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Critiques

Prague, Faubourgs Est, Timothée Demeillers

Ecrit par Philippe Chauché , le Lundi, 20 Octobre 2014. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, La rentrée littéraire, Asphalte éditions

Prague, Faubourgs Est, octobre 2014, 160 pages, 16 € . Ecrivain(s): Timothée Demeillers Edition: Asphalte éditions

 

« J’étais parti. Quand tout était devenu trop confus dans ma tête. Une sorte de déserteur. Déserteur au temps du fleurissement de la nation. A l’arrivée des magnats allemands, des investisseurs américains, des émissaires européens, du vent de la liberté, des foules libérées en costume-cravate, des grosses berlines, des crédits à la consommation, des Tesco ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre, j’étais parti ».

Marek, le déserteur, revient, comme l’on revient toujours sur les lieux du crime. Il a vécu sous la glace communiste, puis au centre de La Révolution de Velours, avant d’aller voir ailleurs, ce qui s’y danse, de l’autre côté de l’Atlantique. Il revient à Prague, pour y saisir ce qui s’y trame, y retrouver Jakub et Katarina, ce passé ensorcelé que le temps précipite dans une dérive qui ne débouche sur rien, sauf sur quelques frémissements de nostalgie. Le Théâtre des Opérations n’a pas vraiment changé, on y boit toujours beaucoup, la drogue circule, les corps se vendent et se louent en plein jour. Les personnages de Timothée Demeillers ne croient plus à grand-chose, ils dérivent entre deux arnaques, et trois mauvaises passes. A croire que tous les malfrats de l’Est se sont installés à Prague, à croire que tous les promoteurs véreux de la planète s’y sont donné rendez-vous, à croire que le velours de la révolution cachait en ses trames des lames de rasoir, et ce n’est pas le Roi qui est nu, mais son peuple.

Grand cru bien coté, Éric Dejaeger

Ecrit par Cathy Garcia , le Lundi, 20 Octobre 2014. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Récits

Grand cru bien coté, Cactus Inébranlable éditions, septembre 2014, 90 pages, 7 € . Ecrivain(s): Éric Dejaeger

 

 

Grand cru bien coté (contrepétez ! vous dit l’auteur) c’est du Dejaeger pur jus (de chaussette) et il ne plaira pas à tout le monde, oh non, et d’ailleurs c’est bien le dernier des soucis de l’auteur : plaire.

Par contre déplaire, ça c’est déjà bien plus drôle pour celui qui aime à jouer avec les préfixes et en inventer des listes de mots rien que pour s’amuser. Ce cru bien coté (et son alter-scato) c’est la boule puante balancée sous la chaise du professeur, et quand c’est un professeur qui l’a pondue, le monde peut bien continuer à boire l’apéro. D’ailleurs, il est déconseillé de s’emparer de l’objet à jeun, comprenez : il est recommandé de le prendre en mode post-apérotoire, chacun décidera de la dose, pour ma part, ce fut cul-sec, mais c’est que je commence à savoir bien tenir le Dejaeger, sans avoir besoin de reprendre ma respiration, bien qu’un copieux pipi-caca soit au menu.

Un éblouissement sans fin. La poésie dans le soufisme, Eric Geoffroy

Ecrit par Marc Michiels (Le Mot et la Chose) , le Samedi, 18 Octobre 2014. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Poésie, Seuil

Un éblouissement sans fin. La poésie dans le soufisme, préface du Cheikh Khaled Bentounes, septembre 2014, 368 p. 21 € . Ecrivain(s): Eric Geoffroy Edition: Seuil

 

« Tu es à jamais voyageur, de même que tu ne peux t’établir nulle part », Ibn ‘Arabî

 

Eric Geoffroy est un islamologue arabisant à l’Université de Strasbourg. Il enseigne également à l’Université Ouverte de Catalogne, et à l’Université Catholique de Louvain. Spécialiste du soufisme et de la sainteté en Islam, il travaille aussi sur la mystique comparée, et les enjeux de la spiritualité dans le monde contemporain. Il a publié neuf ouvrages, plusieurs de ses ouvrages sont traduits en différentes langues.

Le dernier ouvrage d’Eric Geoffroy, Un éblouissement sans fin. La poésie dans le soufisme, publié dans la collection Les Dieux et les Hommes aux éditions du Seuil, est un livre évènement pour qui sait faire abstraction à une actualité anxiogène et guerrière. L’ouvrage dévoile les tissus du corps noir de l’ignorance ; il apporte ainsi lumière, connaissance, esprit et poésie du langage et du patrimoine spirituel du monde musulman.

Lettre à l’absence, Patrice Maltaverne

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Samedi, 18 Octobre 2014. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie

Lettre à l’absence, éditions La Porte, 2014 . Ecrivain(s): Patrice Maltaverne

 

Publié par la micro-maison d’édition La Porte, laquelle édite des petits livres de quelques 16 pages, cousus main et numérotés à 200 exemplaires, le recueil de Patrice Maltaverne, Lettre à l’absence, signe par ses mots suggestifs traversés d’images éloquentes un bel ouvrage. Ce recueil de Maltaverne déjà interpelle par sa différence par rapport aux écrits précédents du revuiste dirigeant depuis de belles années le poézine Traction-Brabant. Ses distiques et sa composition presque classique pausent un instant d’étonnement.

Avant que le lecteur emboîte dans la foulée le pas de Maltaverne, la route vient nous happer & nous engouffrer dans ses trouées de lumière & de solitudes

/ nous projeter du haut de nos fourmilières vers ces prés de bitume où la foule avance, clé d’appoint dans le dos / pour s’aligner sur un quotidien pris en flagrant délit de banalité s’il n’électrocute pas les passants / qui ne font qu’y passer.

Ce qui reste de nos vies, Zeruya Shalev

Ecrit par Anne Morin , le Vendredi, 17 Octobre 2014. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Gallimard, La rentrée littéraire, Israël

Ce qui reste de nos vies, traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz, septembre 2014, 416 p. 22,90 € . Ecrivain(s): Zeruya Shalev Edition: Gallimard

 

Une famille, à travers ses divers âges, traverse la vie d’un pays, ou est-ce plutôt ce pays qui descend le fleuve du temps, imprégnant son mode d’être aux membres de cette famille ? D’un kibboutz à un appartement minuscule de Jérusalem, la vie de Hemda – la précieuse est la traduction de son prénom rare – s’écoule, la précieuse et la mal traitée : « (…) au bout de quelques semaines elle marchait, certes sur des jambes mal assurées, le corps brûlant des coups de son père et l’esprit figé comme un petit animal que l’on a dressé avec cruauté, mais elle marchait, chassée de la gloire, chassée de la joie, avec la vague conscience qu’elle aurait beau mettre un pied devant l’autre, courir, elle n’avait plus vers où diriger ses pas » (p.17).

Sa vie s’écoule, comme l’eau du lac de son kibboutz qu’on a asséché : progressivement, imprégnant les rives et la terre de ses boues. Hemda revient mourir doucement dans son lit, sans souffrance apparente, et manifeste, dans ses rares moments de lucidité, une conscience aiguë des problèmes de sa famille.