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Critiques

Némésis, Philip Roth

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 18 Octobre 2012. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, USA, Roman, Gallimard, La rentrée littéraire

Némésis (Nemesis) trad. USA Marie-Claire Pasquier septembre 2012. 226 p. 19,90 € . Ecrivain(s): Philip Roth Edition: Gallimard

 

"Il faut, avec les mots de tout le monde, écrire comme personne." Colette

 

On ne pourrait mieux épingler l’art éblouissant de Philip Roth que par cette citation. Et en particulier pour donner à ceux qui n’ont pas encore lu Némésis une idée du miracle que produit ce livre : dérouler un récit captivant avec un naturel, une élégance, une authenticité qui sont la marque des seuls grands maîtres.

Tout y est parfait : l’économie et la richesse lexicales, l’organisation serrée et impeccable de la narration, les portraits inoubliables des personnages, le souffle de rage enfin qui emporte tout sur son passage. Presque tranquillement, Philip Roth construit le point d’orgue de son œuvre comme un véritable défi universel.

Les en dehors, La liberté pour horizon, Stéphane Beau (par Olivier Verdun)

Ecrit par Olivier Verdun , le Vendredi, 31 Août 2012. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman

Les en dehors, La liberté pour horizon, Stéphane Beau, Éditions du Petit Pavé, 2011, 186 pages, 18 €

 

Avec Les en dehors, Stéphane Beau publie son troisième roman qui s’inscrit explicitement dans la veine de quelques-uns de ses auteurs favoris – Henry David Thoreau dans Walden, Ernst Jünger dans Eumeswil, Cormac McCarthy dans La Route et, en filigrane, Albert Camus dans La Peste. Le livre n’est pas non plus sans rappeler le film de Sean Penn, Into the Wild.

L’auteur opte du début à la fin pour une écriture on ne peut plus limpide qui rend la trame narrative facile à saisir. Une épidémie de peste birmane sème la mort et la désolation derrière elle. Aucun antibiotique ne réussit à enrayer son inexorable progression dans toute l’Europe : « Les frontières se fermaient les unes après les autres et chaque gouvernement faisait de son mieux pour limiter la casse et éviter la panique ».

Léopold Fort, un ancien libraire qui a tout plaqué pour se retirer, seul, avec son amour des livres et sa misanthropie, dans une bicoque en ruine sise au milieu de nulle part, se prend d’affection, à son insu, pour Colas, un orphelin de sept ans qu’il croise par hasard et dont il sauve la vie in extremis.

Le Journal d’un haricot, Olivier Hobé (par Olivier Verdun)

Ecrit par Olivier Verdun , le Vendredi, 31 Août 2012. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Apogée

Le Journal d’un haricot, Olivier Hobé, Editions Apogée, 2011, 64 pages, 12 € Edition: Apogée

 

« Je respire du Quentin, sa maladie me bouffe, m’envahit, je le sens, je le renifle, il n’a jamais été aussi proche de moi. On me regarde écrire. Dans un café, on se rend compte de la solitude des loutres. Il me semble être l’une d’elles ». Ainsi s’achève, dans une langue horizontale tendue comme la moire, tirée au cordeau, où presque rien ne dépasse, mais qui ne rompt jamais sa texture sensible, Le Journal d’un haricot qu’Olivier Hobé a tissé de notes prises au quotidien.

Un drôle de titre, qui pourrait, de prime abord, dérouter le lecteur friand de mises en bouche truculentes. On s’attend à parcourir un énième conte de la Collection Milan Jeunesse, mais sûrement pas le récit d’une loutre tentant de se tenir au plus près de celui qui, le plus souvent, est nommé par la lettre Q.

On devine que le haricot en question est une plante herbacée d’un genre peu amène, dont gousses et graines n’ont rien de comestible, qui creuse avidement, dans le dédale des entrailles, une galerie de tchernoziom, avec pics et à-pics :

Le ravin du chamelier, Ahmad Aboukhnegar (recension 2)

Ecrit par Nadia Agsous , le Vendredi, 31 Août 2012. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Pays arabes, Sindbad, Actes Sud

Le ravin du chamelier, (2012), trad. de l’arabe (Egypte) par Khaled Osman, 207 p. . Ecrivain(s): Ahmad Aboukhnegar Edition: Sindbad, Actes Sud

 

Le Ravin comme métaphore du monde


Tout commence par une scène de lutte acharnée. Un face à face féroce, dans un lieu transformé en champ de bataille, entre, d’une part, des hommes « à bout de nerfs, brandissant leurs gourdins sans oser passer à l’attaque ». Et d’autre part, la femelle-serpent qui les défie « ostensiblement » depuis plus de trois jours poussant sa bravade jusqu’à faire tourner ses adversaires « en bourriques ».

Dès le début du roman, Ahmad Aboukhenegar, romancier égyptien, nous introduit au cœur d’une histoire de vengeance ; une intrigue du genre fantastique qui met en scène des hommes et une femelle-serpent engagés dans une « guerre » où les premiers, « mus par une haine enfouie – et – une répulsion instinctive », tenant dans leurs mains haches et gourdins, les sens aux aguets, solidaires des uns et des autres, déploient toute leur énergie et leurs forces pour se défendre des velléités vengeresses voire meurtrières de leur ennemie ancestrale, la femelle-serpent qui hante leur imaginaire et réveille leurs peurs archaïques.

Dernières nouvelles du sud, Luis Sepulveda et Daniel Mordzinski

Ecrit par Cathy Garcia , le Jeudi, 24 Mai 2012. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Récits, Métailié

Dernières nouvelles du Sud, Avril 2012, 160 pages, 19 € . Ecrivain(s): Luis Sepulveda et Daniel Mordzinski Edition: Métailié

1996. Le romancier Luis Sepúlveda et son ami photographe, Daniel Mordzinski, partent pour une longue virée sans but précis, ni contrainte de temps, au fin fond du continent américain, au-dessous du 42ème parallèle.

« Nous avancions lentement sur une route de graviers car, selon la devise des Patagons, se hâter est le plus sûr moyen de ne pas arriver et seuls les fuyards sont pressés ».

Ils nous livrent ici le concentré, l’essence même de ce qu’est le voyage : la rencontre avec l’autre. Et puis un constat, terrible, le constat d’une disparition. Patagonie, Terre de Feu, des noms qui pourtant évoquent encore tout un univers de mythes, d’aventures et de rêves, tout ça disparaît, comme ont disparu les tout premiers habitants, « Les autres ethnies ont succombé aux règles d’un progrès dont nul n’est capable de définir les fruits », premières victimes d’un engrenage qui broie toujours plus vite, aussi féroce qu’aveugle, un monde emporté dans la grande gueule d’un capitalisme toujours plus vorace. Ainsi de carnet de voyage, le livre devient une sorte d’« inventaire des pertes », et les superbes photos en noir et blanc de Mordzinski appuient sur cet aspect de monde dont il ne resterait que des ombres, un monde à l’abandon, échoué comme une baleine sur les rives d’une mondialisation dévorante et inhumaine.