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Roman

Une arche de lumière, Dermot Bolger (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Mercredi, 13 Avril 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Joelle Losfeld

Une arche de lumière, Dermot Bolger, janvier 2022, trad. anglais (Irlande) Marie-Hélène Dumas, 460 pages, 23 € Edition: Joelle Losfeld

 

Eva Goold Verschoyle est née dans le comté de Donegal, l’un des trois comtés d’Ulster qui ont été intégrés dans la République d’Irlande lors de la proclamation d’indépendance. Elle épouse en 1927 Freddie Fitzgerald, héritier d’une dynastie de hobereaux locaux dont la perte de puissance et de richesse matérielle est symbolisée par la décrépitude de ce qui subsiste du domaine et de la grande demeure ancestrale, et par la claudication de son propriétaire.

Ayant dû renoncer à sa vocation de devenir une artiste peintre, elle s’oblige à mener pendant vingt-deux ans une existence de femme au foyer que seul l’amour qui la lie à ses deux enfants, Francis et Hazel, l’aide à supporter. Dès qu’ils partent de la maison pour aller vivre leur vie, elle quitte son mari pour ouvrir en ville une modeste école d’art pour enfants. C’est cette scène de rupture, sans cris, sans larmes, sans violence, qui constitue le premier chapitre proprement intitulé Le départ.

L’Enquête, Juan José Saer (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 12 Avril 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Amérique Latine, Le Tripode

L’Enquête (La Pesquisa, 1994), trad. espagnol (Paraguay) Philippe Bataillon, 190 pages, 16 € . Ecrivain(s): Juan José Saer Edition: Le Tripode

 

C’est un polar. Ah l’attrape-nigaud parfait pour qui prendrait ce livre en main avec cette seule affirmation en tête ! Et pourtant c’est bien un polar, mais écrit par Juan José Saer, un polar devient un étourdissant labyrinthe littéraire. Un dédale. Une toile d’araignée.

A propos de l’ouvrage des arachnides, la toile, la première qui saute aux yeux du lecteur c’est celle qui est tissée autour de la place Léon-Blum à Paris XIème. A vrai dire, une place à l’étrange topographie, un peu désordonnée : du Boulevard Voltaire partent, dans des directions complexes, la Rue de La Roquette (des deux côtés de la place), l’Avenue Parmentier, la Rue Sedaine derrière la mairie du XIème, l’avenue Ledru-Rollin vers le sud. Surtout, tout autour, un dédale serré de petites rues étroites et alambiquées. Une fausse place qui trompe son monde, qui décale un concept, qui sert de métaphore à un roman qui veut perdre le lecteur en l’emmenant au cœur de la magie de la littérature. Où est ce roman ? Dans nos mains ? Écrit par un paraguayen nommé Saer ? Ou bien dans ce mystérieux dactylogramme retrouvé par un groupe d’amis au Paraguay qui raconte – quoi ? – un épisode de la Guerre de Troie ou une histoire de meurtres en série de petites vieilles dans les rues qui étoilent la Place Voltaire dans le Xième ?

Le Soldat indien, René de Ceccatty (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Jeudi, 07 Avril 2022. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres

Le Soldat indien, éd. du Canoë, février 2022, 168 pages, 15 € . Ecrivain(s): René de Ceccatty

Romancier, critique, essayiste, biographe, René de Ceccatty a fait de sa vie un vivier littéraire. Il a passé au crible nombre d’œuvres du monde italien, de l’univers japonais. Il a tracé de grands noms (Pasolini, Morante, Moravia), la biographie, et a traduit sans cesse les œuvres de ces deux langues. Sa volonté de s’inscrire comme un écrivain de la mémoire littéraire l’a amené assez logiquement à s’intéresser à sa propre famille et à remonter le temps, avec la même rigueur, le même désir d’offrir au lecteur le fruit de ses recherches. Ainsi est né, il y a quelques années, Enfance, dernier chapitre, prospection intime dans les années de ses parents, de son enfance.

Aujourd’hui, c’est le même souci qui l’attise : évoquer dans un livre un ancêtre, un grenadier des Indes, issu du régiment de Lorraine, Léopold de Ceccatty, qui a passé quatorze années là-bas, avec sa famille, puis est rentré en France, dans le Jura. Maîtrisant les sources qui, peu nombreuses, ont évoqué ces guerres coloniales du XVIIIe, auxquelles son ancêtre a participé, l’écrivain s’associe directement, en entrelardant son récit d’un autre récit, celui qu’il fit sur les terres de son enfance en Tunisie, son quatrième voyage là-bas, sur les traces de ses ancêtres tunisiens, en quête de la villa où il vécut avec ses parents et son frère Jean, aujourd’hui rasée, en quête aussi de tombes, celle du grand-père Hamida, dans un cimetière profané, caché derrière des parpaings.

La barque le soir, Tarjei Vesaas (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Mercredi, 06 Avril 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays nordiques, En Vitrine, Editions José Corti

La barque le soir, trad. norvégien, Régis Boyer, 192 pages, 19 € . Ecrivain(s): Tarjei Vesaas Edition: Editions José Corti

Régis Boyer, le traducteur et préfacier, pose la question essentielle quant à ce livre : roman, autobiographie ou poème ? Tout en admettant le tort que l’on aurait à vouloir circonscrire un ouvrage dans un genre particulier, surtout quand on reconnaît la richesse de ce même ouvrage, on est néanmoins assuré de la présence de la poésie dès les premières lignes. Non pas tant dans ce que la poésie pourrait véhiculer de formel, mais davantage dans les images, et dans cette volonté de l’écrivain à tendre, jusqu’à la pureté, vers ce qui n’est qu’impressions et sensations, comme dépouillées des contingences sociales. La poésie se mêle aussi, au sein du style, dans des élans itératifs, faits de morceaux de phrase ou de simples mots : tel un refrain, telle une ponctuation personnelle, le narrateur y revient, comme exprimant ses doutes ou sa perplexité face à ce qu’il perçoit et face à sa mémoire.

Car les souvenirs d’enfance s’immiscent souvent dans cet ouvrage : pour le narrateur, cette période se caractérise par de la rudesse et un mutisme pesant. Pourtant, l’auteur se fixe sur l’émerveillement, et sans jamais l’once d’une lourdeur, dans un souffle continu, il nous conduit, sorcier, à un instant de grâce, à ce qui paraît « insaisissable » (suivant le titre d’un chapitre) : oui, l’émerveillement est ici l’élu, le fil conducteur, le pilier, la justification de ce livre, où la nature est en vérité le personnage principal.

Reine de cœur, Akira Mizubayashi (par Stéphane Bret)

Ecrit par Stéphane Bret , le Mercredi, 06 Avril 2022. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Gallimard

Reine de cœur, mars 2022, 235 pages, 19 € . Ecrivain(s): Akira Mizubayashi Edition: Gallimard

Reine de cœur est un roman dont l’articulation est musicale : cinq mouvements, à l’instar d’une symphonie ou d’un concerto. Il met en scène Jun Mizukami, un musicien, altiste, étudiant au Conservatoire à Paris dans l’avant-guerre, et Anna, jeune femme se préparant à devenir institutrice. Nous sommes en 1939, et le conflit sino-japonais connaît alors ses phases les plus sombres telles que l’occupation de la Mandchourie, ou celle des villes du sud de la Chine. Anna tomba amoureuse de Jun, en raison, bien sûr, de leur penchant commun pour la musique, de l’amour de Jun pour la langue française. L’auteur Akira Mizubayashi illustre ce que l’amour d’Anna a de protecteur pour Jun. Le départ de ce dernier est prévu pour Yokohama, port militaire qui l’emmènera sur le front, vers l’Extrême-Orient occupé par l’armée nippone.

Des citations du journal de Jun, ses correspondances font état d’un déchirement moral, d’une honte de participer à ce qui ne s’appelle pas encore des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité : « Un pays en proie à la force belliciste, au désir d’expansion coloniale, à la politique d’un État militarisé obligeant tout un chacun à suivre corps et âme la voie des sujets désignés par l’empereur, forçant ainsi toute raison et tout esprit critique à s’effacer, à se taire complètement et durablement ».