Identification

Les Livres

Marcel Proust, Croquis d’une épopée, Jean-Yves Tadié (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Jeudi, 17 Septembre 2020. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Marcel Proust, Croquis d’une épopée, Jean-Yves Tadié, Gallimard, novembre 2019, 384 pages, 22 €

Pourquoi ce titre, qui peut paraître étrange de prime abord, pour un ouvrage rassemblant dix ans de critique proustienne, éveillée par le hasard des commandes ou des envies ? « Un précurseur méconnu de la manière moderne d’écrire l’histoire », G. Lenotre (Théodore Gosselin), publia le premier volume de son cycle de douze volumes, « La Petite Histoire », sous le titre de : Napoléon, Croquis de l’épopée. Ce fut la « passion de mon enfance », confie Jean-Yves Tadié, avant d’ajouter : « C’est ce que je propose ici, au sujet de Proust, parce que l’écriture de La Recherche et le livre lui-même en furent bien une : des croquis de l’épopée ».

Il y a de très belles pages sur le rapport qu’entretint Proust avec la musique, Tadié évoquant notamment les différents modèles de la sonate de Vinteuil. Ce rapport était amoureux. Il faut par exemple se représenter l’auteur de Jean Santeuil, les yeux fermés, écoutant (cela se produira à plusieurs reprises), penché, au théâtrophone (« ce téléphone branché sur la scène des théâtres »), Pelléas et Mélisande. « La musique, pour le romancier, écrit joliment Tadié, réveille en nous le fond mystérieux de notre âme, inexprimable par les mots. S’adressant à l’inconscient, elle remonte à la patrie perdue de l’enfance, en retrouvant le temps de la communication antérieure au langage : elle parle comme l’amour le plus pur et comme le bonheur ».

La Lune bouge lentement mais elle traverse la ville, Corinne Desarzens (par Delphine Crahay)

Ecrit par Delphine Crahay , le Mercredi, 16 Septembre 2020. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, La Baconnière

La Lune bouge lentement mais elle traverse la ville, Corinne Desarzens, juin 2020, 344 pages, 20 € Edition: La Baconnière

 

La Lune bouge lentement mais elle traverse la ville est un recueil de chroniques linguistiques, chacune consacrée à une langue : l’anglais, le russe, le japonais, mais aussi l’arménien, le géorgien, ou encore le romanche. Ces textes, autobiographiques, racontent les voyages de Corinne Desarzens dans les contrées de ces langues d’élection, ainsi que quelques expériences d’étudiante éternelle et ardemment assidue. Ils rapportent des anecdotes, des rencontres, et constituent une galerie de portraits de locuteurs : professeurs, écrivains, artistes, artisans et quidams. Ils contiennent aussi, et ce n’est pas le moindre de leurs attraits, des fragments de lexique… dont on ne peut faire grand-chose sinon s’étonner, s’enchanter et en ânonner béatement les merveilles, en regrettant que leur transcription phonétique ne suffise pas à faire sonner en notre bouche ignare la juste prononciation, ni à les inscrire dans notre mémoire… On serait presque tenté de s’en servir comme viatique, l’ouvrage et les mots retenus étant plus séduisants et inspirants que les Vocabulaire de survie et autres kits pour touristes enclins au baragouin…

Nuit marine, Alain Crozier (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mercredi, 16 Septembre 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie

Nuit marine, Alain Crozier, Jacques André éditeur, coll. Poésie XXI, 2019, Préface de Jean-Paul Gavard-Perret, 82 pages, 12 €

 

Cette nuit marine de l’éditeur-poète Alain Crozier se lit comme une histoire d’amour, sur l’air du Tourbillon de la vie de Serge Rezvani interprété par Jeanne Moreau dans Jules et Jim de Truffaut. Toute une ambiance… Une histoire d’amour avec ses aléas, son début (partie I : « Histoires corporelles » / « Elle avait des bagues à chaque doigt… »), avec ses séparations, ses retrouvailles (partie II : « La main passe » / « Au son des banjos je l’ai reconnue… »), ses « Éclats » (partie III / « Quand on s’est retrouvé… »), sa fin (partie IV « Nuit noire » / « Puis on s’est séparé… »). Une ritournelle poétique où les mots tournent autour de l’amour, sans badinage ni sentimentalisme, entre grâce et dérision.

Le poète Alain Crozier fait glisser ses mots sur les vagues d’une nuit marine où l’ambiguïté file sous l’eau et fixe quelques escales au bord de la crique d’amour, « d’une nuit à l’autre », entre rêves et réel, là où les corps se réchauffent, transcendés par une « vision d’Éden » ; fait glisser ses mots sur le laps confus, la ligne de crête, où la confusion des sentiments amoureux (« Mélange de plusieurs sentiments, / Parfois opposés ») le rend marin amateur de ces hauts-fonds qui compliquent la navigation

La Constellation du Chien, Peter Heller (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 15 Septembre 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Babel (Actes Sud)

Edition: Babel (Actes Sud)

 

Après la fin de toute chose. Il est étonnant que cette expression, toujours reprise dans la littérature dystopique, ne soit pas pointée comme un parfait paradoxe. La matière du roman même est la négation absolue de la Fin de toute chose, plus encore quand, sous la plume impeccable de Peter Heller, elle est pétrie d’humour et d’optimisme. C’est la fin assurément de toute chose connue – situation qui génère, au long des dystopies et en particulier de celle-ci, une nostalgie pénétrante, lancinante. Tout ce qui est perdu revient en assauts répétés et douloureux : les personnes aimées, les moments heureux, un ordre du monde plutôt harmonieux – au moins pour ceux qui avaient la chance de vivre dans des contrées favorisées – et même des objets, des livres, des médicaments, des véhicules.

Comme un dinosaure qui aurait survécu à la grande disparition, La Bête est là et miraculeusement fonctionne encore. Elle ronfle, gronde… et vole. C’est un vieil avion, un « Cessna 182 de 1956 », et Hig, le héros et narrateur du roman, parcourt à ses commandes le petit territoire qu’il a colonisé avec son acolyte Bruce Bangley, vieux bonhomme acariâtre.

Fille, Camille Laurens (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 15 Septembre 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard

Fille, août 2020, 240 pages, 19,50 € . Ecrivain(s): Camille Laurens Edition: Gallimard

 

Camille Laurens et les mots

Le corps des femmes est souvent « dit » dans la littérature afin qu’il ne se voie pas ou mal. Il est issu de tous les archétypes divins que les hommes ont inventés de peur de n’être qu’un souffle provisoire, un courant d’air, de leur boîte crânienne aux orteils.

Camille Laurens se doit donc de jouer avec les signes qui « dopent » l’esprit « malin ». Son roman ouvre sur un espace de l’intime et de l’extime féminin, loin d’un grand guignol dont l’auteure dénonce les formes et tournures surannées d’un clafoutis anthropomorphique.

Elle a ainsi toujours un coup, un cran d’avance. Que demander de plus que cet envoûtement romanesque qui se définit d’emblée ainsi :