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Les Livres

Shorts, Wystan Hugh Auden (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 08 Décembre 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres

Shorts, Wystan Hugh Auden, Rivages Poche, 2003, trad. anglais, Frank Lemonde, suivi d’un essai de Hannah Arendt, 142 pages, 7 € Edition: Rivages poche

 

L’occasion du cinquantenaire de la mort d’Auden fait rouvrir ici un de ses recueils les plus denses et délicieux (mais malheureusement difficile à dénicher), Shorts, en nous sortant du seul poème Funeral blues, rendu célèbre (« Stop all the clocks, cut off the telephone… ») par sa lecture (bouleversante) dans le film Quatre mariages et un enterrement.

Auden (1907-1973) est toujours, avec bonheur, en poésie juge et partie : comme juge, il délimite la stricte fonction du poète (« exprimer avec exactitude ce qu’il eut l’honneur de contempler », et en laisser aux autres l’appréciation, p.85) ; comme partie prenante, il s’y tient, rigoureusement, lui-même. Si la contemplation arrive trop tard, si l’exactitude se pointe trop tôt, elles repasseront, voilà tout. Auden entend rester maître de l’agenda de ses chefs-d’œuvre, et contrôler (de sa toujours ironique sévérité) l’emploi du temps de sa Muse :

Apologie de Socrate, Platon (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Jeudi, 07 Décembre 2023. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Bassin méditerranéen, Folio (Gallimard), En Vitrine, Cette semaine

Apologie de Socrate, Platon, Folio, avril 2023, trad. grec ancien, Léon Robin, Joseph Moreau, 80 pages, 3,50 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Zut, un livre dont le héros meurt à la fin ! Oui, mais quel héros ! Celui de la pensée libre de toute convenance, de toute contrainte, de tout désir autre qu’exister et se perpétuer dans la vérité ! Plus sérieusement, l’Apologie de Socrate est un des « dialogues socratiques » de Platon, celui qui présente le plaidoyer de Socrate lors de son procès en -399. Ce plaidoyer, parfaite machine argumentative qui malheureusement ne convaincra pas les citoyens athéniens, s’articule en trois parties : le plaidoyer à proprement parler, la plus longue ; le « débat contradictoire sur la peine », Socrate ayant été jugé coupable ; enfin, la réaction de Socrate face à la peine choisie, c’est-à-dire la mort.

Ici n’est pas le lieu d’une exégèse philosophique ou d’un commentaire sur les tenants et aboutissants historiques du procès de Socrate ; ici est le lieu de relever dans ces quelques pages la fulgurance qui les rend toujours indispensables aujourd’hui ; ici est le lieu de célébrer la liberté avec laquelle Socrate défend la vérité au risque de sa vie.

Hommage à Philippe Sollers, Collectif (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 07 Décembre 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Hommage à Philippe Sollers, Collectif, Gallimard, novembre 2023, 144 pages, 12 €

 

« C’est dans le village d’Ars que je serai enterré, près du carré des aviateurs anglais, australiens et néo-zélandais, tombés ici pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils ont 22, 23 ans, ils sont pilotes ou mitrailleurs. Personne n’a réclamé leurs corps. Ce voisinage me plaît » (Navigation, Un Vrai Roman, Mémoires, Philippe Sollers, Plon, 2007).

« Que la promesse des “oiseaux nés libres”, comme ceux que tu aimais observer en Ré, te soie tenue, mon cher Philippe : “Où que nous allions, tout devient libre et ensoleillé autour de nous !”. Nous ne pouvons en douter » (Antoine Gallimard, Sollers à l’infini).

« Au fil du temps, dans des carnets, j’ai noté des phrases. Parfois je ne sais plus d’où elles viennent. Peu importe puisqu’il s’agit d’un unique livre, dont Sollers délivrait, régulièrement, des fragments » (Josyane Savigneau, Sollers et Lui).

« Vous le lisez et il est aussitôt présent, il marche avec vous, au milieu du désert comme au fond de la vallée verte, sur la plage comme le long des façades classiques de Bordeaux ou Venise » (Marc Pautrel, Le vrai corps est un texte).

L’Envers de l’éperon, Michel Bernanos (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 06 Décembre 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman

L’Envers de l’éperon, Michel Bernanos, L’Arbre Vengeur, 2018, 217 pages, 17 €

 

La lecture de ce roman est une véritable suffocation. La tension de l’arc narratif, des premiers mots aux derniers, est permanente tant le « contrat » de départ – au sens donné chez un tueur professionnel – ligote l’action dans une cible intangible et improbable : un frère aîné se voit confier la mission de tuer son frère cadet, qu’il aime et admire.

Michel Bernanos situe l’action au Brésil, dans les espaces brûlants du Sertão, emplis des échos annonciateurs du Diadorim de João Guimarães Rosa et des souvenirs d’enfance de l’auteur, qui vécut, avec son père Georges Bernanos et sa mère, plusieurs années dans ce pays. Le Sertão, devenu un espace mythique de la littérature, qui sert de cadre à tant de chefs-d’œuvre de Guimarães Rosa, Vargas-Llosa, Ribeiro Ubaldo, Da Cunha, et qui a la faculté de s’ériger en personnage central de tous les romans qu’il abrite.

Scènes d’une vie de bohème, Une jeunesse à Colmar et Strasbourg (1880-1914), Otto Flake (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 06 Décembre 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Arfuyen

Scènes d’une vie de bohème, Une jeunesse à Colmar et Strasbourg (1880-1914), Otto Flake, Arfuyen, 2023, trad. allemand, Marine El Hajji, Régis Quatresous, 310 pages, 20 € Edition: Arfuyen

En moins d’un siècle, de 1860 à 1945, les Alsaciens ont changé quatre fois de nationalité, de langue, de système politique et administratif, passant de la France à l’Allemagne et retour. L’invasion de 1870 a, dans l’ensemble, disparu de la mémoire collective, malgré les atrocités qui furent commises (pas seulement dans l’Est du pays : on relira certaines nouvelles de Maupassant, comme La Folle). Sommés de choisir entre l’Allemagne et la France, la moitié des Alsaciens prit le chemin de l’exil, abandonnant leurs domiciles, leurs entreprises, leurs fonctions, s’établissant dans la partie de l’Alsace demeurée française (le Territoire de Belfort), les régions voisines ou à Paris (ce fut pour eux qu’on créa l’École alsacienne). De 1870 à 1918, l’Allemagne nouvellement érigée en État fit le nécessaire pour qu’on oubliât les conditions dans lesquelles furent annexées l’Alsace et la Moselle (et ce fut d’autant plus aisé que les plus déterminés des anti-Allemands étaient partis). La gare de Metz est célèbre pour sa lourdeur typiquement teutonne, le « quartier allemand » de Strasbourg se visite aujourd’hui à part entière et le IIe Reich dota richement la Bibliothèque universitaire de Strasbourg, détruite lors du siège de la ville, le 24 août 1870, par un obus allemand selon toute vraisemblance tiré volontairement.