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Les Livres

Debout un pied, Sufo Sufo (par Marie du Crest)

Ecrit par Marie du Crest , le Mardi, 24 Septembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Théâtre, Espaces 34

Debout un pied, 2018, 70 pages, 13,80 € . Ecrivain(s): Sufo Sufo Edition: Espaces 34

 

Depuis des années déjà, le monde est confronté à la question des « réfugiés, des migrants, des exilés ». Des guerres, le terrorisme, des dictatures, la misère, ont poussé des millions de gens à partir de chez eux et à se mettre en route vers L’Europe, vers les Etats-Unis, en traversant les déserts, les grands fleuves, l’Océan et la Méditerranée. La littérature sous toutes ses formes, l’art, témoignent de ces parcours terriblement périlleux, mais la plupart du temps il s’agit d’un point de vue occidental. Le texte de Sufo Sufo, lui, est un regard africain posé sur ces départs vers un « là-bas » fantasmé. L’image de la première de couverture détermine le cœur du texte : des amarres et un fragment de coque de bateau : il sera question en vérité d’attachement ou de détachement, de partir ou de rester au port, au pays. A aucun moment l’auteur par le biais de ses personnages ne révèlera explicitement le nom du pays, de la ville portuaire, qui fait l’unité de lieu. Toutefois à plusieurs moments, le lecteur comprend qu’il s’agit bien du Cameroun, avec des allusions à l’entreprise coloniale allemande ou aux émeutes de la faim de 2008 ; sans parler des tensions et des violences dans les zones anglophones du pays. Un état de guerre (sociale, politique) qui ne s’avoue pas.

Londres, Virginia Woolf (par Jean-François Mézil)

Ecrit par Jean-François Mézil , le Mardi, 24 Septembre 2019. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Londres, Virginia Woolf, Rivages, août 2019, trad. anglais Chloé Thomas, 190 pages, 18 €

 

Virginia court les rues de Londres comme d’autres vont à la rivière pêcher. Pour elle, tout est bon, jusqu’au menu fretin qu’elle épice, mitonne et nous sert en quelques pages savoureuses.

Exemples de goujons et d’ablettes : un bout de phrase, pris au vol, entre deux amoureux ; une maigre dispute au sein d’un vieux couple ; « deux hommes qui se concertent sous le bec de gaz [et] déchiffrent le dernier câble de Newmarket dans l’ultime édition du journal » ; les piles de livres chez un bouquiniste…

Mais elle pêche aussi au gros, et ce sont alors des tanches et des brochets qu’elle attrape au fil de ses courses londoniennes et nous sert sur des assiettes de plusieurs pages :

– L’exposition coloniale de 1924 (« Un homme fait sonner une vessie et vous presse d’entrer pour chatouiller des singes ») ;

– Un baptême de l’air (« On voyait […] des congestions routières d’un pied de long ; il fallait les traduire en onze ou douze Rolls Royce à la file ») ;

L’Usage de l’imparfait, Maxime H. Pascal (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 24 Septembre 2019. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

L’Usage de l’imparfait, Maxime H. Pascal, éditions Plaine Page, coll. Calepin, juillet 2019, 170 pages, 15 €

 

Poésie de la menace

C’est grâce à une écriture acérée, voire acide parfois, que peut se rendre accessible ce livre singulier, lequel, sans doute, est conçu pour être proclamé. Et le mot acidité va bien sous ma plume, car il est question dans le sous-texte de l’ouvrage de la menace qui pèse sur notre planète, et ainsi en partie d’une déploration de « l’acidité » des sols soumis au fracas de la pollution. Bien sûr, ce n’est là qu’une façon de faire avancer ces lignes, sachant d’ores et déjà que le recueil dresse un constat, et que le fond et la forme de cet Usage de l’imparfait se déploient autour des questions du réchauffement climatique, des catastrophes industrielles, de l’accumulation dangereuse des déchets, des méfaits des produits toxiques. L’imparfait est le temps d’une vision d’aujourd’hui qui s’adresse aux temps à venir – ce qui pousse le présent vers le passé – et se comprend comme l’imperfection de nos conduites à l’égard de l’équilibre de la nature. De cette façon, cet opuscule tient ensemble à la description des effets de la pollution, et à engendrer une littérature poétique. Quant à L’Usage, là aussi nous pouvons disserter.

Quand les ténèbres viendront, Isaac Asimov (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Lundi, 23 Septembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, Science-fiction, La Une Livres, Nouvelles, Folio (Gallimard)

Quand les ténèbres viendront, trad. anglais (USA) Simone Hilling, 700 pages, 10,20 € . Ecrivain(s): Isaac Asimov Edition: Folio (Gallimard)

 

Les amateurs de science-fiction en général et les lecteurs d’Isaac Asimov en particulier devraient fort goûter cette volumineuse anthologie des nouvelles d’un des maîtres du genre. L’ouvrage ne rassemble pas moins de vingt nouvelles publiées dans diverses revues et autres anthologies entre 1941 et 1967, choisies par l’auteur lui-même dans l’impressionnant corpus de ses œuvres, et présentées ici dans l’ordre chronologique de leur publication originale.

Outre l’intérêt que représente, pour les aficionados d’Asimov, l’occasion de découvrir ou de redécouvrir des textes allant des plus connus pour les uns aux moins diffusés pour d’autres, ce florilège offre, en prologue à chaque récit, une présentation exceptionnelle, par l’auteur lui-même, de l’intrigue, de sa genèse, de l’historique et des circonstances de sa publication, des échanges circonstanciels avec les éditeurs des revues qui l’ont initialement accepté ou refusé. A ceci s’ajoute une auto-analyse de la création narrative souvent empreinte d’humour, parfois teintée d’autodérision, toujours pleine de saveur métalittéraire. Le procédé, rare quand il est appliqué de manière ainsi systématique, jette sur la pratique personnelle de l’écrivain un éclairage tout autant susceptible de plaire au lecteur lambda que de se révéler précieusement utile pour un éventuel exégète.

De la santé des gens de lettres, Samuel-Auguste Tissot (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 23 Septembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Histoire, Classiques Garnier

De la santé des gens de lettres, avril 2018, 212 pages, 24 € . Ecrivain(s): Samuel-Auguste Tissot Edition: Classiques Garnier

Le traité du médecin suisse Samuel-Auguste Tissot (1728-1797) constitue, dans le meilleur sens du terme, une curiosité littéraire. Il n’est pas de ces œuvres médiocres que l’on arrache à leur sommeil séculaire dans les bibliothèques où elles eussent mieux fait de rester. De la Santé des gens de lettres connut plusieurs rééditions au XVIIIe siècle, une traduction en anglais (1762), quatre réimpressions aux XIXe et XXe siècles. L’ouvrage est représentatif d’un triple mouvement. D’abord, la vulgarisation du discours médical par le recours à la langue française, prolongeant ce qu’avait accompli Ambroise Paré : si les médecins, pour conquérir leurs grades, soutenaient toujours leurs thèses en latin, ils diffusaient ensuite leurs idées dans des ouvrages français, qui rejoignaient les bibliothèques des non-spécialistes (« Pas de livres que je lise plus volontiers, que les livres de médecine, pas d’hommes dont la conversation soit plus intéressante pour moi, que celle des médecins ; mais c’est quand je me porte bien », écrivait non sans humour Diderot, cité p.42). Tissot avait dans un premier temps publié un Sermo academicus de valetudine litteratorum (1766), qu’il traduisit et amplifia. Ensuite, le livre de Tissot apparaît représentatif de l’avènement d’une nouvelle cléricature, les « gens de lettres » laïcs (qu’on n’appelait pas encore les « intellectuels ») doublant d’abord, puis remplaçant l’ancienne, les religieux lettrés.