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Nouvelles

Quelques femmes, Mihàlis Ganas (2ème critique)

Ecrit par Marc Ossorguine , le Samedi, 18 Mars 2017. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Bassin méditerranéen, Quidam Editeur

Quelques femmes, trad. grec Michel Volkovitch (Γυναικών, 2010), 68 p., 10 € . Ecrivain(s): Mihalis Ganas Edition: Quidam Editeur

 

Voilà un poète et écrivain grec dont on regrette, à peine le livre ouvert, qu’il ne soit pas plus traduit en France. En effet ces quelques portraits ou nouvelles, on ne sait trop, ont un pouvoir de séduction rare, de par leur langue comme de par les images qu’ils convoquent, ou plutôt invoquent. Considéré en terre grecque comme l’une des grandes voix poétiques contemporaines, il faut tout l’art du traducteur pour nous les faire partager, même imparfaitement, même partiellement. Nous ignorons tout de la langue grecque, mais le pouvoir de ces textes est aussi de nous donner une puissante envie de découvrir cette langue, avec sa musique propre.

La simplicité de ces portraits nous touche aussi, pris dans le quotidien le plus ordinaire, jusqu’à en être banal (mais pas trivial) que le regard de l’écrivain rend unique, extraordinairement complice, jusqu’aux frontières de l’intime qu’il franchit parfois à pas de loup. Portraits ou nouvelles, portraits et nouvelles tout à la fois. De femmes mais aussi d’hommes.

Retourner à la mer, Raphaël Haroche

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Mardi, 14 Mars 2017. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Gallimard

Retourner à la mer, février 2017, 166 pages, 17,50 € . Ecrivain(s): Raphaël Haroche Edition: Gallimard

 

Sa terre à lui c’est la mer, et la mer pour lui c’est ça. Une voix, un ton, une lecture en images.

Plus d’un avant lui ont plongé dans l’abîme, du chanteur au peintre, de l’écrivain au parolier, l’artiste toujours qui te dirait qu’écrire ce n’est point affirmer ou confirmer mais déformer. Un auteur-compositeur qui écrit ses chansons comme des nouvelles. Des nouvelles en chansons.

Raphaël a retrouvé son tréma, révélé son nom de famille pour démarquer là l’exercice. Chaque voyelle ici se prononce. La musique dans les dialogues, le rythme et d’emblée le pied qui tape le sol. La première nouvelle te plaque au sol.

La débiteuse à bois et l’incinérateur des carcasses, le couperet, le coup, le couteau, les sucs, les graisses, le sang sur le sol de l’abattoir. Les odeurs. Les arbres coupés et les corps des bêtes menées à la mort. La chair dans la terre. Les hommes, les hommes bien sûr qui font leur métier en fermant leur âme, juste un peu, les hommes sont d’un autre pays, ça se passe dans un autre pays. Il faut que ce genre de choses se passe en dehors.

Nouvelles définitions de l’amour, Brina Svit

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 06 Mars 2017. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Gallimard

Nouvelles définitions de l’amour, Brina Svit, février 2017, 256 pages, 19,50 € . Ecrivain(s): Brina Svit Edition: Gallimard

 

Pour Brina Svit, écrire n’est pas forcément défendre la solitude dans laquelle ses personnages se trouvent mais la constater. Les nouvelles « actionnent » des isolements affectifs que les narrations rendent communicables, dans la mesure où à cause de l’éloignement de tous les êtres autres que les héros ou héroïnes, le dévoilement de leurs « relations » est rendu possible.

Selon la créatrice, la solitude n’a rien d’une nécessité qui doit être défendue, elle est même sans justification ce qui la rend plus âpre. Personne ne peut s’y retrouver sauf à être des ascètes ou une Maria Zambrano.

La romancière prouve que la solitude non choisie appartient à ces sentiments existentiels que nous assumons mal au moment où elle envahit et que sa pression vient du dehors. Elle est devenue un piège imposé par les circonstances (limogeage, décès, etc.). Et la parole de Svit ne prétend pas en libérer. Au contraire. Elle souligne une circonstance assiégeante et immédiate, un usage excessif obligé et qui désagrège.

L’Orient est rouge, Leïla Sebbar

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Lundi, 27 Février 2017. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Maghreb, Elyzad

L’Orient est rouge, janvier 2017, 96 pages, 15,70 € . Ecrivain(s): Leïla Sebbar Edition: Elyzad

 

Si vous aimez les histoires à l’eau de rose, inutile d’ouvrir le recueil de nouvelles de Leïla Sebbar. Rien que le titre L’Orient est rouge, si ramassé, évocateur et grave, sera une arme de dissuasion.

Comment faire en sorte que des faits historiques ou d’actualité deviennent une expérience littéraire ? Comment réussir à relier les deux dans un ensemble unifié ?

C’est la prouesse à laquelle L’auteur de ce recueil parvient. Ces douze nouvelles, ces douze récits rouge pivoine, rouge grenade, rouge sang, rouge vie, rouge mort, présentent une très grande cohérence comme la mise en espace de douze tableaux dans une salle d’exposition autour d’un même peintre.

Douze personnages qui semblent mener une vie normale mais qui souterrainement se laissent emporter dans un tourbillon qui les déborde. Ses personnages, nous les avons frôlés, croisés, avec une parfaite indifférence mais Leïla Sebbar va nous obliger à les regarder au fond de leur être.

Ce que nous avons perdu dans le feu, Mariana Enriquez

Ecrit par Cathy Garcia , le Jeudi, 23 Février 2017. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Amérique Latine, Editions du Sous-Sol

Ce que nous avons perdu dans le feu, Éditions du sous-sol, janvier 2017, trad. Espagnol (Argentine) Anne Plantagenet, 240 pages, 18 € . Ecrivain(s): Mariana Enriquez Edition: Editions du Sous-Sol

Étranges, effrayantes, macabres ou le plus souvent même sordides, ces nouvelles de Mariana Enriquez ne peuvent laisser indifférent. Narrées pour une majeure partie d’entre elles à la première personne, elles nous enfoncent dans les côtés les plus obscurs de l’Argentine, à Buenos Aires le plus souvent, dans un contexte urbain et déshumanisé, où la pauvreté avance comme une gangrène. On peut penser effectivement à l’Uruguayen Quiroga ou même au Bolivien Oscar Cerruto, mais Mariana Enriquez possède une griffe très personnelle et très contemporaine. Ici le glissement vers le fantastique ou plutôt vers l’horreur surnaturelle, ce qu’on appelle le réalisme magique dans la littérature sud-américaine, est clairement un prétexte pour évoquer ou rappeler des faits qui n’ont rien de surnaturel, si ce n’est que leur cruauté semble absolument inhumaine. Que ce soit des cauchemars et des spectres d’une dictature et ses disparus qu’on ne peut faire que semblant d’oublier ou la violence effroyable d’une société où tous les pouvoirs qui se suivent sont corrompus, la misère, les bidonvilles, les ravages de la drogue, la sexualité prédatrice, le trafic d’enfants, la torture, les humiliations, l’exploitation, la pollution, les maladies, les difformités, la folie et la noirceur de l’âme, parfois érigées en culte. C’est de souffrance dont il est question, non pas seulement de la souffrance humaine, mais de la souffrance de tout le vivant.