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Nouvelles

Le Goût de l’ombre, Georges-Olivier Châteaureynaud

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Mardi, 31 Mai 2016. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Grasset

Le Goût de l’ombre, février 2016, 192 pages, 16 € . Ecrivain(s): Georges-Olivier Châteaureynaud Edition: Grasset

 

Rares sont les bons auteurs de nouvelles publiés en France, en raison d’une timidité éditoriale envers le genre. Georges-Olivier Châteaureynaud fait exception à la règle, dans une veine que ne renieraient pas les écrivains anglo-saxons (Poe ou James) ni les conteurs latino-américains (Quiroga ou Borges) ni, encore et surtout, les nouvellistes français du XIXe siècle comme Théophile Gautier ou Balzac.

Georges-Olivier Châteaureynaud s’est imposé comme l’un des auteurs contemporains de nouvelles fantastiques les plus féconds. Le goût de l’ombre, recueil de sept nouvelles écrites entre 1993 et 2015, dont la rédaction de certaines s’étend sur plus de dix ans, dans sa maison de Palaiseau-Lozère, font état de la richesse et de la variété de l’imaginaire de l’auteur.

La plupart des nouvelles prennent place dans un contexte réaliste – villes de province où le temps s’écoule paresseusement –, un contexte souvent sombre et un peu terne : modeste entreprise de pompes funèbres, boutique d’antiquités poussiéreuse, restaurant de quartier… Et puis cela décroche : un homme récemment décédé continue à vivre, une momie se met à parler, un chien effrayant se dresse sur la route du narrateur, un homme se sent attiré par la taxidermie humaine des égyptologues.

La fille-flûte et autres fragments de futurs brisés, Paolo Bacigalupi

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 17 Mai 2016. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, J'ai lu (Flammarion)

La fille-flûte et autres fragments de futurs brisés, octobre 2015, traduit de l’anglais (USA) par Sara Doke et al., 412 pages, 8,40 € . Ecrivain(s): Paolo Bacigalupi Edition: J'ai lu (Flammarion)

Parmi les auteurs que chérit, voire vénère l’amateur de science-fiction se dessinent deux catégories principales : les grands auteurs de science-fiction, ceux qui maîtrisent avant tout l’art des narrations à hypothèse, et les grands auteurs qui écrivent de la science-fiction, ceux qui sont des stylistes se frottant aux mêmes narrations. Sur foi des dix nouvelles rassemblées dans La fille-flûte et autres fragments de futurs brisés (publié en 2008 en anglais sous le titre Pump Six and Other Stories – juste une différence de choix pour la nouvelle donnant son titre au recueil), on élit Paolo Bacigalupi (1972) dans la seconde catégorie. Que ce recueil ait reçu le Prix Locus dans sa catégorie importe finalement peu ; il survivra dans les mémoires au-delà d’un quelconque palmarès, même si on peut féliciter les lecteurs du magazine Locus pour leur clairvoyance.

Ce qui saute aux yeux, à la lecture de neuf des dix nouvelles, c’est à quel point Bacigalupi est le digne héritier des meilleurs romanciers cyberpunk : ses nouvelles, même les plus éloignées de notre présent en apparence (La fille-flûte et Peuple de sable et de poussière, une des nouvelles les plus extraordinaires jamais lues, à titre personnel – on y reviendra), semblent avant tout des extrapolations pas même monstrueuses de ce qui nous environne, de ce qui fait notre quotidien, ses inquiétudes en tête ;

Dis que tu es des leurs, Uwem Akpan

Ecrit par Didier Smal , le Vendredi, 13 Mai 2016. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Afrique

Dis que tu es des leurs, Books Editions, 2013, trad. de l’anglais par Patrick Honnoré, 382 pages, 21 € . Ecrivain(s): Uwem Akpan

Le magazine Books est bien connu des amateurs de littérature et d’articles pointus, fouillés, d’une pertinence rarement prise en faute, sur l’actualité mondiale vue au travers des livres ; il faudrait préciser, concernant la littérature, qu’il s’agit de littérature mondiale : dans les pages de Books, en effet, on peut lire des recensions de livres non encore publiés en français, dont certains ne le seront peut-être jamais – au grand désarroi de qui ne pratique pas l’allemand, l’espagnol voire le tchèque ou le japonais, à qui ces recensions ont donné envie de lire les livres en question. Il était donc naturel que Books se lance dans l’aventure éditoriale, en proposant au public francophone quelques-uns des livres allophones recensés dans ses pages. Dont acte avec Dis que tu es des leurs, recueil de nouvelles du Nigérian Uwem Akpan (1971), prêtre de son état. Ce recueil a rencontré un beau succès critique, en Amérique du Nord en tout cas, en témoignent les extraits des recensions du New York Times (Un premier recueil éblouissant) et du Washington Post (Son empathie et son génie littéraire m’ont transformée) reproduits en quatrième de couverture, et en témoigne aussi son palmarès : le Prix des Commonwealth Writers, celui du PEN Open Book et une sélection dans le Oprah Winfrey Book Club, cette dernière étant garante d’un beau succès de librairie en sus.

J’envisage de te vendre (j’y pense de plus en plus), Frédérique Martin

, le Jeudi, 14 Avril 2016. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Belfond

J’envisage de te vendre (j’y pense de plus en plus), janvier 2016, 224 pages, 17,50 € . Ecrivain(s): Frédérique Martin Edition: Belfond

De t’acheter surtout !

De son recueil de douze nouvelles intitulé J’envisage de te vendre (j’y pense de plus en plus), il ressort que l’univers de Frédérique Martin est personnel, étrange et parfois angoissant. A partir de situations d’apparence anodine, elle concocte de courtes histoires qui peuvent dériver jusqu’à la folie (Remugles) d’une plume tantôt légère, tantôt grave mais toujours belle.

Le titre du recueil est tiré de sa première nouvelle, Le désespoir des roses, histoire cruelle d’un jeune homme qui a décidé de vendre sa mère. Elle est veuve, elle commence à vieillir et il la propose contre la somme de 1500 € (avec le fauteuil où elle est assise). « Pour quitter l’enfance, vendre sa mère est indispensable ». Et il le faut bien : aucune femme n’accepterait d’épouser un célibataire qui garde encore sa mère auprès de lui. Après un marchandage sordide, il parvient à la céder pour un prix raisonnable. Rentré chez lui, il poursuit son existence misérable. « Je pleure sans pouvoir redresser la tête ». Parfois il croit reconnaître le pas de sa mère. « Je cours ouvrir la porte. Mais il n’y a personne dehors, rien d’autre que le désespoir tranquille des roses ». Moralité : ne vendez pas votre mère, elle n’a pas de prix.

FrICTIONS, Pablo Martín Sánchez

Ecrit par Marc Ossorguine , le Lundi, 11 Avril 2016. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Espagne, La Contre Allée

FrICTIONS, février 2016, trad. espagnol Jean-Marie Saint-Lu (FrICCIONES, 2011), 224 pages, 18 € . Ecrivain(s): Pablo Martín Sánchez Edition: La Contre Allée

 

Les humains sont épris d’ordre. Les humains passent le plus souvent leur temps – quoi qu’ils en disent ou pensent par ailleurs – à mettre le monde et les choses en ordre, à les ranger, les classer, les catégoriser… à les nommer et les renommer sans cesse. Le langage lui-même n’est-il pas autre chose qu’une activité de classement, de mise en ordre des sons qui font des signes ou des mots, que l’on arrange pour faire des phrases ? Je ne sais plus quel linguiste ou sémiologue disait que c’est de la combinaison que naît le sens. Que se passe-t-il alors quand vient le désordre ? Quand les mots n’obéissent plus aux phrases ? Quand les événements brouillent les récits, quand les idées et les images vagabondent sans avoir cure du sujet ou du thème ? C’est une des choses que nous fait explorer et expérimenter Pablo Martín Sánchez, en bon OuLiPien et dans un certain désordre.

Ces FrICTIONS, le titre nous le suggère avec un ironique surlignage, semblent jaillir à l’endroit où la fiction et la réalité se frottent l’une à l’autre. Une vague rigueur philosophique nous pousserait même à dire que ces divers textes – qu’il ne faut pas forcément prendre pour des récits ou des nouvelles au sens habituel des termes (pour ceux qui se targuent de causer littérature) – ont été engendrés par les contacts frictionnels, les frotti-frotta entre le réel et la fiction.