom de bonheur dans son titre, que d’en faire un livre plein de bonheur ? Lila Azam Zanganeh n’y manque pas ! Son Nabokov, l’Enchanteur, est un remède contre toute forme déclarée ou pernicieuse, de déprime.

Ce livre est d’abord, bien sûr, une déclaration d’amour passionné à Vladimir Nabokov. « C’est là que j’ai découvert la texture du bonheur ». Rien moins ! Il nous faut avouer que cette entrée surprend a priori : Nabokov n’est pas – toujours – l’écrivain qui incarne le bonheur dans notre imaginaire de lecteur. On y voit volontiers des ombres, des malaises, une sexualité compliquée. Humbert Humbert, le héros de Lolita, ne symbolise guère un ciel sans nuage ! Non. C’est ailleurs que Lila Azam Zanganeh va chercher, au cœur de l’œuvre du maître, une source intarissable de bonheur. «  La joie profonde qu’inspirent Lolita ou Ada prend sa source ailleurs, dans une expérience de la marge et des limites (au sens quasi mathématique d’ouverture), qui devient celle de la poésie. Et cette poésie est félicité ou, comme le disait VN dans sa langue maternelle, en russe : blazhenstvo »