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Les Chroniques

Amours sibériennes, Ismaël Billy, par Didier Ayres

Ecrit par Didier Ayres , le Vendredi, 16 Novembre 2018. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Amours sibériennes, Ismaël Billy, Editions du Cygne, mai 2018, 58 pages, 10 €

Honneur 2018 de la Cause Littéraire

Ce qui reste après la lecture du recueil sibérien d’Ismaël Billy, est d’un ordre à la fois organique et lyrique. Nous sommes témoins du voyage de l’auteur dans le nord de la Russie, où la neige et les eaux sont valorisées comme appartenant au régime symbolique de l’amour. D’ailleurs, le poète croise le cours du fleuve Amour, qui à lui seul donne le sentiment de sédimentation en soi de la force lyrique des lieux. Ainsi, on traverse à la fois dans la chaleur des corps et le piquant de la salive par exemple, les plateaux alluviaux de la Sibérie et peut-être pouvons-nous nous diriger vers le détroit de Béring, point le plus oriental de ce voyage. Donc l’amour ici est décrit comme une pulsion, comme une pulsation, comme un chant, et encore comme une sorte de trace de sel organique, un goût violent, où toutes les neiges forment une émulsion physiologique propre à la consommation du désir et de l’amour.

Il ne faut pas oublier où nous sommes. Car les poèmes prennent leur naissance dans un territoire, territoire recréé pour appartenir au régime du poème, car c’est sans doute la vision de l’auteur qui compte, se trouvant confronté aux images saisissantes de la Sibérie, son énigme, sa violence. D’ailleurs, Tchékhov voulait écrire une pièce après La Cerisaie, qui se serait déroulée au Pôle. Donc on voit combien est attractif ce territoire balayé par les neiges et riche de figures.

Trame : Anthologie 1991-2018 suivie de L’Amour là, Pascal Boulanger (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 16 Novembre 2018. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Trame : Anthologie 1991-2018 suivie de L’Amour là, Pascal Boulanger, Tinbad Poésie, octobre 2018, 368 pages, 30 €

« Le chant sera pur élan du cœur

Il détache une page il la plie

Les gris sont bleus

Il renonce au repas sanglant

La goutte d’encre est la nuit

Il écrit : la poésie doit être négation de la négation… »

(Le bel aujourd’hui)

Trame est une anthologie, un mot bienvenu qui s’appuie sur une fleur grecque, anthoset que l’on pourrait associer à anthèse, l’épanouissement de la fleur. Une anthologie qui n’a jamais aussi radicalement porté son nom : les épanouissements de la lettre et donc de la poésie libre et vivante.

Zabor, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud , le Jeudi, 15 Novembre 2018. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

 

« Ecrire est la seule ruse efficace contre la mort. Les gens ont essayé la prière, les médicaments, la magie ou l’immobilité, mais je pense être le seul à avoir trouvé la solution : écrire. Mais il fallait écrire toujours, sans cesse, à peine le temps de manger ou d’aller faire mes besoins, de mâcher correctement. Beaucoup de cahiers qu’il fallait noircir. Je les achetais, je crois, selon le nombre des gens que je rencontrais : dix par jour, parfois deux (quand je ne sortais pas de la maison de mes grands-parents) ou plus ; une fois, j’ai acheté 78 cahiers, d’un seul coup, après avoir assisté au mariage d’un voisin. Le plus proche libraire me connaissait et ne me posait jamais de question sur mes achats : dans le village on me désignait comme étant le fils du postier, celui qui lisait, sans cesse, et on comprenait un peu que je noircisse les cahiers comme un possédé. On m’envoyait les vieux livres trouvés, les vieilles pages jaunes des colons, des revues déchirées et des manuels de machines disparues. J’étais silencieux et brillant aux écoles et j’avais une belle écriture appliquée. Donc j’achetais les cahiers en recomptant, les yeux fermés, le corps allongé sous la vigne tourmentée de notre cour, pendant l’heure de la sieste, les gens rencontrés, la journée précédente.

Nostalgie coloniale et diversité culturelle dans la mode parisienne (par Mustapha Saha)

Ecrit par Mustapha Saha , le Mercredi, 14 Novembre 2018. , dans Les Chroniques, La Une CED

 

Trois cents rues et bâtiments publics parisiens portent encore des noms célébrant la légende coloniale (Didier Epsztajn, Guide du Paris colonial et des banlieues, Editions Syllepse, 2018). La toponymie s’accroche à la postérité comme une mémoire honteuse, mais toujours présente. Les dénominations exotiques rappellent subliminalement les possessions françaises, les conquêtes épiques des territoires barbares, les glorieuses expéditions civilisatrices. « Le langage du colon, quand il parle du colonisé, est un langage zoologique. On fait allusion aux mouvements de reptation du Jaune, aux émanations de la ville indigène, aux hordes, à la puanteur, aux pullulements, aux grouillements, aux gesticulations. Le colon, quand il veut bien décrire et trouver le mot juste, se réfère constamment au bestiaire » (Frantz Fanon, Les Damnés de la Terre, éditions François Maspero, 1961). Et pourtant, cette même histoire grouille de résistances, de révoltes, de luttes de libération. Quelques figures emblématiques sont, tardivement, immortalisées sur les plaques bleues, l’abolitionniste modéré Victor Schœlcher,le colonel Louis Delgrès, commandant de Basse-Terre, déserteur de l’armée pour combattre les troupes bonapartistes voulant rétablir l’esclavage, l’Emir Abd El Kader, Toussaint Louverture. « Peuple français, tu as tout vu / Oui, tout vu de tes propres yeux / Et maintenant vas-tu parler ? / Et maintenant vas-tu te taire ? » (Kateb Yacine, La Gueule du loup, 17 Octobre 1961).

Suites chromatiques, Jacques Sicard (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mercredi, 14 Novembre 2018. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Suites chromatiques, Jacques Sicard, Tinbad, octobre 2018, 152 pages, 16 €

Lecture au carré

Je commencerai ma chronique sur les Suites chromatiques de Jacques Sicard en m’appuyant sur ce que j’ai été comme lecteur de cet ouvrage sobre, bien écrit et qui permet le rêve, chose qui échappe à la conscience de l’auteur, le dépasse. Et cette position est celle que j’appelle du lecteur au carré dans laquelle j’oscillais sans cesse devant ces dix fois dix suites de courts textes, auprès desquels le liseur est rendu actif, vigilant, éveillé. Qu’il s’agisse de musique, de peinture ou de cinéma, toujours le poème de Jacques Sicard sollicite une sorte d’inquiétude (d’intranquillité serait peut-être un meilleur mot), d’inconfort propre à convoquer la culture mienne pour suivre à la fois ce que le poème décrit et vise, grâce à une espèce de décalage. Oui, un instant d’adaptation. Une musique du poème qu’il faut synchroniser. Ainsi, je ne sais si j’ai lu un témoignage devant une œuvre soumise à la cadence du poème, ou si je me suis trouvé devant un poème-œuvre en soi. Quel chemin suivre dans le tableau, dans la diégèse de tel autre film, à quel moment franchit-on avec l’auteur le scat de la suite chromatique pour s’abîmer dans ce poème devenu musique ? Le lecteur est ainsi dans une position oblique, décentrée, distanciée à la manière peut-être de l’acteur brechtien, qui prend distance dans son jeu d’acteur.