Identification

Les Livres

L’Homme peuplé, Franck Bouysse (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 16 Août 2022. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Albin Michel

L’Homme peuplé, Franck Bouysse, 17 août 2022, 320 p. 21,90 € . Ecrivain(s): Franck Bouysse Edition: Albin Michel

 

Dans sa plénitude littéraire, Franck Bouysse, dans ce roman éblouissant, tend un miroir à son œuvre, se plonge dans le miracle de l’acte d’écriture, dans l’ingénierie secrète et effarante qui conçoit et produit la naissance d’un ouvrage. Dans un jeu délicat et complexe de frontières entre fiction, réalité, présent et passé, il nous invite à nous laisser emporter dans un Maelström qui nous fait perdre de bout en bout de ce que nous lisons la notion même du réel. Le doute du lecteur se fait source de la tension permanente qui trame le roman, débouchant ainsi sur une sorte de thriller littéraire dont le déroulé et le dénouement laissent sans voix. Néanmoins – et c’est là la force du livre – des traces indiciaires, habilement distillées au cours du récit, soulèvent des interrogations, inquiètent, poussent au doute. Et c’est cette intelligence de la lecture, du lecteur, qui pleinement amène le roman à l’éclosion, à la lumière, à la vie. On pense – c’est irrésistible – à Maurice Blanchot : C’est que tout texte, si important et si intéressant qu’il soit (et plus il donne l’impression de l’être), est vide – il n’existe pas dans le fond ; il faut franchir un abîme, et si l’on ne saute pas, on ne comprend pas (In l’écriture du désastre).

Karmas, Pierre-Olivier Lacroix (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 16 Août 2022. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman, Le Mot et le Reste

Karmas, Pierre-Olivier Lacroix, mars 2022, 346 pages, 21 € Edition: Le Mot et le Reste

 

Il paraît improbable, en tout cas inusuel, qu’une personne qui sans l’ombre d’un doute s’est suicidée huit ans plus tôt, qui est morte et incinérée depuis près de trois mille jours et n’occupe plus que quelques centimètres-cube dans une urne, fasse l’objet d’une enquête de gendarmerie. C’est pourtant ce qui arrive à feue Nicole Gachet, ancienne directrice d’une association s’occupant d’insertion professionnelle dans cette « France périphérique » où l’emploi est de plus en plus rare. Un beau soir (mais qui ne fut pas beau pour tout le monde) de juin 2007, le premier soir de l’été, son mari fut surpris (comme le serait au demeurant n’importe quel mari) de la trouver dans le jardin, nue, en transe et en train de dévorer les boyaux du chat. Quelques secondes plus tard, Nicole Gachet se poignardait et se jetait dans la rivière qui passait au fond de la propriété.

Ainsi parlait André Gide, Gérard Bocholier (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 16 Août 2022. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Arfuyen

Ainsi parlait André Gide, Gérard Bocholier, éditions Arfuyen, mai 2022, 14 €

 

Qualifier

Je connais André Gide depuis mon adolescence – ce qui est aussi le cas de Gérard Bocholier, qui le confie dans sa préface à ce recueil de dits et de maximes. Cela ne m’a pas empêché de découvrir un Gide concerné par les arts, c’est-à-dire, tout serré autour de question de l’art. Cette prose, que je pourrais comparer à l’écriture de Diderot, claire, un peu froide, un style décidé, sans failles, presque dur, impliqué en tout cas, se déploie sans exagérations et intériorise l’œuvre d’art comme contenu et comme adresse à un lecteur ou au spectateur. Gide s’intéresse ici à la fabrication du poème et à celui qui écrit, au poète. La réception des textes est aussi importante que l’œuvre elle-même. Et l’écriture suit, sans suffocation, l’intelligence du propos, mais sans sombrer dans le comment du poème, regardant davantage le pourquoi, ce qui revient à écrire sur l’essence du phénomène artistique. Donc, une expression profonde, sans manière, intelligente mais qui ne se met pas en scène.

Par la vaste mer, Andrés Sanchez Robayna (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 13 Juillet 2022. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Espagne

Par la vaste mer, Andrés Sanchez Robayna, éditions Le Taillis Pré, décembre 2021, trad. espagnol, Claude Le Bigot, 113 pages, 15 €

 

 

Qu’est-ce qu’un poète ? Une sorte de sonneur de la présence : quelqu’un qui garde dans l’oreille les sons mêmes qui, une première fois, lui ont donné envie d’entendre ; et un poète lucide et généreux est celui qui, même athée, soigne et diffuse le son religieux – un carillon lointain dans le ciel familial – qui fut son premier chant de monde. C’est que la « vaste mer » qu’évoque le titre du recueil semble bien plutôt renvoyer à un océan d’air et d’échos, tant ce qui, tout jeune, a sorti d’enfance ce poète presque septuagénaire, est – écrit-il dès les premières pages – une volée de cloches, un jour, inattendue, immense et ineffaçable, dans le ciel bas de la contrée familiale (les Îles Canaries). Comme c’est sa vocation lyrique même qui s’est jouée là, voici son récit fondateur :

Les couleurs du ghetto, Aline Sax, Caryl Strzelecki (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Mercredi, 13 Juillet 2022. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays nordiques, Jeunesse, La Joie de lire, Albums

Les couleurs du ghetto, Aline Sax, Caryl Strzelecki, trad. néerlandais, Maurice Lomré, 176 pages, 14,50 € Edition: La Joie de lire

 

« L’ennemi veut nous enlever, à nous Polonais et Juifs, tout ce qui est art et science. Il se peut que nous périssions, mais si nous devons périr, faisons-le avec dignité » (Ludwik Hirszfeld)

 

Témoignage d’un pogrom

Les couleurs du ghetto est le nom du terrible récit des pogroms d’Europe de l’Est dont témoigne ce roman graphique magistral. Le scénario est écrit par Aline Sax, née en 1984 à Anvers, titulaire d’un Doctorat en Histoire et illustré par Caryl Strzelecki, né en 1960 d’un père polonais et d’une mère néerlandaise. Le titre est surmonté d’une discrète étoile de David, les images ne sont traitées qu’en noir, gris et blanc – le noir, la nuit profonde de l’horreur, du deuil et de la néantisation de toute chose ; le gris et le blanc comme le brouillard et l’horizon parti en fumée dans un vide aveugle.