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Ecriture

Sacrée bavure, Par Catherine Dutigny/Elsa

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa , le Mercredi, 06 Juin 2018. , dans Ecriture, Nouvelles, La Une CED

 

La rue de Pigalle est déserte. La pluie glacée laque les pavés disjoints. Un panneau publicitaire, veuf de plusieurs lettres affiche son slogan aussi clairement qu’un rébus directement sorti des pages de l’Almanach Vermot. Le « J » et le « F » y pendent lamentablement, comme les testicules d’Enoch Poznali, dit La Volga, après son exécution. Les flonflons du Front populaire ne feront pas, ce soir, chavirer le cœur du quartier interlope. Inutile de chercher sous une porte cochère, dans l’embrasure d’un hôtel de passe, les appâts d’une putain aux jambes gainées de soie.

Un œil attentif, scrutant les encoignures noires pourrait surprendre quelques silhouettes furtives, un pan d’imperméable, deux ombres discutant dans une tire, la flamme d’un briquet à essence.

Une oreille, tout aussi attentive, percevrait derrière les volets clos du cabaret, au numéro 66, les éclats de voix et résonances de la grand-messe des marlous de la Butte.

Trois poèmes de Marianne Braux

Ecrit par Marianne Braux , le Lundi, 28 Mai 2018. , dans Ecriture, Création poétique, La Une CED

Oraison

 

Vaquant

à la vue de l’autre monde

noir-transparence

dans les yeux d’une bête de somme

de même nature

l’homme d’outre-Rhin

à Turin pense

et parle d’horizons

La nuit sans Zabach (III), par Nadia Agsous

Ecrit par Nadia Agsous , le Mercredi, 23 Mai 2018. , dans Ecriture, Nouvelles, Ecrits suivis, La Une CED

 

En voyant la foule rassemblée devant la maison familiale, Mary’amcomprit que le moment ultime était arrivé. Elle se rappela alors des prières de sa grand-mère, Sara, et murmura :

– La lumière gît dans les confins des ténèbres, n’est-ce-pas ? Allah ya Allah,j’implore Votre protection ! Rebbi ya Rabbi, jeVous offre ma pureté, en échange, envoyez-moi l’ange rédempteur pour qu’il me sauve, ya El-Elohim ! Votre clémence, Seigneur ya Allah ; Votre compassion !El-Elohim, Allah, Seigneur ! Avé Mary’am !

Le père entendait les supplications de sa fille. Chaque mot prononcé agissait comme une balle tirée à bout portant dans son cœur tourmenté. Il avait honte d’être là, parmi ces hommes et ces femmes, participant à la lapidation de celle qui l’aida à surmonter tant d’obstacles. Si L’Hou-Sine, le vieux pieux, l’adorateur d’El-Elohim n’osait pas regarder sa fille dans les yeux. Comment faire face à celle à qui il avait prédit une vie couronnée de succès et de bonheur ? Comment contribuer à l’anéantissement de celle dont le nom revenait sans cesse dans ses prières ferventes et pleines de grâce et de miséricorde ?

Dentelle, par Alix Lerman Enriquez

Ecrit par Alix Lerman Enriquez , le Mercredi, 23 Mai 2018. , dans Ecriture, Création poétique, La Une CED

Lierre perforé

de silence,

rayé de roses

et du tremblé

d’une lumière volatile.

 

Lierre perforé

par un ciel de soie

que je tente

d’atteindre en vain.

Villa Triste, par Marie-Pierre Fiorentino

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Vendredi, 11 Mai 2018. , dans Ecriture, Nouvelles, La Une CED

Les yeux lourds, elle choisit sur le rayonnage Villa Triste. Son regard hésitant avait parcouru d’autres titres avant de se soumettre à cette nécessité joyeuse, relire encore celui-ci. Ne serait-ce que quelques paragraphes, au hasard. Alors elle dormirait du sommeil béat de qui a retrouvé son lit de retour de voyage.

Ce n’était qu’après plusieurs lectures qu’elle s’était résignée à prononcer « triste » comme il convenait et non pas « tristé », qui lui était spontanément venu à l’esprit. Peut-être que prononcer le mot « triste », quand elle l’était déjà tant à l’approche d’une longue séparation d’avec l’aimé, lui avait été impossible.

Ou alors cette prononciation méditerranéenne s’était-elle imposée parce qu’elle s’était imaginé, quand il lui avait prêté le roman au mois de juin, que ce serait la passade d’un été. Pourtant, de même que rien ne destinait leur histoire à durer, Villa Triste s’était installé dans sa vie. Après tout, ses crises de tristesse n’étaient que le prix dérisoire de son bonheur à aimer et à être aimée.

Elle rechercha un passage, goûtant la douceur fraîche des draps de percale sur son corps.