L’on a retenu surtout du chevalier à la triste figure – ainsi qu’on le nomme quand on cherche à donner dans la référence cultivée et partagée – sa folie et son projet de chevalier galant et errant au service de toutes les causes désespérément imaginaires, déjà anachronique en ces temps reculés.Non-spécialiste de l’œuvre, je découvre que Don Quichotte se construit lui-même comme un personnage de fiction, né de ses propres lectures. Nous voilà entraînés dans une fiction à double niveau : histoire d’un personnage qui s’invente un personnage. Une lecture démultipliée : celle d’un récit qui parle de lectures. Récit dans lequel le narrateur ne manque pas non plus de s’adresser au lecteur, plus ou moins directement. Le « procédé » (les guillemets s’imposent à moi car le mot pourrait renvoyer à un vulgaire « truc » pour se mettre le lecteur dans la poche, à une astuce stylistique et rhétorique plus ou moins indigne) est toujours séduisant pour le lecteur qui se sent associé à l’œuvre en train de s’écrire, a-t-il l’illusion, alors qu’il n’est qu’en train de la découvrir. Il nous donne l’agréable sensation d’être peut-être le seul destinataire de l’œuvre, il converse avec nous par-delà les pages, par-delà les siècles. Il est vrai que le lecteur que je suis, facilement un peu exclusif dans ses attachements livresques et littéraires (mais je ne dois pas être le seul) aime cette complicité qu’il a pu rencontrer chez Diderot ou Dickens, même s’il la sait illusoire.