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Poésie

Fracture du souffle, François Mary (par André Sagne)

Ecrit par Luc-André Sagne , le Mercredi, 10 Mars 2021. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Fracture du souffle, François Mary, ErosOnyx éditions, Coll. Eoliens, janvier 2021, 74 pages, 13,50 €

 

La poésie ne peut être un exercice de style ou un pur jeu de langage. Elle est bien plus que cela. Elle est mise à nu, exposition d’une vie au tranchant des mots. Epreuve de vérité pour le poète par ce qu’elle dévoile et qu’il lui faut affronter. Il n’y a pas d’échappatoire.

François Mary, qui nous a déjà donné un très beau texte sur son père (« Père », dont on a rendu compte ici), nous livre aujourd’hui un nouveau recueil de poèmes, un ensemble très cohérent, fort, sans concession, aux images souvent crues, dans la réalité de sa vie d’homme. Une vie traversée, bouleversée, piétinée même par la rencontre qu’il fait de « garçons farouches, anges de chair » à la beauté sauvage, puissante, terrible, qui croisent sa route et dont le recueil tout entier, dédié notamment à l’un d’eux, son compagnon d’infortune disparu à trente ans, témoigne. Ses « anges d’orage, toujours en colère » qui surgissent « dans la fracture du souffle ». Pour eux il ressent un désir âpre, violent, dont il ne cache ni le caractère trouble ni la noirceur, et qui l’emporte jusqu’aux limites de lui-même.

Le Fou et la Licorne, Éric Poindron (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 04 Mars 2021. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Le Fou et la Licorne, éditions Germes de barbarie, février 2020, postface Pierre Michon, 240 pages, 17 € . Ecrivain(s): Eric Poindron

« Certains poètes n’écriront jamais le moindre vers, d’autres deviendront des météores ou des planètes dans la galaxie littéraire. Chaque destin reste à écrire » (Liminaire de l’éditeur).

« Revues, livres et dictionnaires s’entassent tandis qu’entre crépitement et silence, le sculpteur astronome rêve à Saturne. Il boit un whisky et lit Paul-Jean Toulet, Si tu as peur de la mort, n’écoute pas ton cœur battre la nuit (Le sculpteur du temps, Éric Poindron).

Éric Poindron ressemble à s’y méprendre (heureuse méprise) au cinéaste franco-chilien Raoul Ruiz (1) : même imaginaire foisonnant, même fascination pour les livres magiques, le fantastique facétieux, même passion pour les boîtes à musique, les machines à remonter le temps, les pirates, les magiciens, les collections, les cabinets de curiosité et L’esprit de l’escalier (2), ce qui n’est pas dit, finit par être écrit. Il suffit pour s’en convaincre, de voir ou de revoir les films du réalisateur voltigeur, par exemple : L’Hypothèse du tableau volé, Les trois couronnes du matelot, La ville des pirates, Trois vies et une seule mort, ils ne ressemblent à aucun autre film de cinématographe, par leurs trouvailles, leur originalité, l’effervescence baroque qui les illumine, la croyance qu’ils portent aux images animées, 24 éclats par seconde, comme au tout début du cinématographe.

L’arche inuit, Fragments de l’arche-inuit, Denis Ferdinande (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mercredi, 24 Février 2021. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres

L’arche inuit, Fragments de l’archi-nuit, Denis Ferdinande, éd. Atelier de l’agneau, Coll. Architextes, novembre 2020, 146 pages, 18 €

 

« Et si tout revenait à ne plus savoir écrire ? », interroge le « diariste littéraire » d’entrée, dans l’« Avant-dire », sous « l’arche » du Langage dont, il prévient, la syntaxe (liée à la sémantique) est ici l’objet d’investigation primordial (« de la syntaxe avant toute chose », écrit Denis Ferdinande, où Paul Verlaine écrivit « de la musique avant toute chose » dans son Art poétique). L’auteur évoque bien la possibilité de « ne plus savoir écrire », et non de ne plus vouloir écrire. Nous touchons là à l’articulation de l’être et du monde, dans l’Histoire qui s’écrit, sur le fil linéaire déroulant le parchemin-palimpseste expérimental du Je alias « Personne ». La nuit s’ouvre arche éperdue, porte battante sur le seuil du jour, et « l’écrivant » ne peut que s’autoriser la forme linéaire du journal sauf à rejoindre l’indicible vacuité de ce qui s’écarterait de son expérience même scripturale. L’Écrire tourne ici roue libre sur l’axe d’une pensée itinérante, cadre roulant construisant sa voie tel ce E dessiné sur le frontispice de ces « Fragments de l’archi-nuit » (métal tenant lieu d’armure de la lettre) : AVEC ROTULE CENTRALE EN ACIER par quoi la lettre pouvait être mue, y ajoutant l’accent, XIIIe siècle).

Œuvres Tome II, Victor Segalen en La Pléiade (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 22 Février 2021. , dans Poésie, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, La Pléiade Gallimard

Œuvres Tome II, Victor Segalen, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, novembre 2020, 1312 pages, 62,50 €

 

Écrire puis disparaître

Si l’on embrasse la totalité des textes de l’édition de La Pléiade des deux tomes de l’œuvre écrite de Segalen, l’on croise des registres différents : romans – parfois un peu hybrides –, poèmes – qui dépassent le genre en ajoutant par exemple des mises en page nouvelles –, essais – où court sur plusieurs années l’épiage d’un seul mot –, travaux de biographe – sur des sujets où c’est davantage l’absence que la présence de l’auteur biographié qui sous-tend la démarche du poète – ou pages de dossiers non finies, journaux parfois détruits, donc un univers polygraphique d’importance.

Pour moi, ce qui compte davantage encore, c’est que l’on se trouve devant une littérature instable, où la sensibilité est telle qu’elle oblige à une attention plus grande, en partie à cause de cette impression d’un texte plein d’angles, de coins de toits ou de murs, d’arêtes comme celles de pierres votives, de points de fuite qui toujours rappellent que le poète voyage.

Dans les roues, Bruno Fern (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 08 Février 2021. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Editions Louise Bottu

Dans les roues, novembre 2020, 66 pages, 8 € . Ecrivain(s): Bruno Fern Edition: Editions Louise Bottu

 

Possibles et impossibles de l’écriture

Ce qu’aborde ce court recueil de Bruno Fern, tient à une question centrale de la poétique contemporaine. Elle consiste à mettre en crise la représentation du réel. Ou plutôt, cherche à déterminer comment la réalité entre dans l’expression littéraire. Ainsi, une littérature qui pourrait se pencher vers une forme hermétique, qui même si elle n’abolit pas dans son ensemble les principes de certaines écoles, questionne ce qui lui fait son support matériel, cette littérature donc, cherche une place de la chose dite dans le dit, un dit sujet au soupçon dorénavant.

Pour le cas présent, ce texte s’appuie non pas sur une réalité, fût-elle celle d’une course cycliste, mais sur une déambulation au sein du langage lui-même, ce qui pousse l’activité de la bicyclette vers une simple ossature nerveuse. Désormais, avec le bris, l’à-coup, le choc de la coupure, une espèce de caviardage, des ruptures au milieu des strophes, nous allons dans la périphérie, le terrain vague, la banlieue de la littérature savante, là où la prosodie de l’auteur se refuse à la poétisation, à l’effet de discours.