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Poésie

L’Écorce terrestre, Jean-Pierre Chambon (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 08 Mars 2022. , dans Poésie, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

L’Écorce terrestre, Jean-Pierre Chambon, Le Castor Astral, 2018, ill. Jean-Frédéric Coviaux, 144 pages, 18 €

Poésie interstitielle

C’est au moment où je rédige cette chronique que je trouve la clé de l’ouvrage. D’ailleurs, le titre L’Écorce terrestre indique clairement de quoi il s’agit : d’une écorce d’arbre, la peau du chêne par exemple, ce qui revient donc à dire quelque chose de la lisière, de ce qui affleure dans l’épiderme végétal. L’action de la porosité, le travail de la capillarité, telle est la promesse du livre. De ces éléments de pénétration, je retiens la capacité de ces poèmes à designer les interstices, à se loger dans la double nature du langage, c’est-à-dire capter la lumière tout en inventant la lumière. Ces poèmes témoins du mouvement supérieur de l’écriture conduisent le lecteur à plonger avec le poète dans cette maison de l’être devenu pluriel, étoffé, agrandi, augmenté par le langage.

Pour préciser mon idée, je dirai que l’écorce terrestre fait au fond lien avec le monde céleste, celui des eaux et du vent, des montagnes et de l’air qui se raréfie. Donc, une douce euphorie, un enivrement que seul le poème rend possible. Poésie de l’interstice et du contact, de la profondeur et des surfaces, de la terre et du ciel, relation chtonienne à l’air, le globe et le périmètre des étoiles. Le poète se trouve là cherchant les lumières et l’aurore boréale au milieu de l’abîme et ses ombres.

Music-hall, Jean-Luc Lagarce (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 28 Février 2022. , dans Poésie, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Music-hall, Les Solitaires intempestifs, 2017, 64 pages, 12 € . Ecrivain(s): Jean-Luc Lagarce

 

Théâtre de la présence

Si je devais qualifier d’une seule épithète Music-hall de Jean-Luc Lagarce, je dirais le plaisir, le plaisir de la langue. Car au centre de ce travail pour la scène, le langage fructifie. Ainsi, les réflexions qui m’occupaient durant cette lecture, relevaient plus du champ de l’expression écrite que du saisissement par une histoire, par une diégèse. De ce fait, la pièce est rédigée presque exclusivement à la troisième personne du singulier. Cela présage donc d’une distance, d’un endroit où le personnage se confronte à une chose étrangère. Cette distanciation joue un rôle dans l’intrigue et importe dans cette intrigue langagière.

Cette langue en tout cas est la seule capable de révéler cette inquiétude du présent, d’un auteur atteint d’une maladie incurable et mortelle. Inquiétude qui fait le ferment de l’instant, augmentant la surface des acteurs, inquiétude profonde du passage du temps. Cette angoisse latente est consubstantielle à l’identification par la parole du dramaturge. Le personnage désigne et est désigné. Il montre une douleur et porte cette douleur. Le SIDA a désigné Lagarce, et ce faisant celui-ci désigne la maladie.

S’il fallut un jour la guerre, Anne Brousseau (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 18 Février 2022. , dans Poésie, Les Livres, Recensions, La Une Livres

S’il fallut un jour la guerre, Anne Brousseau, éd. La Tête à L’envers, décembre 2021, 58 pages, 15 €

 

Un soldat rentre des combats. Chez lui. Il y retrouve sa maison, sa femme, son jardin. Il doit s’épouiller de toute la noirceur qu’il a vécue. Il doit apprivoiser et ensuite « supprimer » l’autre de lui-même, son « soldat fou », sa facette guerrière.

Dans un aller-retour splendide de justesse entre l’intérieur de la maison (et l’intériorité du combat conscient de cet homme) et le jardin, se joue toute la littérature, la lucide compréhension d’une déchirure qui scinde cet homme fragilisé en deux, celui qui aspire à la paix et l’autre, blessé, qu’il faut enfouir.

La poète multiplie les images de douceur et les doutes (les scènes passées). L’homme veut redécouvrir son corps fait pour l’amour, son corps debout pour aimer, sa sensualité, son enfance perdue. C’est un homme en quête de soi, lucide et conscient, « il a mené une guerre comme tant d’autres », « il ne se reconnaît pas lui-même », il sait que « chaque bataille est une folie ».

Jésus kill Juliette Eloïse, Jacques Cauda (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 17 Février 2022. , dans Poésie, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Editions Douro

Jésus kill Juliette Eloïse, Editions Douro, juillet 2021, 80 pages, 15 € . Ecrivain(s): Jacques Cauda

 

Jacques Cauda est un créateur étonnant et détonnant, un poly-artiste foisonnant, intarissable, ubique et unique, écrivain, peintre, illustrateur, directeur de collection chez Douro, omniprésent sur les réseaux sociaux, jouant la provocation à tire-larigot, ce qui n’est assurément pas pour déplaire en cette époque où la bienséance et son corollaire la biendisance sont de plus en plus d’âcre rigueur avec pour conséquences immédiates les levées récurrentes d’étendards d’une morale archaïque, les accusations de blasphème et l’instauration insidieuse de l’autocensure.

Dans le présent ouvrage au titre énigmatique, le personnage narrateur raconte avec la verve truculente qui caractérise l’auteur son histoire avec Juliette, professeure d’anglais et d’autres moyens d’expression. Le prénom Juliette, rencontré récemment en relation intertextuelle explicite avec l’héroïne des Prospérités du Vice dans la recension pour La Cause Littéraire de Moby Dark, autre œuvre décalée de Cauda, semble être iconique chez notre auteur qui multiplie d’ailleurs malicieusement les références littéraires et philosophiques au Divin Marquis.

Perdre les traces, Jacques Ancet (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 14 Février 2022. , dans Poésie, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Perdre les traces, Jacques Ancet, éditions La Rumeur libre, novembre 2021, 163 pages, 17 €

 

Poèmes de l’extinction

Il est émouvant de parcourir le dernier recueil de Jacques Ancet tant la vérité nue de la vie et de la mort se côtoient. On y trouve une forme de mélancolie presque amère, où le poète se place dans un mouvement du temps, celui sans frein de l’heure ultime, inclination qui entraîne le langage et se fait entraîner vers la nudité et presque le néant. Ce je-ne-sais-quoi et ce-presque-rien, ce détail sobre de notre condition sonne très juste, et cantonne au domaine des larmes.

C’est le sentiment de la mort qui guide les pas du lecteur vers cette musique, ces fugues, cet ostinato de la forme. Perdre, tel est le mot essentiel. Laisser des traces sans savoir si elles resteront traces, traces voulant dire l’inquiétude du devenir du poème. Cette quête justifie pleinement l’écriture de ce livre.