Identification

Poésie

Le trou de ver, Patrick Devaux (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Mardi, 19 Décembre 2023. , dans Poésie, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Le Coudrier

Le trou de ver, Patrick Devaux, Éditions Le Coudrier, février 2023, 76 pages, 16 € Edition: Le Coudrier

 

Comme le souligne le préfacier de ce recueil, le « trou de ver » de Patrick Devaux se fait « puits de vers » – des vers courts dont le dessin d’ensemble, homogène, forme ici une ligne verticale, à l’image d’une chute que nous entamerions en tant que lecteur, avec l’auteur, pour tenter d’arriver « de l’autre côté des choses », de « l’autre côté des phrases ».

Quelle en serait la finalité ? Il s’agirait peut-être d’échapper à cet espace circonscrit, représenté par une simple route, où l’on se laisse surprendre par les deux phares d’une voiture – se confondant étrangement avec les « yeux jaunes » de la louve –, et d’un lac qui reste calme sous la lune. N’est-ce pas ici le lieu des angoisses ? Et une fois de plus, les mots/l’écrit ne sont-ils pas les meilleurs supports pour nous aider dans cet espace-temps où nous nous trouvons ? « un trou de ver / dans la nuit / ta main blanche le traverse / tu me tends / le poème ultime » (p.11) ; « j’ai tant écrit après / avoir si peu su dire » (p.40).

Le Matin des Pierres, Guillaume Dreidemie (par Parme Ceriset)

Ecrit par Parme Ceriset , le Mercredi, 13 Décembre 2023. , dans Poésie, Les Livres, Recensions, La Une Livres

Le Matin des Pierres, Guillaume Dreidemie, Editions La Rumeur Libre, mars 2023, 80 pages, 14 €

 

Le Matin des Pierres, voilà un titre qui interpelle et plonge immédiatement le lecteur dans une atmosphère à la fois puissante et mystérieuse, l’acheminant vers un lieu imaginaire situé hors référentiel qui réunirait la grâce éphémère des matins et l’intemporalité des pierres.

Le poète, dans sa quête spirituelle, aspire ici à retrouver la pureté, la spontanéité, la sincérité de l’enfance perdue :

« Nous devrions poursuivre ce geste enfantin / Patientant les sources / Pour rafraîchir les mains / Oubliant de boire / Pour tendre la main ».

Il s’agit d’apprendre continuellement l’Amour, de le réinventer en somme, comme le suggérait Arthur Rimbaud, de deviner « ce qu’aimer veut dire », ce sens du mot que nous égarons dans les méandres du quotidien, « dans l’habitude de vivre ».

Mort et vie sévérine, João Cabral de Melo Neto (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 13 Décembre 2023. , dans Poésie, Les Chroniques, La Une CED, Amérique Latine, Langue portugaise

João CABRAL de MELO NETO - Mort et vie sévérine - Édition bilingue. Traduction et présentation de Mathieu Dosse - Chandeigne, 2023, 136 p.,18€

 

Un poème (en fait, une "scène de Noël" écrite en 1955, un jeu théâtral versifié répondant à une commande, et refusé comme injouable - qui n'a eu que dix ans plus tard un étonnant succès, dans une version politico-musicale que Chico Buarque impose à la fois à la dictature d'alors, à Cabral lui-même, d'abord réticent, et au public européen, subjugué) formidable, virtuose et simple, dont on se surprend, un oeil sur les pages de gauche, à scander l'irrésistible et opaque portugais. L'histoire monologuée d'un migrant ("um retirante") du Nordeste, Sévérino, qui gagne, à pied, Recife, pour, fuyant sécheresse et misère, y trouver à vivre ; en une quinzaine d'étapes alertes, familières, denses - le long du fleuve Capibaribe, qui mène du haut-Pernambouc à la métropole côtière - pendant lesquelles le désespoir grandit, les objections au suicide s'essoufflent, la tentation de "prendre une autre sortie; celle qui fait sauter, de nuit, du pont et de la vie" s'installe, jusqu'à ce qu'une naissance - comme on va voir - change l'issue, et redirige ailleurs l'échec.

Capitale de la douleur et L’Amour la poésie, Paul Eluard (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 12 Décembre 2023. , dans Poésie, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Capitale de la douleur, Paul Éluard, Folio/Lycée, août 2023, 256 pages, 4,50 € L’Amour la poésie, Paul Eluard, Folio/Poche, février 2023, 128 pages, 3 €

 

Publié en 1926, Capitale de la douleur est probablement le recueil poétique le plus célèbre de Paul Éluard, ce qui lui vaut en 2023 une réédition dans une collection à visée pédagogique. Voici donc ce livre dont André Breton disait qu’il était destiné « à ceux qui depuis longtemps n’éprouvent plus le besoin de lire » revenu au cœur de l’actualité éditoriale, avec cette question lancinante et sous-jacente : qu’ont encore à dire aujourd’hui ces poèmes du déchirement amoureux ? Rien, et tout, puisque les sentiments exprimés avec puissance (« À terre, à terre tout ce qui nage !/ À terre, à terre tout ce qui vole !/ J’ai besoin de poissons pour porter ma couronne/ Autour de mon front,/ J’ai besoin des oiseaux pour parler à la foule », L’hiver sur la prairie) et force images qui sont autant de provocations à l’esprit, d’incitations à régénérer toute vision, tout ressenti, toute expérience (« Au hasard tout ce qui brûle, tout ce qui ronge,/ Tout ce qui use, tout ce qui mord, tout ce qui tue,/ Mais ce qui brille tous les jours/ C’est l’accord de l’homme et de l’or,/ C’est un regard lié à la terre »,

Shorts, Wystan Hugh Auden (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 08 Décembre 2023. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Rivages poche, Cette semaine

Shorts, Wystan Hugh Auden, Rivages Poche, 2003, trad. anglais, Frank Lemonde, suivi d’un essai de Hannah Arendt, 142 pages, 7 € Edition: Rivages poche

 

L’occasion du cinquantenaire de la mort d’Auden fait rouvrir ici un de ses recueils les plus denses et délicieux (mais malheureusement difficile à dénicher), Shorts, en nous sortant du seul poème Funeral blues, rendu célèbre (« Stop all the clocks, cut off the telephone… ») par sa lecture (bouleversante) dans le film Quatre mariages et un enterrement.

Auden (1907-1973) est toujours, avec bonheur, en poésie juge et partie : comme juge, il délimite la stricte fonction du poète (« exprimer avec exactitude ce qu’il eut l’honneur de contempler », et en laisser aux autres l’appréciation, p.85) ; comme partie prenante, il s’y tient, rigoureusement, lui-même. Si la contemplation arrive trop tard, si l’exactitude se pointe trop tôt, elles repasseront, voilà tout. Auden entend rester maître de l’agenda de ses chefs-d’œuvre, et contrôler (de sa toujours ironique sévérité) l’emploi du temps de sa Muse :