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Les Livres

L’Ultime Auberge, Imre Kertész

Ecrit par Marie-Josée Desvignes , le Vendredi, 05 Juin 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays de l'Est, Roman, Récits, Actes Sud

L’Ultime Auberge, janvier 2015, traduit du hongrois par Charles Zaremba, Natalia Zaremba-Huzsvai, 320 pages, 22,80 € . Ecrivain(s): Imre Kertész Edition: Actes Sud

 

« On dit que je suis un écrivain très estimé mais que – si j’ai bien compris – personne ne lit ».

Pour qui, par hasard, n’aurait jamais lu Kertész, il serait totalement déconseillé de l’inviter à se saisir de ce dernier opus que l’auteur lui-même, sentant ses forces l’abandonner, déprécie sans cesse (en dépit du fait qu’il le considère en exergue comme « le couronnement de son œuvre »). « Il ne fait aucun doute que l’Ultime Auberge à laquelle j’ai consacré tant de temps (des années, de longues années) n’est pas un bon sujet. D’une part, le texte a de nouveau la forme d’un journal, forme galvaudée qui m’ennuie, d’autre part, le ton est trop sombre, ce qui n’est pas justifié, en fin de compte ». Imre Kertész n’en est pas à un paradoxe près.

Dans ce livre intitulé L’Ultime auberge, texte hybride entre journal et roman, mais toujours au plus près de l’autobiographie, le prix Nobel de littérature dont toute l’œuvre a fait le lien entre existence (ou non-existence, cf. Etre sans destin) et vie réelle, s’interroge, entre autres, à la fois sur la qualité de son écriture et sur l’évolution de la littérature : « pourquoi mon écriture s’est-elle à ce point aplatie », et « le roman est-il moribond ? ».

La grande santé, Frédéric Badré

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 04 Juin 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Biographie, Roman, Seuil

La grande santé, avril 2015, 200 pages, 17,50 € . Ecrivain(s): Frédéric Badré Edition: Seuil

 

« La maladie neurodégénérative m’extrait du monde. C’est une expérience douloureuse de la séparation. L’antidote au cauchemar, le moyen de rester éveillé, la grande santé a pour nom littérature ».

La grande santé est ce récit, ce roman d’un corps qui lâche, le corps d’un dessinateur, d’un peintre, d’un écrivain frappé au cœur par la SLA, la maladie de Charcot. La grande santé est cette expérience terrible de la fonte des muscles, de l’effondrement de la saveur et du savoir du corps, de la suspension des mots dans le territoire de l’invisible. La grande santé est cet acte de résistance à la ruine annoncée, acte d’écriture, donc de vie divine. Alors s’invitent Kafka – Jubilation du créateur –, Joyce, Paulhan – vision magique du langage –, Meyronnis – le Pic de la Mirandole du XXIe siècle –, Roth, Ponge, d’un livre et d’une métamorphose à l’autre. Si le corps lâche, la littérature sauve.

« Chaque matin, devant la glace, je dois envoyer des bises en l’air, étirer mes lèvres, faire claquer ma langue, gonfler mes joues, descendre la mâchoire, l’avancer comme un prognathe… Pourtant, rien n’y fait, l’affaiblissement progresse. L’art de la pointe comme stade suprême de l’esprit civilisé, je ne pourrai plus l’exercer qu’en silence. Et dans le silence, il se perdra ».

Peau de femme, Philippe Comar (2ème article)

Ecrit par Marc Michiels (Le Mot et la Chose) , le Mercredi, 03 Juin 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard

Peau de femme, janvier 2015, 240 pages, 17,90 € . Ecrivain(s): Philippe Comar Edition: Gallimard

 

Le savoir de la peau, une emprunte de toi :

« Tu ne seras pas plus extérieur à ma vie que l’air que je respire ».

Il y a des critiques qui, comme certains ouvrages, nécessitent d’être emprisonnées dans son corps pour les faire siennes ! Cet ouvrage serait-il une ambition folle d’un écrivain, d’écrire comme le penserait une femme à la vue de son jardin intime ? Le gazon serait-il plus vert, les fleurs plus belles et plus sauvages ? Ce livre pourrait être un constat de critiques constituant des critiques constantes d’un esprit critique. Ou, pour dire les choses simplement, comment se débarrasser de son corps, l’âme de l’autre, couper les mauvaises herbes, à défaut des pages d’un livre, que l’on jetterait au fumier pour recommencer le cycle des années, cycle des mutations, vers un âge de raison ? Naufrage nu, d’une ancre raclant le fond des abysses d’un petit lac réalisé de mains d’hommes, libérant, telle une pieuvre, l’encre noire des mots crus de la douleur.

Antonia, Gildas Girodeau

Ecrit par Marc Ossorguine , le Mercredi, 03 Juin 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman

Antonia, éd. Au-delà du raisonnable, mars 2015, 250 pages, 18 € . Ecrivain(s): Gildas Girodeau

 

Les romans qui tirent vers le noir et du côté du polar sont souvent ceux qui nous en apprennent le plus sur le monde tel qu’il est ou tel qu’il a été, voire tel qu’il pourrait être ou sera. Le dernier opus de Gildas Girodeau n’échappe pas à cela et, en outre, c’est un roman dont le personnage principal emporte le lecteur, le séduisant tout en l’amenant à réfléchir au monde et à sa place dans le monde.

Antonia appartient aux fameuses Brigades rouges, alors que l’Italie entre dans les terribles « années de plomb », celle où une démocratie mal en point sera le théâtre des actions armées, violentes (on commence alors à parler plus systématiquement de terrorisme), ciblées ou aveugles, menées par les extrêmes politiques. Mais Antonia, celle que les services de police ont surnommée la « pistolera », parvient à échapper au « coup de filet » qui démantèle son organisation et l’amène à prendre le large sans tarder, à se fondre dans une autre identité, à changer de pays. Toutes choses qu’elle fait avec une détermination et une intelligence qui vont lui permettre de démarrer une autre vie, ailleurs.

Survivants, Russell Banks

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 01 Juin 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Babel (Actes Sud)

Survivants, traduit de l’américain par Pierre Furlan, 256 pages, 7,70 € . Ecrivain(s): Russel Banks Edition: Babel (Actes Sud)

 

En 1975, Russell Banks (1940) voit quelques-unes de ses nouvelles réunies sous un très beau titre : Searching for Survivors, Survivants en français (une nuance est perdue, mais elle n’est pas essentielle) ; il n’est pas encore l’auteur majeur de Continents à la Dérive, De Beaux Lendemains ou encore American Darling, mais la qualité de ces romans incite l’amateur à se pencher avec bienveillance sur ces œuvres de jeunesse. Cet amateur est récompensé de sa curiosité : Banks, alors trentenaire, affiche une claire maîtrise de l’art narratif, même lorsqu’il fait ses gammes.

Une caractéristique que possède déjà Banks au plus haut point, c’est l’empathie envers ses personnages : peu importent leurs faiblesses, leurs défauts, la façon dont ils ont mené leur existence, aucun jugement n’est posé sur eux. Banks décrit des agissements, des comportements, rapporte des paroles, mais ne s’institue pas en petit comptable de l’existence de ses personnages ; cet art, il le portera à la perfection avec le Bob Dubois de Continents à la Dérive, mais c’est littéralement une autre histoire.