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Récits

La mort ou l’exil – Souffles Tchétchènes, par Hans Limon

Ecrit par Hans Limon , le Vendredi, 09 Juin 2017. , dans Récits, Ecriture, La Une CED

 

ILIA. Je te parle tout bas mon Nortcho, en tout cas bien assez pour que tu puisses m’entendre et que je puisse m’entendre moi-même sans que ces gars derrière les murs avec leurs fusils clinquants leurs crosses têtues leurs matraques et leurs uniformes de mort aux trousses ne se doutent de quoi que ce soit, car le doute n’est pas un bénéfice, non, le doute met des rides au front et des échardes vrillées dans les neurones, pas possible de s’en débarrasser sans tout arracher autour, et tu comprends qu’après m’avoir dépouillé de toi ils me feraient crever une seconde fois sans sourciller – « pas le premier c’est sûr mais l’un des derniers » m’a-t-on dit d’une voix presque joyeuse, une voix de cancre à la veille des vacances – ils m’arracheraient d’ici pour m’attacher ailleurs, les pieds les mains le cou, mais je refuse qu’on m’attache ou me lie sinon à toi qu’ils ont pris sur ma poitrine en me laissant cette pâle cicatrice qui va du nombril jusqu’à la bouche, mais je sais bien que je cesserai d’exister si je cesse de parler, si mon souffle tiède refuse de rebondir sur les briques d’ombre grise pour me revenir en soupirs de Nortcho,

Paris-Austerlitz/Paris

Ecrit par Didier Ayres , le Dimanche, 09 Septembre 2012. , dans Récits, Ecriture, La Une CED

Jeudi

Depuis le quai de la gare, je vais comme si je retrouvais le fil d’une liaison entre les différentes personnes que je suis, comme un anonyme, fait d’humeurs et de corps, de pensées, de matières spirituelles variables. Cette déambulation, qui se terminera ce soir au train de une heure, me conduit depuis le quai de la Râpée jusqu’à la place de la République.

Qu’ai-je vu ? Des statues japonaises, boulevard des Filles du Calvaire, deux philodendrons vert chou qui s’épanouissaient dans le hall, et l’entrée de l’immeuble décorée par du marbre, et mille visages.

Paris-Austerlitz, quai 6, sous la grande coupole qui rappelle certains tableaux impressionnistes, coupole qui maintenant est accompagnée de beaux et grands immeubles de verre dépoli, je marchais jeudi, cherchant le beau, l’angoisse et le beau. Car il y a peut-être une vision qui anime l’angoisse ? Je dis cela sans prétention, juste parce qu’il y a cette jeune femme avec sa blouse blanche et sa minerve comme un bandage, ou ce livret à demi lu des poèmes d’Haussmann, et cette vibration, brève et plaisante, de la présence des êtres humains dans la rue qui sont touchés par le secret, par une question suspendue en eux dans leur regard, dans le pli noir de cette chevelure de femme : qui sont-ils ? Quelle est-elle ? Je ne sais. Beauté et douleur vont ensemble en même temps aujourd’hui.

Le cimetière monumental

Ecrit par Marie du Crest , le Lundi, 03 Septembre 2012. , dans Récits, Ecriture, La Une CED

 

A l'entrée d'Iglesias, apparaît l'enceinte, la haute ceinture qui emmure les trépassés. Les cigales stridulent. Est-ce bien le cimitero ? Ou un jardin de sculptures ? La mort est si belle. Le marbre vient de Carrare. La mort est un signe ostentatoire. Dans l'éclat de juillet, des promeneurs suivent les sentes entre les tombes. Les proches fleurissent, entretiennent les architectures post mortem. Une femme se tient immobile devant la tombe de son époux. Elle lui raconte que la vie continue après lui mais que rien ne compte. Elle porte le deuil : voyez, je suis de noir vêtue  pour lui, vierge à nouveau sans homme. Il ne reconnaît plus sa voix.  Parle-t-elle trop bas ? Elle sait que les morts restent avec nous. Elle s'attendrit en pensant à tous ceux qui sont réunis dans cette ville à l'écart de l'autre ville. Deux photos. Etre à nouveau jeunes mariés. Elle a lu maintes fois l'histoire de Giuseppe rejoint par sa veuve. Leurs enfants les pleurent. Un peu plus loin ; contre le mur de l'enceinte, elle passe souvent devant le jeune Lecca 1903 à l'air canaille des années trente, la main gauche sur la hanche et un chapeau citadin sur la tête, à la conquête de la vie. Elle sourit toujours en pensant aussi à Sergio qui aimait le foot. Il n'a pas eu le temps de se fiancer. A-t-il eu un accident de voiture sur une mauvaise route de montagne ; avait-il une maladie incurable malgré sa vigueur sportive ? Ses parents ont dépensé une petite fortune pour son monument.

L'immobilité

Ecrit par Didier Ayres , le Jeudi, 21 Juillet 2011. , dans Récits, Ecriture, Chroniques Ecritures Dossiers, La Une CED

Ou la deuxième promenade


Déambuler, voir, revenir, revoir. Et cette fois-ci, le bâtiment comme une arche échouée, un vaisseau de science-fiction, la nef d’un manga, un bateau ivre arrêté ici. Oui, le squelette d’un tyrannosaure, l’armature d’un animal géant. D’autant plus que les charpentiers sont couleur citron, et comme de petits Play mobil. Puis cette impression me quitte, au profit d’un pur discours, d’une parole tenue par l’organisation des maillages d’acier, et, là, comme une virgule, la première charpente latérale du toit. Cependant, en m’approchant, ce que je prenais pour une virgule, devient un V, et très vite, un idéogramme, car sous l’étiage, se trouve une sorte de Y, fait du même bois clair, peut-être du mélèze, je ne sais pas. Je suis ainsi en Orient, dans la figuration d’un alphabet inconnu. Je regarde longtemps la minutie de l’arrimage de la structure. C’est la patience voulue de cette activité, qui me surprend. J’aurais refusé de m’attarder pour autre chose, mais, ici, je vois, je regarde, j’observe longuement, pris moi aussi par la lenteur de l’opération. La patience est à l’œuvre. Le petit homme couleur oranger, celui qui guide l’opération, gâche apparemment un temps précieux. Mais, ce n’est que l’apparence d’une perte ; le gain est supérieur.

Le récit d'un arpentage

Ecrit par Didier Ayres , le Dimanche, 17 Juillet 2011. , dans Récits, Ecriture, Chroniques Ecritures Dossiers, La Une CED

Ou les travaux du promeneur


Je sais marcher. Je sais déambuler. Oui, choisir une rue plutôt qu'une autre. Je sais cheminer, aussi, dans les sentiers. Et, ces marches sont des travaux pour moi. J'y réfléchis, et si je suis accompagné, je disserte. J'aime donc aller pour faire discours. Par exemple, en poursuivant lentement sur l'avenue qui longe les voies ferrées. Ne pas savoir. Divaguer. Juste à l'écoute de l'amble de la marche. Donc, me hasarder, suivre là, l'allée qui débouche sur Pompidou-Metz, et le mur vert-de-gris qui masque les lignes de la compagnie des transports ferrés. Puis, tourner, revenir, regarder. Voir les trois rectangles qui sont comme des tiges en équilibre d'un grand mikado de béton. Géants, mais qui paraissent fragiles comme des oiseaux. En une sorte de lévitation hasardeuse. Alors, je ne suis plus ici, mais aux côtés de Kagemusha, avec lui, la doublure du guerrier, près de sa tente de combattant, de samouraï, dans ce mélange de la force des armes et de la faiblesse de la toile de l'abri. Mais, pour finir, beaucoup de gris, de blanc, et les lignes de chemins de fer où, là encore, je regarde non pas la liaison ferroviaire, mais les petites gares d'Ozu et ses mariages difficiles. Donc, le cinéma. Donc ce qui nécessite l'identification. La catharsis. La confusion de soi et du paysage. Faire le discours de cette relation. Faire de mes propres yeux le parcours de la promenade, comme pour un plan rapproché.