La parution de Sérotonine, de Michel Houellebecq, fut l’occasion de rappeler ce principe bien connu des études littéraires : la distinction entre auteur et narrateur. Non, ce n’est pas Houellebecq qui a critiqué telle ville de l’Ouest de la France, mais son narrateur ; de même que c’était le narrateur d’Extension du domaine de la lutte qui affirmait que « Rouen a dû être une des plus belles villes de France ; mais maintenant tout est foutu. Tout est sale, crasseux, mal entretenu, gâché par la présence permanente des voitures, le bruit, la pollution. Je ne sais pas qui est le maire, mais il suffit de dix minutes de marche dans les rues de la vieille ville pour s’apercevoir qu’il est complètement incompétent, ou corrompu » (chapitre 3).
D’un côté, on ne peut s’empêcher de penser que cette distinction entre auteur et narrateur dégage un net parfum de sophistique, qui permet à l’auteur d’écrire ce qu’il a envie d’écrire et de s’abriter ensuite derrière un être de papier. Mais, d’un autre côté, admettre l’existence d’un narrateur permet de résoudre d’inévitables contradictions, voire des apories (qui est le porte-parole de l’auteur, à supposer qu’il y en ait obligatoirement un ?). Le narrateur des Particules élémentaires ou de Sérotonine est et n’est pas Michel Houellebecq. Du point de vue de la logique aristotélicienne, c’est difficile à admettre, mais si Aristote jugeait la fiction supérieure à l’histoire au point de vue de la vérité, il aurait pu en dire autant de la fiction par rapport à la logique.