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Les Chroniques

Tout peut commencer à trembler, Lucien Noullez (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 18 Janvier 2021. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie

Tout peut commencer à trembler, Lucien Noullez, éd. de Corlevour, avril 2020, 96 pages, 16 €

 

La poésie m’apprend que j’appartiens aux autres

Lucien Noullez

 

La banalité, l’infini

Lucien Noullez semble un être fragile parce que sa poésie est frémissante, simple, évanescente et fugitive, car les objets qu’elle saisit sont simples, frémissants. Elle est aussi lyrique et sans emphase : cantilène, chant, musicalité de forme sonate, harmonies de motets ou de madrigaux, en bref une musique intime et directe.

C’est ce balancement de la chose poétique qui va aux événements ordinaires, cette hésitation entre le profane et le sacré, cet exercice difficile de la banalité et de l’infini qui m’a saisi tout entier. En effet, j’y ai vu l’infinie intelligence des petites aventures banales de la vie de tous les jours, ressaisies par une description de l’immanence littéraire des choses et des récits du quotidien, sorte de poèmes du Je-ne-sais-quoi et du Presque-rien.

Automoribundia (1888-1948), Ramón Gómez De La Serna (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 14 Janvier 2021. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, La Table Ronde

Automoribundia (1888-1948), Ramón Gómez De La Serna, La Table Ronde, Quai Voltaire, octobre 2020, trad. espagnol, Catherine Vasseur, 1040 pages, 34 €

« Tout un océan, biseauté par la lune et les vents, serait nécessaire pour contenir dans ses eaux, comme dans un aquarium, ce monceau d’images vivantes, fraîches, bondissantes, nerveuses et électriques, qui se glissent et brillent – poissons d’or – dans les aquariums magiques de ses livres », Adriano de Valle (1).

« Tout ce que je désire c’est une bonne lampe allumée, beaucoup d’encre rouge et des feuillets réussis et clairvoyants », Ramón Gómez de la Serna

Automoribundia est l’autobiographie imagée, coloriée, élégante, enflammée, rieuse, joueuse, tremblante et réjouissante de Ramón Gómez de la Serna. L’écrivain espagnol n’appartient à aucun courant littéraire, à aucune école, à aucune génération, sauf à celle de Ramón. Écrivain ramónesque, jongleur médiéval (2), qui a inventé le Rastro (3). Sa gloire relative vient des Greguerías (4), ces courtes pensées irréelles, ces éclats poétiques, ces piques ironiques, comiques et intimes, publiées dans la presse, et incrustées dans ses livres. Valery Larbaud qui l’a rencontré, et qui l’a fait découvrir en France, parle de criailleries – la Greguería est spontanée, inarticulée, irrépressible, ineffablement intime.

La Maison du berger, suivi de Viens, on se tire, Elisabeth Loussaut (par Pierrette Epsztein)

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Mercredi, 13 Janvier 2021. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

La Maison du berger, suivi de Viens, on se tire, Elisabeth Loussaut, Z4 éditions, Coll. Les 4 saisons, 2018, 250 pages, 15 €

Lecteurs, si vous souhaitez vous aérer l’esprit, si vous aspirez à échapper à cette atmosphère anxiogène dans laquelle les informations nous embourbent en ce temps de pandémie, si vous désirez vous délester de la crainte du pire qui, parfois vous saisit, alors, plongez-vous sans hésiter dans les deux récits d’Élisabeth Loussaut publiés aux éditions Z4 : La Maison du berger, suivi de Viens, on se tire. Vous débarquerez, le temps de votre lecture, dans une contrée où l’air est débarrassé de toute pollution et où vous pourrez respirer à l’aise, loin, très loin des préoccupations actuelles.

Dans ce livre, deux récits se suivent. Les deux sont écrits par la même narratrice qui en est aussi la principale protagoniste. Le premier est un retour en arrière dans le passé des années d’enfance et d’adolescence dans ce que l’auteur intitule La Maison du berger. C’est le nom donné à la maison familiale où vivent ses parents, ses frères et sœurs. Dans le deuxième, la narratrice devenue adulte se rend avec sa sœur dans une maison de retraite qui abrite désormais sa mère. Elle y va à reculons, d’où le titre du récit : Viens, on se tire.

Lenz, Georg Büchner (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 12 Janvier 2021. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Lenz, Georg Büchner, éditions Vagabonde, octobre 2020, trad. allemand, Georges-Arthur Goldschmidt, 50 pages, 6,90 €

 

Ars gratia artis

Ce texte ramassé sur 50 petites pages engage davantage qu’un récit ordinaire. Car c’est un grand écrivain qui en est l’auteur. De plus, derrière le prétexte de rapporter quelques journées de la vie de Jacob Lenz, Büchner développe sa propre conception de ce qu’est un artiste, et de ce qu’est l’art. Il lui suffit pour cela de décrire les quelques jours que Lenz a passés chez le pasteur Oberlin. Pour moi, il s’agit d’un dramaturge parlant d’un autre dramaturge.

Par exemple, Büchner fait de Lenz un somnambule, et quand on connaît la première scène du Prince de Hambourg, on voit que cette atmosphère est présente dans l’Allemagne romantique. Et les romantiques ont décrit l’artiste au moins comme un visionnaire. Ainsi, cette constellation d’écrivains pour le théâtre est ici mise en abyme, repensée en son propre sein où le récit du séjour de Lenz dans les Vosges se tourne un peu en essai. Toujours est-il qu’il y a ici une volonté de construction intellectuelle, et pas seulement un artifice pour fabriquer du récit.

Sur Jejuri d’Arun Kolatkar (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Vendredi, 08 Janvier 2021. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Asie

 

C’est un événement que la traduction en français par Roselyne Sibille, dans une belle édition bilingue (1), du court recueil d’Arun Kolatkar, Jejuri, sorti en anglais en 1976 et récompensé par le prestigieux Commonwealth Poetry Prize en 1977. Jejuri est une petite ville de l’Etat du Maharastra, dans l’ouest de l’Inde, à deux cents kilomètres de Bombay et à cent cinquante kilomètres de Pune environ, où est vénéré le dieu Khandoba, considéré comme l’une des manifestations locales de Shiva.

Qu’on ne s’attende pas dans ces trente-et-un brefs textes à la rare ponctuation à trouver une Inde conforme aux clichés usuels. Ce ne sont ni des slums misérables, ni des émeutes interreligieuses, ni des yogis impavides méditant sur les ghâts d’un fleuve sacré qui captivent Kolatkar mais, précisément, ce qui ne retiendrait sans doute pas l’attention d’un littérateur trop prévenu ou d’un voyageur en mal d’exotisme.