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Espagne

FrICTIONS, Pablo Martín Sánchez

Ecrit par Marc Ossorguine , le Lundi, 11 Avril 2016. , dans Espagne, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Nouvelles, La Contre Allée

FrICTIONS, février 2016, trad. espagnol Jean-Marie Saint-Lu (FrICCIONES, 2011), 224 pages, 18 € . Ecrivain(s): Pablo Martín Sánchez Edition: La Contre Allée

 

Les humains sont épris d’ordre. Les humains passent le plus souvent leur temps – quoi qu’ils en disent ou pensent par ailleurs – à mettre le monde et les choses en ordre, à les ranger, les classer, les catégoriser… à les nommer et les renommer sans cesse. Le langage lui-même n’est-il pas autre chose qu’une activité de classement, de mise en ordre des sons qui font des signes ou des mots, que l’on arrange pour faire des phrases ? Je ne sais plus quel linguiste ou sémiologue disait que c’est de la combinaison que naît le sens. Que se passe-t-il alors quand vient le désordre ? Quand les mots n’obéissent plus aux phrases ? Quand les événements brouillent les récits, quand les idées et les images vagabondent sans avoir cure du sujet ou du thème ? C’est une des choses que nous fait explorer et expérimenter Pablo Martín Sánchez, en bon OuLiPien et dans un certain désordre.

Ces FrICTIONS, le titre nous le suggère avec un ironique surlignage, semblent jaillir à l’endroit où la fiction et la réalité se frottent l’une à l’autre. Une vague rigueur philosophique nous pousserait même à dire que ces divers textes – qu’il ne faut pas forcément prendre pour des récits ou des nouvelles au sens habituel des termes (pour ceux qui se targuent de causer littérature) – ont été engendrés par les contacts frictionnels, les frotti-frotta entre le réel et la fiction.

Le poids du cœur, Rosa Montero

Ecrit par Marc Ossorguine , le Mercredi, 10 Février 2016. , dans Espagne, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Métailié

Le poids du cœur, janvier 2016, trad. espagnol Myriam Chirousse (El peso del corazón, Seix Barral), 357 p. 22€ . Ecrivain(s): Rosa Montero Edition: Métailié

 

Rosa Montero sait avec adresse naviguer d’un genre littéraire à l’autre et a un certain goût pour les récits qui permettent d’interroger le présent et le destin de l’humain en nos temps incertains et passablement troublés. C’est ainsi qu’elle s’est glissée il y a quelques années dans la peau de Bruna Husky, la réplicante de combat, mi-humaine mi-machine, femme d’action soumise à la violence de ses propres questionnements sur la vie – sa vie de « rep », limitée à 10 années et construite sur une mémoire fabriquée par d’autres – mais aussi habitée d’une colère permanente contre les violences mises en œuvre, intentionnellement ou pas, par un gouvernement mondial élitiste et manipulateur qui contrôle étroitement l’information comme les personnes, humaines ou non-humaines.

Encombrée et soutenue par les faux souvenirs que son mémoriste a programmés en elle, Bruna est obsédée par le compte à rebours des jours qui lui restent à vivre (3 ans, 10 mois et 14 jours au début du récit), et fréquente plus d’humains que de « reps », malgré toutes les douloureuses ambiguïtés qu’il peut y avoir dans l’attachement entre humains et reps.

Débâcle, Ricardo Menéndez-Salmón

Ecrit par Marc Ossorguine , le Mercredi, 11 Novembre 2015. , dans Espagne, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Editions Jacqueline Chambon

Débâcle (Derrumbe, 2008), avril 2015, traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu, 192 pages, 21 € . Ecrivain(s): Ricardo Menéndez Salmón Edition: Editions Jacqueline Chambon

 

C’est un récit un peu étrange que nous propose Ricardo Menéndez-Salmón avec cette Débâcle, une manière de thriller dont la dimension polar est à la fois présente et effacée. Un récit qui n’est pas sans créer un certain malaise chez le lecteur qui suit les deux principaux narrateurs de ce roman noir de noir, un tueur en série particulièrement imprévisible, Mortenblau, et l’un des policiers qui enquête sur l’affaire, Manila, et qui pourrait aussi devenir une victime « collatérale ».

Le malaise vient sans doute de ce qu’il n’y a pas de logique, pas de projet ou d’obsession clairement appréhendable dans les actes du tueur, sa folie meurtrière n’obéit à aucune logique, si ce n’est celle d’une pulsion qui l’effraye lui-même, qui prend la forme d’un lion qui l’envahit et auquel il ne peut échapper. Dépourvu de stratégie, saisissant les opportunités, Mortenblau introduit dans la cité une irrationalité monstrueuse et impitoyable qui convoque la peur et la sacralise comme principe vital. Mais comme tout monstre, celui-ci est aussi humain, victime autant que bourreau et incarnation simple, brute et brutale du mal. Un mot aussi court qu’ancien, tapi au cœur de l’humain et de toutes nos sociétés.

L’imposteur, Javier Cercas

Ecrit par Marie-Josée Desvignes , le Samedi, 31 Octobre 2015. , dans Espagne, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Actes Sud

L’imposteur, trad. de l'espagnol Aleksandar Grujicic, Elisabeth Beyer, septembre 2015, 400 pages, 23,50 € . Ecrivain(s): Javier Cercas Edition: Actes Sud

 

« Je ne voulais pas écrire ce livre ». C’est par cet incipit en forme d’aveu (ou de défense) que s’ouvre L’imposteur, un récit biographique étonnamment réel et fictif à la fois. L’auteur-narrateur va, en effet, nous raconter l’histoire d’Enric Marco, personnage encore vivant, « grand imposteur et grand maudit », pseudo-survivant des camps nazis, icône nationaliste antifasciste, symbole de l’anarcho-syndicalisme, à la tête de plusieurs organisations. Pour être bien sûr que nous ne soyons pas, avec cette histoire réelle truffée de mensonges, dans un véritable roman, Javier Cercas va nous parler d’abord de comment il a résisté à l’envie d’écrire cette biographie d’un menteur et non pas un roman. Ce livre est donc le roman d’une biographie fictive. C’est qu’au-delà du mensonge de l’homme qu’était Enric Marco, il y a l’illusion de la réalité que contient toute tentative d’écrire sur.

Beaucoup de questions sont posées au lecteur, par Cercas qui se les pose sans cesse à lui-même : a-t-il tort d’essayer de comprendre le mal extrême ?, si on considère que Marco a réellement menti sur sa présence en tant que victime du nazisme dans les camps de la mort. A-t-il raison de vouloir comprendre quelqu’un comme Enric Marco quand il trompe le monde avec le mal extrême ?

Deux petites filles, Cristina Fallarás

Ecrit par Marc Ossorguine , le Vendredi, 30 Octobre 2015. , dans Espagne, Les Livres, Critiques, Polars, La Une Livres, Roman, Métailié

Deux petites filles (Las niñas perdidas, 2011), traduit de l’espagnol par René Solis, 216 pages, 17 € . Ecrivain(s): Cristina Fallarás Edition: Métailié

 

Deux petites filles de moins de cinq ans ont été enlevées dans Barcelone. Inutile de les chercher car l’on sait déjà que l’on ne peut plus rien pour elles : l’une retrouvée morte, l’autre dont une vidéo témoigne du peu d’espoir qu’elle soit encore en vie. Les circonstances ont été telles que c’est sans doute beaucoup mieux pour elles. La journaliste et détective privée Víctoria González, elle-même enceinte jusqu’au cou, a été payée pour enquêter sur ce crime monstrueux qui révulse les plus endurcis des enquêteurs.

La Fallarás (comme elle se désigne elle-même sur twitter) nous entraîne dans la part la plus sombre et obscure de Barcelone, plus noire que le noir, à la rencontre de ceux qui survivent malgré le mal, ou peut-être par le mal. Un univers où personne n’est blanc, absolument personne. Où ne semblent survivre que celles et ceux qui ont plongé au plus profond, au risque de s’y noyer et de n’en jamais revenir. Dans ce monde-là, les idéaux n’ont guère de place car la réalité les a déchiquetés et éparpillés en mille morceaux, il y a bien longtemps. Qu’il s’agisse d’idéaux d’amour, de famille, de justice… aucun n’a résisté.